Au 14 janvier, nous étions partis des revendications légitimes de l’Intifadha, faut-il le rappeler : Shoghl, Hourria, Karama Watania, constituent en peu de mots clairs et nets tout un programme cohérent à mettre en pratique dans la durée par une équipe compétente d’un gouvernement de salut patriotique. Bientôt trois ans passés, nous nous retrouvons à l’antipode de ces objectifs en plein chaos et pour cause. Le gouvernement actuel de transition loin d’initier les prémisses du changement, a décidé de mettre le cap ailleurs. Il a fini par se découvrir à la manière d’un train à l’arrêt en rase campagne. Le pays est bloqué dans l’impasse, tandis que les promoteurs de cette grave crise politique s’entêtent de jour en jour dans un déni aussi aberrant qu’extrêmement dangereux pour le pays.
Stress induit, terrorisme d’Etat
Le conflit actuel - sur fond de confrontations meurtrières avec des terroristes- passe aux oubliettes la question fondamentale: Quelle politique socioéconomique mettre en œuvre d’urgence dans un esprit de justice sociale et de répartition équitable entre les régions les plus défavorisées, par une administration allégée, compétente, privée et publique ? En réponse « à côté », parvient la voix nasillarde d’un vieillard coincé dans ses fantasmes grandiloquents : « Moi ou le chaos ! ». Il n’est pourtant pas sans savoir que d’autres avant lui avaient utilisé des menaces semblables avant d’être balayés par la volonté du peuple insurgé. Qui sème le vent, dit-on, récolte la tempête. Dans l’intervalle, la responsabilité politique et morale de la grave crise nationale échoit pleinement à l’action anarchique d’un pouvoir transitoire en pleine entropie.
C’est ainsi qu’une grande partie de la population demeure soumise à un climat de malaise général et de stress diffus aggravé de jour en jour par les effets de l’impasse politique au bord de l’explosion dont les évènements en Egypte risquent d’en être les précurseurs. Il n’est pas donné à tout un chacun de compter sur de solides ressources internes pour bien se prémunir contre le ballottement du cours instable de la réalité politique actuelle du pays. En matière d’aide, l’antidote à ce stress induit serait à rechercher, nous semble-t-il, moins sur le terrain clinique médical qu’à l’intersection précise entre la pratique quotidienne conséquente du politique au sein de l’action citoyenne et la pratique d’une hygiène de vie bien comprise. Paul Nizan disait si bien dans Aden Arabie : « Le faux courage attend les grandes occasions. Le vrai courage consiste chaque jour à vaincre les petits ennemis. »
Ceci donc est le contexte concret du malaise dont il faut tenir compte à l’heure de proposer une aide adaptée efficace à des personnes en souffrance. Certaines d’entre-elles d’ailleurs n’en demandent pas tant et se chargent elles-mêmes de gérer en dent-de-scie ce malaise induit dans leur quotidien. En revanche, d’autres en situation-limite alternent un passage par le creux de la vague suivi d’une bouffée par-dessus l’écume des jours. Tandis que les plus vulnérables qui risquent de garder la tête sous l’eau, ceux-là auraient besoin d’un secours spécifique. L’état d’équanimité cher à l’ami Matthieu Ricard cité en exergue, demeure une entreprise accessible à la condition d’y dédier des efforts soutenus de méditation dument guidés.
Prima non nocere
D’abord ne pas faire mal : sage rappel des anciens. Malgré le nombre statistiquement assez limité de la catégorie des personnes hautement vulnérables tributaires d’une prise en charge spécialisée conséquente, nous entendons dire ces jours-ci que les consultations médicales et psychiatriques ont atteint des sommets vertigineux entrainant une consommation excessive de produits pharmacologiques en tout genre. Les réponses aux plaintes protéiformes d’apparence psychiatriques et psychosomatiques risquent d’induire une médicalisation hâtive illégitime. De plus, parmi leurs effets secondaires, une accoutumance mal venue est à craindre de la plupart des produits administrés.
Comme alternative, certains conseillent une psychothérapie -individuelle s’entend. Ce service bénéficierait à des personnes plutôt fortunées. Celles-ci devraient alors recevoir un traitement selon les règles de l’art lequel implique une formation appropriée sur plusieurs années, suivie d’une certification en bonne et due forme ainsi qu’une supervision clinique de longue durée si on veut respecter les exigences de qualité de la profession. N’est pas psychothérapeute qui veut. Les écoles à l’étranger font légion mais l’improvisation et le charlatanisme abondent aussi. En tout état de cause, est-il question ici d’une demande de prise en charge individuelle dans une situation sociale chaotique caractérisée par un état de ni guerre ni paix ? En fait, qu’en est-il ?
