Propos décapants de Jacques-Marie Bourget
"Visiblement Ségolène Royal, Jack Lang, Bertrand Delanoë ou Yves Le Drian n’ont vu qu’humanisme et liberté à Doha !"
"Que cherchent donc tous ceux qui défilent à Doha ? Disons le crûment, de l’argent."
"Sarkozy a pratiquement donné les clés de la « politique arabe » de la France à l’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani et à son premier ministre Hamad Ben Jassim."
"Les 165 milliards de dollars du trésor de Kadhafi ont été convoités comme la poule aux œufs d’or !"
"En France, enrôler le plus possible d’ouailles sous le giron d’Abdelwahhab, c’est à la fois grossir la communauté et prendre une partie du pouvoir puisque ces fidèles sont des citoyens français."
"Finalement, pour Doha, il est plus facile d’avoir de l’influence par la religion que par l’investissement dans la pierre des beaux quartiers de Paris."
"Il faut savoir qu’en achetant le Paris-Saint-Germain, l’émir ne lit pas l’intitulé jusqu’au bout, il a acheté Paris. Point."
"Les présidents américains, d’Eisenhower à Obama, apprécient les Frères Musulmans."
"En louant Ben Laden, Al-Jazzera rendait service à Washington puisque Al-Qaïda est un instrument idéal pour déstabiliser les pays musulmans."
"Cette analyse ne relève pas de la « conspiration » puisqu’elle est celle de Washington."
"La captation de la révolte des « printemps arabes » par des spécialistes de la guerre faite par le biais de Facebook et d’Internet plutôt que par des fusils est aujourd’hui un fait reconnu."
"Le plus étonnant a été le choix des Tunisiens de France qui ont voté massivement pour Ennahda."
"Si on laisse le champ libre au wahhabisme, celui-ci touche aussi les Tunisiens de France et le serpent se mord alors la queue."
"Ce bouleversement tunisien est un choc dans un pays où, au travers des institutions, un vent de liberté et de réformes a commencé à souffler dès le XIXe siècle."
"Si les généraux algériens, qui ne sont ni des modèles ni des anges, n’avaient pas stoppé le FIS en 1991, Alger serait, encore aujourd’hui, sous la coupe des intégristes religieux."
"Alors que nous sommes nous-mêmes en bagarre avec les islamophobes, il faut bien que nous nous interrogions sur cette propagation de la foi wahhabite -la matrice du salafisme- en Europe."
"Le wahhabisme ne peut s’accommoder d’un environnement qui ne lui soit pas semblable, c’est donc une cause permanente de conflit entre le fidèle qui doit se plier et l’infidèle qu’il faut éradiquer."
"Visiblement Ségolène Royal, Jack Lang, Bertrand Delanoë ou Yves Le Drian n’ont vu qu’humanisme et liberté à Doha !"
"Que cherchent donc tous ceux qui défilent à Doha ? Disons le crûment, de l’argent."
"Sarkozy a pratiquement donné les clés de la « politique arabe » de la France à l’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani et à son premier ministre Hamad Ben Jassim."
"Les 165 milliards de dollars du trésor de Kadhafi ont été convoités comme la poule aux œufs d’or !"
"En France, enrôler le plus possible d’ouailles sous le giron d’Abdelwahhab, c’est à la fois grossir la communauté et prendre une partie du pouvoir puisque ces fidèles sont des citoyens français."
"Finalement, pour Doha, il est plus facile d’avoir de l’influence par la religion que par l’investissement dans la pierre des beaux quartiers de Paris."
"Il faut savoir qu’en achetant le Paris-Saint-Germain, l’émir ne lit pas l’intitulé jusqu’au bout, il a acheté Paris. Point."
"Les présidents américains, d’Eisenhower à Obama, apprécient les Frères Musulmans."
"En louant Ben Laden, Al-Jazzera rendait service à Washington puisque Al-Qaïda est un instrument idéal pour déstabiliser les pays musulmans."
"Cette analyse ne relève pas de la « conspiration » puisqu’elle est celle de Washington."
"La captation de la révolte des « printemps arabes » par des spécialistes de la guerre faite par le biais de Facebook et d’Internet plutôt que par des fusils est aujourd’hui un fait reconnu."
"Le plus étonnant a été le choix des Tunisiens de France qui ont voté massivement pour Ennahda."
"Si on laisse le champ libre au wahhabisme, celui-ci touche aussi les Tunisiens de France et le serpent se mord alors la queue."
"Ce bouleversement tunisien est un choc dans un pays où, au travers des institutions, un vent de liberté et de réformes a commencé à souffler dès le XIXe siècle."
"Si les généraux algériens, qui ne sont ni des modèles ni des anges, n’avaient pas stoppé le FIS en 1991, Alger serait, encore aujourd’hui, sous la coupe des intégristes religieux."
"Alors que nous sommes nous-mêmes en bagarre avec les islamophobes, il faut bien que nous nous interrogions sur cette propagation de la foi wahhabite -la matrice du salafisme- en Europe."
"Le wahhabisme ne peut s’accommoder d’un environnement qui ne lui soit pas semblable, c’est donc une cause permanente de conflit entre le fidèle qui doit se plier et l’infidèle qu’il faut éradiquer."
Présentation de l’auteur
Considéré comme l’un des meilleurs Grands reporters en France, Jacques-Marie Bourget a commencé sa carrière à l’ORTF, devenu par la suite Radio France. Il a fait sa carrière au sein de l’Express, Paris-Match et VSD. Reporter de guerre, il a couvert le conflit du Viet Nam, celui du Liban, la première guerre du Golfe contre l’Irak, la guerre de Bosnie-Herzégovine, sans oublier la première et seconde Intifida. En octobre 2000, à Ramallah, il a été gravement blessé par un tir de l’armée israélienne, qui a par la suite compliqué son évacuation vers la France. C’est sur intervention ferme de Jacques Chirac auprès d’Ehud Barak qu’il a été finalement rapatrié en France.
C’est Jacques-Marie Bourget qui a révélé l’affaire Greenpeace, ce qui lui a valu le prix « Scoop » en 1986. Journaliste courageux et aux antipodes du médiatiquement et politiquement correct, il a été élevé par le président Jacques Chirac au rang de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur.
Jacques-Marie Bourget est aussi un écrivain. Il est l’auteur et coauteur d’une dizaine de livres, notamment « Des Affaires très spéciales, 1981-1985 », éditions Plon, 2000, et de Sabra et Chatila, au cœur du massacre », éditions Eric Bonnier, 2012.
L'interview
Tunisie-Secret : Nous allons commencer par la dernière polémique suscitée par votre livre, « Le vilain petit Qatar ». Dans une récente tribune au Nouvel Observateur, Pascal Boniface vous accuse d’avoir écrit un livre « entièrement à charge » contre cet émirat et regrette que sur 292 pages, il n’y ait pas « une seule phrase positive sur le Qatar ». Avez-vous manqué d’objectivité à l’égard de cette « démocratie islamiste » ?
Jacques-Marie Bourget : Cette « polémique » n’est qu’un artifice. Elle est soulevée par Pascal Boniface et ses amis dans le but unique de tromper le public et de lui faire entendre qu’il y a une façon positive d’exposer la politique du Qatar. Si nous avions écrit un livre sur la Belarusse, Boniface viendrait-il nous reprocher d’avoir écrit « un livre à charge ». Bien sûr que non. Pourtant à l’indice de démocratie dans le monde, publié par The Economist, la Belarusse est 135e et le Qatar 136e sur 157 pays classés ! Pour faire une caricature, l’objectivité vue par Boniface serait de faire une balance : pour ou contre Pol Pot, si jamais on parle de ce monstre de l’histoire. Nous n’avons pas écrit un pamphlet mais publié une enquête. Si le résultat parait rude, c’est que jusqu’à présent, par paresse, par manque d’intérêt ou par connivence, les politologues et journalistes avaient fermé les yeux sur les réalités de ce pays qui sont terribles.
T-S : Vous avez déclaré la semaine dernière sur I-Télé que les politiciens de droite comme la gauche sont complètement soumis aux caprices du Qatar. Comment expliquez-vous cette attitude de la part d’une classe politique censée protéger les intérêts de l’Etat et incarner la grandeur de la France ?
J-M.B : Il est exact, quand on reprend, avec des années de recul, la liste des pèlerins de Doha qui sont impliqués dans la vie politique française, on est choqué. Encore plus par la connivence entre les élus de gauche et le Qatar puisque ces représentants de la nation sont, a priori, au premier rang du combat pour « l’ingérence et les droits de l’homme ». Visiblement Ségolène Royal, Jack Lang, Bertrand Delanoë ou Yves Le Drian n’ont vu qu’humanisme et liberté à Doha alors que ce pays vit sans véritables lois, sans véritable constitution ; et qu’il interdit les associations, les syndicats, les partis politiques et, pour plus d’un million de travailleurs étrangers pratique une forme d’esclavage. Pour parler du Qatar il est nécessaire de trouver un nouveau vocabulaire, alors parlons de « dictature oubliée », c’est le terme qui convient.