Primauté du contexte
Définir un problème n’est pas le résoudre, loin de là, mais encore faut-il d’abord en saisir la définition adéquate. Il serait regrettable, nocif même, d’extrapoler par préconception ce phénomène précis de stress induit pour le réduire et le traduire ensuite sur le registre des symptômes psychopathologiques sous l’étiquette de « trauma » (PTSD) empruntée à la grille de lecture du DSM-IV [document de référence diagnostique obligé des spécialistes de la santé mentale]. Car, l’actuelle crise grave à point de départ politique est de toute évidence pluridimensionnelle et surdéterminée avec un retentissement global sur l’ensemble de la vie économique, sociale, culturelle, familiale, relationnelle et de surcroit psychoaffective des citoyens(es).
C’est au sein de ce contexte complexe politique situationnel précis hautement déstabilisant qu’il faudrait plutôt chercher à comprendre en particulier l’expression vécue du stress en question –dans une perspective d’intégration de l’ensemble associé de ses données– avant d’envisager un éventail de réponses parmi les mieux appropriées dans l’espoir d’atténuer la souffrance induite.
En pratique
Certains praticiens de la santé mentale saisis par des demandes urgentes d’aide peuvent être tentés d’agir au plus pressé à point de départ d’un savoir psychiatrique occidental d’emprunt (DSM-IV) pour avancer un diagnostique suivi d’une conduite à tenir médicalisée. Les plaintes vives et complexes ainsi traduites en symptomatologie psychiatrique s’effritent à travers une grille de lecture linéaire immuable –toutefois sécurisante pour le praticien. Le modèle médical tient compte essentiellement de l’individu considéré comme atteint d’une anomalie à traiter. Or, nous sommes en présence d’une réalité humaine complexe, largement partagée et non pas une affection singulière tributaire d’un simple traitement médicamenteux. Quand bien même, sachant que la personne en souffrance puisse souvent exprimer une demande corrompue car induite en termes symptomatiques médicaux, c’est au praticien averti et alerte d’aider la personne à critiquer sa propre demande pour la redéfinir en lui apportant du sens sur un mode phénoménologique humanisant de la narration subjective afin d’atteindre une mise en relation adéquate entre le signifiant et signifié du discours.
Rappelons que la question posée au départ concerne fondamentalement la population concrète heurtée de plein fouet par des événements cataclysmiques -un assassinat politique aggravé par un second dans les mêmes conditions- qui ont submergé la nation entière dans un deuil collectif avec des réactions initiales de stupeur et de désarroi au jour fatidique du 6 février. L’objectif des commanditaires de crimes politiques est de créer la peur et la panique en vue de fragmenter et atomiser la population pour l’affaiblir et la domestiquer, chacun citoyen(ne) supposé(e) se réfugier chez soi en vase clos. Prenant ces commanditaires à revers, la population rebelle s’était mobilisée spontanément pour accompagner les cortèges funèbres des 8 février et 27 juillet. Ce furent de véritables marches populaires massives, images marquantes, indélébiles de tout un peuple en révolte, solidaire dans la douleur et le deuil.
A ce stade du vécu tragique partagé au sein de l’agora, s’opère la fusion de la dimension individuelle par sa mise en relation essentielle au sein d’un Nous vital berceau d’une parfaite communion. Les larmes versées se fondent et se confondent. l’Autre est un autre moi-même. Les regards entre inconnu/reconnu s’échangent dans une complicité confraternelle. Corrélativement, la dynamique du partage dans ce contexte de tragédie nationale pourrait offrir un cadre favorable au dépassement collectif du deuil et du stress induit. Reste à en cerner le contour et en dérouler le processus.
La plainte liée aux évènements dont les effets auraient ébranlé les défenses d’une personne particulière se reflète par ricochet au sein du groupe familial et au-delà, dans la communauté entière. Raison de plus s’il s’agit à fortiori d’une personne elle-même déjà fragile au départ. La primauté revient donc impérativement au contexte comme étant le référent par excellence avant de faire appel aux différentes ressources internes et externes à la fois personnelles, familiales et communautaires dans une perspective de recherche créative de stratégies afin d’atténuer la souffrance, en particulier celle des personnes vulnérables et hautement vulnérables. Nous essayerons sous peu par quelques indications d’apporter une modeste contribution à l’effort commun pour alléger ces souffrances afin de rejoindre ensemble le bout de la nuit.Tunisie-Secret
Rashid Sherif, spécialiste de la santé mentale intégrée/intégrale par une approche systémique.