Que cherchent donc tous ceux qui défilent à Doha ? Disons le crûment, de l’argent. Pour une minorité il s’agit de prébendes et de corruption, pour les autres, il s’agit de trouver un financement généreux à des projets permettant à ces élus de conserver le vote de leurs électeurs. Avec Nicolas Sarkozy, nous passons à une dimension stratosphérique puisque l’ancien président a pratiquement donné les clés de la « politique arabe » de la France à l’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani et à son premier ministre Hamad Ben Jassim. Mieux, les dossiers politiques et les dossiers financiers se sont tricotés les uns les autres jusqu’au sommet du mélange lors de la guerre contre la Libye où les 165 milliards de dollars du trésor de Kadhafi ont été convoités comme la poule aux œufs d’or … C’est Bachar Al-Assad qui a présenté à Sarkozy celui qui était alors son ami, cheikh Hamad. Et c’est ce dernier qui a introduit son « frère » Kadhafi auprès du président français. On jouait au Monopoly en vraie grandeur.
T-S : Dans votre livre, vous parlez d’OPA sur l’islam de France et vous écrivez que les « Qataris ont déjà leur vivier d’obligés. Il seront très utiles pour l’aboutissement du vrai plan banlieue, qui reste l’imposition du wahhabisme » (p.213). Si tel est leur objectif, qu’ont-ils à y gagner de plus, puisque la France répond déjà à tous leurs désirs ?
J-M.B : Le Qatar a une vraie vision messianique. Il veut, sous la férule du wahhabisme, réunir le plus grand nombre de croyants, créer sa oumma dont Doha serait le lieu saint. En France, enrôler le plus possible d’ouailles sous le giron d’Abdelwahhab, c’est à la fois grossir la communauté et prendre une partie du pouvoir puisque ces fidèles sont des citoyens français. Il faut rappeler qu’en Europe c’est en France que la communauté musulmane, que Nicolas Beau et moi-même respectons profondément, est la plus nombreuse. Finalement, pour Doha, il est plus facile d’avoir de l’influence par la religion que par l’investissement dans la pierre des beaux quartiers de Paris.
La loi de 1905, qui assure la laïcité, c'est-à-dire la séparation de l’église et de l’Etat, interdit au pouvoir public de fiancer des cultes. Il faut reconnaitre que cette disposition, qui a le mérite de faire de la croyance une affaire privée, est défavorable au culte musulman. Arrivé très tard sur le territoire, il ne peut bénéficier d’aides publiques pour satisfaire ses fidèles. Fermant les yeux, Paris a donc trouvé bien commode de laisser l’Arabie Saoudite puis le Qatar prendre en main « l’islam de France ». Il y a derrière ça pas mal d’hypocrisie.
T-S : Par-delà le choc du Trocadéro dans lequel certains analystes voient le signe avant-coureur d’un printemps arabe en France, pensez-vous que l’islamisme wahhabite menace réellement la stabilité de la France par la subversion de l’islam français ?
J-M.B : Le choc du Trocadéro, l’émeute qui a accompagné la célébration du titre du PSG, est symbolique. Mais il serait grossier de voir dans ces jeunes en colère les premier djihadistes réunis sous la bannière du Qatar et du PSG ! Non. Pour les « casseurs », le geste violent était une façon de dire « nous sommes chez nous, tout est à nous, et nous faisons ce que nous voulons puisque le Qatar possède tout ». C’est simpliste mais ce sentiment de partager la toute puissance de Doha sur la France était présent. Il faut savoir qu’en achetant le Paris-Saint-Germain, l’émir ne lit pas l’intitulé jusqu’au bout, il a acheté Paris. Point.
T-S : Sur le « printemps arabe » précisément, vous révéler dans votre livre (p.237) qu’en avril 2011, « l’émir en visite à Washington, sera remercié par le président Obama pour le rôle qu’il a joué dans les révolutions arabes ». Si ce rôle n’est plus un secret pour personne aujourd’hui, comment expliquez-vous cette alliance entre une si grande démocratie et une oligarchie tyrannique dont la chaîne Al-Jazeera n’appelle jamais les terroristes par leur nom et qui considère Ben Laden comme un « martyr » ?
J-M.B : Le lien entre les États-Unis et les mouvements religieux islamistes est une constante dans la politique américaine dont le slogan est « In god whe trust ». Depuis la deuxième guerre, Washington a systématiquement combattu toute tentative « moderne », « éclairée » touchant la politique d’un pays musulman. Cela va de Mossadegh chassé de Téhéran, au combat contre le parti Baas en passant par le harcèlement contre Nasser. Ainsi, les présidents américains, d’Eisenhower à Obama, apprécient les Frères Musulmans qui, pour eux, sont capables de faire régner l’ordre tout instaurant un système social fondé sur la dépendance à la charité. Un système politique idéal pour qui veut imposer le libéralisme économique. La limite de cet amour fou entre l’Amérique et les islamistes c’est Ben Laden, l’ami que l’on réchauffe dans son sein mais qui, à un certain moment, tel un monstre de Fritz Lang, échappe à son maître. En louant Ben Laden, Al-Jazzera rendait service à Washington puisque Al-Qaïda est un instrument idéal pour déstabiliser les pays musulmans et, à terme, pour « redessiner » la carte du monde, du Maroc à l’Iran.
T-S : Ce « printemps arabe » a commencé par la « révolution du jasmin ». Pour certains observateurs, notamment Eric Denécé ou Alain Chouet, les événements de janvier 2011 en Tunisie ont été une révolte sociale déguisée par les services américains et les bons offices qataris en révolution politique. Que pensez-vous de cette thèse que certains taxent de conspirationniste ?
J-M.B : Cette analyse ne relève pas de la « conspiration » puisqu’elle est celle de Washington. Et que des lendemains chantent déjà pour ces « révolutions » que l’on provoque en appuyant sur les clics d’Internet. Qui sera la prochaine cible ?
T-S : Vous avez parlé dans votre livre du rôle majeur que de jeunes blogueurs tunisiens ont joué dans cette « révolution du jasmin ». Vous avez même écrit que, « Ce qu’on ignorait, c’est que Mohamed Bouazizi, le marchand des quatre-saisons immolé en Tunisie, avait des amis qu’il ne connaissait pas. Des amis qui, bras dessus bras dessous avec Doha, travaillaient de longues date au basculement de la rive sud de la Méditerranée ». Qu’entendez-vous par là ?
J-M.B : La captation de la révolte des « printemps arabes » par des spécialistes de la guerre faite par le biais de Facebook et d’Internet plutôt que par des fusils est aujourd’hui un fait reconnu. Des experts ont abusé de la juste colère, de l’indignation et du désespoir des enragés de Tunisie ou d’Égypte. Le « débriefing » de ces opérations est publié dans les papiers de nombreux « think tanks ». On a accompagné la révolte pour, une fois le pouvoir libre, installer à sa place des Frères Musulmans tenus au chaud depuis des années. Al-Jazzera étant là pour les magnifier et les transformer en une assemblée de héros qui vont sauver la patrie.
T-S : Beaucoup d’observateurs étrangers ont été surpris par le succès des islamistes en Tunisie. Est-ce votre cas et comment expliquez-vous un tel triomphe au pays de Bourguiba, de l’émancipation de la femme, de la généralisation de l’enseignement… ?
J-M.B : En ce qui concerne la Tunisie, le succès des islamistes a été une surprise, par son importance. Le plus étonnant a été le choix des Tunisiens de France qui ont voté massivement pour Ennahda. Ce phénomène indique d’ailleurs le rôle joué dans l’hexagone par des pays comme le Qatar. Je m’explique, si on laisse le champ libre au wahhabisme, celui-ci touche aussi les Tunisiens de France et le serpent se mord alors la queue. Pourtant, il faut relativiser. Les forces vives de la révolte n’avaient rien de religieux, au contraire. Mais ces hommes et ces femmes, non organisés, pris en main par aucun courant historique ont été dépossédés de leur violence légitime sur laquelle on a appliqué le cataplasme islamique. Par ailleurs, dans n’importe quel pays, si on oppose dans un scrutin qui joue la comédie de la démocratie, ces révoltés inorganisés à des partis du genre de ceux des Frères musulmans, qui ont de l’argent et des cadres, des amis étrangers et une tradition politique, les indignés sont battus d’avance. C’est vrai que ce bouleversement tunisien est un choc dans un pays où, au travers des institutions, un vent de liberté et de réformes a commencé à souffler dès le XIXe siècle.