[A suivre… Patria Vs Kaos (III) : Au bout de la nuit]
Stress induit, terrorisme d’Etat
Le conflit actuel - sur fond de confrontations meurtrières avec des terroristes- passe aux oubliettes la question fondamentale: Quelle politique socioéconomique mettre en œuvre d’urgence dans un esprit de justice sociale et de répartition équitable entre les régions les plus défavorisées, par une administration allégée, compétente, privée et publique ? En réponse « à côté », parvient la voix nasillarde d’un vieillard coincé dans ses fantasmes grandiloquents : « Moi ou le chaos ! ». Il n’est pourtant pas sans savoir que d’autres avant lui avaient utilisé des menaces semblables avant d’être balayés par la volonté du peuple insurgé. Qui sème le vent, dit-on, récolte la tempête. Dans l’intervalle, la responsabilité politique et morale de la grave crise nationale échoit pleinement à l’action anarchique d’un pouvoir transitoire en pleine entropie.
C’est ainsi qu’une grande partie de la population demeure soumise à un climat de malaise général et de stress diffus aggravé de jour en jour par les effets de l’impasse politique au bord de l’explosion dont les évènements en Egypte risquent d’en être les précurseurs. Il n’est pas donné à tout un chacun de compter sur de solides ressources internes pour bien se prémunir contre le ballottement du cours instable de la réalité politique actuelle du pays. En matière d’aide, l’antidote à ce stress induit serait à rechercher, nous semble-t-il, moins sur le terrain clinique médical qu’à l’intersection précise entre la pratique quotidienne conséquente du politique au sein de l’action citoyenne et la pratique d’une hygiène de vie bien comprise. Paul Nizan disait si bien dans Aden Arabie : « Le faux courage attend les grandes occasions. Le vrai courage consiste chaque jour à vaincre les petits ennemis. »
Ceci donc est le contexte concret du malaise dont il faut tenir compte à l’heure de proposer une aide adaptée efficace à des personnes en souffrance. Certaines d’entre-elles d’ailleurs n’en demandent pas tant et se chargent elles-mêmes de gérer en dent-de-scie ce malaise induit dans leur quotidien. En revanche, d’autres en situation-limite alternent un passage par le creux de la vague suivi d’une bouffée par-dessus l’écume des jours. Tandis que les plus vulnérables qui risquent de garder la tête sous l’eau, ceux-là auraient besoin d’un secours spécifique. L’état d’équanimité cher à l’ami Matthieu Ricard cité en exergue, demeure une entreprise accessible à la condition d’y dédier des efforts soutenus de méditation dument guidés.
Prima non nocere
D’abord ne pas faire mal : sage rappel des anciens. Malgré le nombre statistiquement assez limité de la catégorie des personnes hautement vulnérables tributaires d’une prise en charge spécialisée conséquente, nous entendons dire ces jours-ci que les consultations médicales et psychiatriques ont atteint des sommets vertigineux entrainant une consommation excessive de produits pharmacologiques en tout genre. Les réponses aux plaintes protéiformes d’apparence psychiatriques et psychosomatiques risquent d’induire une médicalisation hâtive illégitime. De plus, parmi leurs effets secondaires, une accoutumance mal venue est à craindre de la plupart des produits administrés.
Comme alternative, certains conseillent une psychothérapie -individuelle s’entend. Ce service bénéficierait à des personnes plutôt fortunées. Celles-ci devraient alors recevoir un traitement selon les règles de l’art lequel implique une formation appropriée sur plusieurs années, suivie d’une certification en bonne et due forme ainsi qu’une supervision clinique de longue durée si on veut respecter les exigences de qualité de la profession. N’est pas psychothérapeute qui veut. Les écoles à l’étranger font légion mais l’improvisation et le charlatanisme abondent aussi. En tout état de cause, est-il question ici d’une demande de prise en charge individuelle dans une situation sociale chaotique caractérisée par un état de ni guerre ni paix ? En fait, qu’en est-il ?