T-S : Certains pensent que l’islamisme au pouvoir est une étape obligatoire après laquelle le soleil de la démocratie brillera sur la Tunisie. Partagez-vous cette analyse ?
J-M.B : J’ai peut-être tort mais je suis convaincu que si les généraux algériens, qui ne sont ni des modèles ni des anges, n’avaient pas stoppé le FIS en 91, Alger serait, encore aujourd’hui, sous la coupe des intégristes religieux. On connait la chanson. Elle est poussée par ces pays occidentaux qui voient dans ces religieux de bons partenaires. Parfois on met en avant le « modèle turc », ou alors l’islam radical au pouvoir comme une « étape nécessaire » avant de passer à une vraie démocratie… Prenez exemple sur l’Iran, voilà près de 35 ans que les mollahs sont au pouvoir et ils ne semblent pas disposés à passer la main. La confusion entre un pouvoir et une religion est le principe même à refuser, il conduit aux ténèbres, au chaos. En Tunisie, si l’impuissance du pouvoir religieux conduit le pays à l’abime, il est à craindre que la phase finale se joue dans l’horreur d’une guerre civile.
T-S : En France, certains milieux de gauche comme de droite, sans parler de l’extrême droite, commencent à prendre au sérieux une contagion islamiste qui toucherait aussi bien votre pays que l’Allemagne ou la Belgique. Votre livre laisse d’ailleurs entendre un tel danger. Que faire pour l’anticiper et y remédier ?
J-M.B : C’est vrai, alors que nous sommes nous-mêmes en bagarre avec les islamophobes, il faut bien que nous nous interrogions sur cette propagation de la foi wahhabite -la matrice du salafisme- en Europe. Et pas seulement là puisqu’avec la mobilité des hommes, une Afrique de l’ouest conquise aux préceptes de Doha fera rejaillir cette idéologie en France. Ce n’est pas combattre l’islam, c’est même lui être utile que de tirer le signal d’alarme. Puisque cette lecture du Coran est destructrice de toute harmonie, de toute compréhension et forme du bien vivre ensemble. Le wahhabisme ne peut s’accommoder d’un environnement qui ne lui soit pas semblable, c’est donc une cause permanente de conflit entre le fidèle qui doit se plier et l’infidèle qu’il faut éradiquer. Imaginez que, demain, on trouve sous le Vatican la plus grande réserve de gaz au monde… Et que le pape décide de financer au travers la planète les sectes catholiques les plus intégristes et radicales comme celles que nous voyons sur le pavé de Paris pour combattre le « mariage pour tous »… La vie deviendrait insupportable pour tout citoyen français épris de liberté.Tunisie-Secret.com
Interview réalisée par Samira Hendaoui
Considéré comme l’un des meilleurs Grands reporters en France, Jacques-Marie Bourget a commencé sa carrière à l’ORTF, devenu par la suite Radio France. Il a fait sa carrière au sein de l’Express, Paris-Match et VSD. Reporter de guerre, il a couvert le conflit du Viet Nam, celui du Liban, la première guerre du Golfe contre l’Irak, la guerre de Bosnie-Herzégovine, sans oublier la première et seconde Intifida. En octobre 2000, à Ramallah, il a été gravement blessé par un tir de l’armée israélienne, qui a par la suite compliqué son évacuation vers la France. C’est sur intervention ferme de Jacques Chirac auprès d’Ehud Barak qu’il a été finalement rapatrié en France.
C’est Jacques-Marie Bourget qui a révélé l’affaire Greenpeace, ce qui lui a valu le prix « Scoop » en 1986. Journaliste courageux et aux antipodes du médiatiquement et politiquement correct, il a été élevé par le président Jacques Chirac au rang de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur.
Jacques-Marie Bourget est aussi un écrivain. Il est l’auteur et coauteur d’une dizaine de livres, notamment « Des Affaires très spéciales, 1981-1985 », éditions Plon, 2000, et de Sabra et Chatila, au cœur du massacre », éditions Eric Bonnier, 2012.
L'interview
Tunisie-Secret : Nous allons commencer par la dernière polémique suscitée par votre livre, « Le vilain petit Qatar ». Dans une récente tribune au Nouvel Observateur, Pascal Boniface vous accuse d’avoir écrit un livre « entièrement à charge » contre cet émirat et regrette que sur 292 pages, il n’y ait pas « une seule phrase positive sur le Qatar ». Avez-vous manqué d’objectivité à l’égard de cette « démocratie islamiste » ?
Jacques-Marie Bourget : Cette « polémique » n’est qu’un artifice. Elle est soulevée par Pascal Boniface et ses amis dans le but unique de tromper le public et de lui faire entendre qu’il y a une façon positive d’exposer la politique du Qatar. Si nous avions écrit un livre sur la Belarusse, Boniface viendrait-il nous reprocher d’avoir écrit « un livre à charge ». Bien sûr que non. Pourtant à l’indice de démocratie dans le monde, publié par The Economist, la Belarusse est 135e et le Qatar 136e sur 157 pays classés ! Pour faire une caricature, l’objectivité vue par Boniface serait de faire une balance : pour ou contre Pol Pot, si jamais on parle de ce monstre de l’histoire. Nous n’avons pas écrit un pamphlet mais publié une enquête. Si le résultat parait rude, c’est que jusqu’à présent, par paresse, par manque d’intérêt ou par connivence, les politologues et journalistes avaient fermé les yeux sur les réalités de ce pays qui sont terribles.
T-S : Vous avez déclaré la semaine dernière sur I-Télé que les politiciens de droite comme la gauche sont complètement soumis aux caprices du Qatar. Comment expliquez-vous cette attitude de la part d’une classe politique censée protéger les intérêts de l’Etat et incarner la grandeur de la France ?
J-M.B : Il est exact, quand on reprend, avec des années de recul, la liste des pèlerins de Doha qui sont impliqués dans la vie politique française, on est choqué. Encore plus par la connivence entre les élus de gauche et le Qatar puisque ces représentants de la nation sont, a priori, au premier rang du combat pour « l’ingérence et les droits de l’homme ». Visiblement Ségolène Royal, Jack Lang, Bertrand Delanoë ou Yves Le Drian n’ont vu qu’humanisme et liberté à Doha alors que ce pays vit sans véritables lois, sans véritable constitution ; et qu’il interdit les associations, les syndicats, les partis politiques et, pour plus d’un million de travailleurs étrangers pratique une forme d’esclavage. Pour parler du Qatar il est nécessaire de trouver un nouveau vocabulaire, alors parlons de « dictature oubliée », c’est le terme qui convient.
Que cherchent donc tous ceux qui défilent à Doha ? Disons le crûment, de l’argent. Pour une minorité il s’agit de prébendes et de corruption, pour les autres, il s’agit de trouver un financement généreux à des projets permettant à ces élus de conserver le vote de leurs électeurs. Avec Nicolas Sarkozy, nous passons à une dimension stratosphérique puisque l’ancien président a pratiquement donné les clés de la « politique arabe » de la France à l’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani et à son premier ministre Hamad Ben Jassim. Mieux, les dossiers politiques et les dossiers financiers se sont tricotés les uns les autres jusqu’au sommet du mélange lors de la guerre contre la Libye où les 165 milliards de dollars du trésor de Kadhafi ont été convoités comme la poule aux œufs d’or … C’est Bachar Al-Assad qui a présenté à Sarkozy celui qui était alors son ami, cheikh Hamad. Et c’est ce dernier qui a introduit son « frère » Kadhafi auprès du président français. On jouait au Monopoly en vraie grandeur.
T-S : Dans votre livre, vous parlez d’OPA sur l’islam de France et vous écrivez que les « Qataris ont déjà leur vivier d’obligés. Il seront très utiles pour l’aboutissement du vrai plan banlieue, qui reste l’imposition du wahhabisme » (p.213). Si tel est leur objectif, qu’ont-ils à y gagner de plus, puisque la France répond déjà à tous leurs désirs ?
J-M.B : Le Qatar a une vraie vision messianique. Il veut, sous la férule du wahhabisme, réunir le plus grand nombre de croyants, créer sa oumma dont Doha serait le lieu saint. En France, enrôler le plus possible d’ouailles sous le giron d’Abdelwahhab, c’est à la fois grossir la communauté et prendre une partie du pouvoir puisque ces fidèles sont des citoyens français. Il faut rappeler qu’en Europe c’est en France que la communauté musulmane, que Nicolas Beau et moi-même respectons profondément, est la plus nombreuse. Finalement, pour Doha, il est plus facile d’avoir de l’influence par la religion que par l’investissement dans la pierre des beaux quartiers de Paris.