Primauté du contexte
Définir un problème n’est pas le résoudre, loin de là, mais encore faut-il d’abord en saisir la définition adéquate. Il serait regrettable, nocif même, d’extrapoler par préconception ce phénomène précis de stress induit pour le réduire et le traduire ensuite sur le registre des symptômes psychopathologiques sous l’étiquette de « trauma » (PTSD) empruntée à la grille de lecture du DSM-IV [document de référence diagnostique obligé des spécialistes de la santé mentale]. Car, l’actuelle crise grave à point de départ politique est de toute évidence pluridimensionnelle et surdéterminée avec un retentissement global sur l’ensemble de la vie économique, sociale, culturelle, familiale, relationnelle et de surcroit psychoaffective des citoyens(es).
C’est au sein de ce contexte complexe politique situationnel précis hautement déstabilisant qu’il faudrait plutôt chercher à comprendre en particulier l’expression vécue du stress en question –dans une perspective d’intégration de l’ensemble associé de ses données– avant d’envisager un éventail de réponses parmi les mieux appropriées dans l’espoir d’atténuer la souffrance induite.
En pratique
Certains praticiens de la santé mentale saisis par des demandes urgentes d’aide peuvent être tentés d’agir au plus pressé à point de départ d’un savoir psychiatrique occidental d’emprunt (DSM-IV) pour avancer un diagnostique suivi d’une conduite à tenir médicalisée. Les plaintes vives et complexes ainsi traduites en symptomatologie psychiatrique s’effritent à travers une grille de lecture linéaire immuable –toutefois sécurisante pour le praticien. Le modèle médical tient compte essentiellement de l’individu considéré comme atteint d’une anomalie à traiter. Or, nous sommes en présence d’une réalité humaine complexe, largement partagée et non pas une affection singulière tributaire d’un simple traitement médicamenteux. Quand bien même, sachant que la personne en souffrance puisse souvent exprimer une demande corrompue car induite en termes symptomatiques médicaux, c’est au praticien averti et alerte d’aider la personne à critiquer sa propre demande pour la redéfinir en lui apportant du sens sur un mode phénoménologique humanisant de la narration subjective afin d’atteindre une mise en relation adéquate entre le signifiant et signifié du discours.
Rappelons que la question posée au départ concerne fondamentalement la population concrète heurtée de plein fouet par des événements cataclysmiques -un assassinat politique aggravé par un second dans les mêmes conditions- qui ont submergé la nation entière dans un deuil collectif avec des réactions initiales de stupeur et de désarroi au jour fatidique du 6 février. L’objectif des commanditaires de crimes politiques est de créer la peur et la panique en vue de fragmenter et atomiser la population pour l’affaiblir et la domestiquer, chacun citoyen(ne) supposé(e) se réfugier chez soi en vase clos. Prenant ces commanditaires à revers, la population rebelle s’était mobilisée spontanément pour accompagner les cortèges funèbres des 8 février et 27 juillet. Ce furent de véritables marches populaires massives, images marquantes, indélébiles de tout un peuple en révolte, solidaire dans la douleur et le deuil.
A ce stade du vécu tragique partagé au sein de l’agora, s’opère la fusion de la dimension individuelle par sa mise en relation essentielle au sein d’un Nous vital berceau d’une parfaite communion. Les larmes versées se fondent et se confondent. l’Autre est un autre moi-même. Les regards entre inconnu/reconnu s’échangent dans une complicité confraternelle. Corrélativement, la dynamique du partage dans ce contexte de tragédie nationale pourrait offrir un cadre favorable au dépassement collectif du deuil et du stress induit. Reste à en cerner le contour et en dérouler le processus.
La plainte liée aux évènements dont les effets auraient ébranlé les défenses d’une personne particulière se reflète par ricochet au sein du groupe familial et au-delà, dans la communauté entière. Raison de plus s’il s’agit à fortiori d’une personne elle-même déjà fragile au départ. La primauté revient donc impérativement au contexte comme étant le référent par excellence avant de faire appel aux différentes ressources internes et externes à la fois personnelles, familiales et communautaires dans une perspective de recherche créative de stratégies afin d’atténuer la souffrance, en particulier celle des personnes vulnérables et hautement vulnérables. Nous essayerons sous peu par quelques indications d’apporter une modeste contribution à l’effort commun pour alléger ces souffrances afin de rejoindre ensemble le bout de la nuit.Tunisie-Secret
Rashid Sherif, spécialiste de la santé mentale intégrée/intégrale par une approche systémique.
[A suivre… Patria Vs Kaos (III) : Au bout de la nuit]