La loi de 1905, qui assure la laïcité, c'est-à-dire la séparation de l’église et de l’Etat, interdit au pouvoir public de fiancer des cultes. Il faut reconnaitre que cette disposition, qui a le mérite de faire de la croyance une affaire privée, est défavorable au culte musulman. Arrivé très tard sur le territoire, il ne peut bénéficier d’aides publiques pour satisfaire ses fidèles. Fermant les yeux, Paris a donc trouvé bien commode de laisser l’Arabie Saoudite puis le Qatar prendre en main « l’islam de France ». Il y a derrière ça pas mal d’hypocrisie.
T-S : Par-delà le choc du Trocadéro dans lequel certains analystes voient le signe avant-coureur d’un printemps arabe en France, pensez-vous que l’islamisme wahhabite menace réellement la stabilité de la France par la subversion de l’islam français ?
J-M.B : Le choc du Trocadéro, l’émeute qui a accompagné la célébration du titre du PSG, est symbolique. Mais il serait grossier de voir dans ces jeunes en colère les premier djihadistes réunis sous la bannière du Qatar et du PSG ! Non. Pour les « casseurs », le geste violent était une façon de dire « nous sommes chez nous, tout est à nous, et nous faisons ce que nous voulons puisque le Qatar possède tout ». C’est simpliste mais ce sentiment de partager la toute puissance de Doha sur la France était présent. Il faut savoir qu’en achetant le Paris-Saint-Germain, l’émir ne lit pas l’intitulé jusqu’au bout, il a acheté Paris. Point.
T-S : Sur le « printemps arabe » précisément, vous révéler dans votre livre (p.237) qu’en avril 2011, « l’émir en visite à Washington, sera remercié par le président Obama pour le rôle qu’il a joué dans les révolutions arabes ». Si ce rôle n’est plus un secret pour personne aujourd’hui, comment expliquez-vous cette alliance entre une si grande démocratie et une oligarchie tyrannique dont la chaîne Al-Jazeera n’appelle jamais les terroristes par leur nom et qui considère Ben Laden comme un « martyr » ?
J-M.B : Le lien entre les États-Unis et les mouvements religieux islamistes est une constante dans la politique américaine dont le slogan est « In god whe trust ». Depuis la deuxième guerre, Washington a systématiquement combattu toute tentative « moderne », « éclairée » touchant la politique d’un pays musulman. Cela va de Mossadegh chassé de Téhéran, au combat contre le parti Baas en passant par le harcèlement contre Nasser. Ainsi, les présidents américains, d’Eisenhower à Obama, apprécient les Frères Musulmans qui, pour eux, sont capables de faire régner l’ordre tout instaurant un système social fondé sur la dépendance à la charité. Un système politique idéal pour qui veut imposer le libéralisme économique. La limite de cet amour fou entre l’Amérique et les islamistes c’est Ben Laden, l’ami que l’on réchauffe dans son sein mais qui, à un certain moment, tel un monstre de Fritz Lang, échappe à son maître. En louant Ben Laden, Al-Jazzera rendait service à Washington puisque Al-Qaïda est un instrument idéal pour déstabiliser les pays musulmans et, à terme, pour « redessiner » la carte du monde, du Maroc à l’Iran.
T-S : Ce « printemps arabe » a commencé par la « révolution du jasmin ». Pour certains observateurs, notamment Eric Denécé ou Alain Chouet, les événements de janvier 2011 en Tunisie ont été une révolte sociale déguisée par les services américains et les bons offices qataris en révolution politique. Que pensez-vous de cette thèse que certains taxent de conspirationniste ?
J-M.B : Cette analyse ne relève pas de la « conspiration » puisqu’elle est celle de Washington. Et que des lendemains chantent déjà pour ces « révolutions » que l’on provoque en appuyant sur les clics d’Internet. Qui sera la prochaine cible ?
T-S : Vous avez parlé dans votre livre du rôle majeur que de jeunes blogueurs tunisiens ont joué dans cette « révolution du jasmin ». Vous avez même écrit que, « Ce qu’on ignorait, c’est que Mohamed Bouazizi, le marchand des quatre-saisons immolé en Tunisie, avait des amis qu’il ne connaissait pas. Des amis qui, bras dessus bras dessous avec Doha, travaillaient de longues date au basculement de la rive sud de la Méditerranée ». Qu’entendez-vous par là ?
J-M.B : La captation de la révolte des « printemps arabes » par des spécialistes de la guerre faite par le biais de Facebook et d’Internet plutôt que par des fusils est aujourd’hui un fait reconnu. Des experts ont abusé de la juste colère, de l’indignation et du désespoir des enragés de Tunisie ou d’Égypte. Le « débriefing » de ces opérations est publié dans les papiers de nombreux « think tanks ». On a accompagné la révolte pour, une fois le pouvoir libre, installer à sa place des Frères Musulmans tenus au chaud depuis des années. Al-Jazzera étant là pour les magnifier et les transformer en une assemblée de héros qui vont sauver la patrie.
T-S : Beaucoup d’observateurs étrangers ont été surpris par le succès des islamistes en Tunisie. Est-ce votre cas et comment expliquez-vous un tel triomphe au pays de Bourguiba, de l’émancipation de la femme, de la généralisation de l’enseignement… ?
J-M.B : En ce qui concerne la Tunisie, le succès des islamistes a été une surprise, par son importance. Le plus étonnant a été le choix des Tunisiens de France qui ont voté massivement pour Ennahda. Ce phénomène indique d’ailleurs le rôle joué dans l’hexagone par des pays comme le Qatar. Je m’explique, si on laisse le champ libre au wahhabisme, celui-ci touche aussi les Tunisiens de France et le serpent se mord alors la queue. Pourtant, il faut relativiser. Les forces vives de la révolte n’avaient rien de religieux, au contraire. Mais ces hommes et ces femmes, non organisés, pris en main par aucun courant historique ont été dépossédés de leur violence légitime sur laquelle on a appliqué le cataplasme islamique. Par ailleurs, dans n’importe quel pays, si on oppose dans un scrutin qui joue la comédie de la démocratie, ces révoltés inorganisés à des partis du genre de ceux des Frères musulmans, qui ont de l’argent et des cadres, des amis étrangers et une tradition politique, les indignés sont battus d’avance. C’est vrai que ce bouleversement tunisien est un choc dans un pays où, au travers des institutions, un vent de liberté et de réformes a commencé à souffler dès le XIXe siècle.
T-S : Certains pensent que l’islamisme au pouvoir est une étape obligatoire après laquelle le soleil de la démocratie brillera sur la Tunisie. Partagez-vous cette analyse ?
J-M.B : J’ai peut-être tort mais je suis convaincu que si les généraux algériens, qui ne sont ni des modèles ni des anges, n’avaient pas stoppé le FIS en 91, Alger serait, encore aujourd’hui, sous la coupe des intégristes religieux. On connait la chanson. Elle est poussée par ces pays occidentaux qui voient dans ces religieux de bons partenaires. Parfois on met en avant le « modèle turc », ou alors l’islam radical au pouvoir comme une « étape nécessaire » avant de passer à une vraie démocratie… Prenez exemple sur l’Iran, voilà près de 35 ans que les mollahs sont au pouvoir et ils ne semblent pas disposés à passer la main. La confusion entre un pouvoir et une religion est le principe même à refuser, il conduit aux ténèbres, au chaos. En Tunisie, si l’impuissance du pouvoir religieux conduit le pays à l’abime, il est à craindre que la phase finale se joue dans l’horreur d’une guerre civile.
T-S : En France, certains milieux de gauche comme de droite, sans parler de l’extrême droite, commencent à prendre au sérieux une contagion islamiste qui toucherait aussi bien votre pays que l’Allemagne ou la Belgique. Votre livre laisse d’ailleurs entendre un tel danger. Que faire pour l’anticiper et y remédier ?
J-M.B : C’est vrai, alors que nous sommes nous-mêmes en bagarre avec les islamophobes, il faut bien que nous nous interrogions sur cette propagation de la foi wahhabite -la matrice du salafisme- en Europe. Et pas seulement là puisqu’avec la mobilité des hommes, une Afrique de l’ouest conquise aux préceptes de Doha fera rejaillir cette idéologie en France. Ce n’est pas combattre l’islam, c’est même lui être utile que de tirer le signal d’alarme. Puisque cette lecture du Coran est destructrice de toute harmonie, de toute compréhension et forme du bien vivre ensemble. Le wahhabisme ne peut s’accommoder d’un environnement qui ne lui soit pas semblable, c’est donc une cause permanente de conflit entre le fidèle qui doit se plier et l’infidèle qu’il faut éradiquer. Imaginez que, demain, on trouve sous le Vatican la plus grande réserve de gaz au monde… Et que le pape décide de financer au travers la planète les sectes catholiques les plus intégristes et radicales comme celles que nous voyons sur le pavé de Paris pour combattre le « mariage pour tous »… La vie deviendrait insupportable pour tout citoyen français épris de liberté.Tunisie-Secret.com
Interview réalisée par Samira Hendaoui