Si l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) se penchait sérieusement sur le cas de Gabès, elle n’hésiterait pas à déclarer toute la région zone sinistrée et inhabitable pour au moins cinquante ans. Ce qui s’y passe est un crime abominable, comparable à Hiroshima après la seconde guerre mondiale, à Tchernobyl les dix premières années qui ont suivies la catastrophe nucléaire de 1986, ou encore à la ville irakienne de Fallujah après sa destruction à l’uranium appauvri en 2003. Une intervention de l’OMS serait d’autant plus urgente et légitime que la Tunisie fait partie des pays ayant ratifiés la convention de Londres (1973) et celle de Barcelone (1976) pour la lutte contre la pollution.
Cette comparaison avec Hiroshima, Tchernobyl ou Fallujah n’est ni farfelue ni abusive, puisque 10 tonnes de phosphate traité contiennent 1 gramme d’uranium. Or, depuis 1972, année du démarrage de l’exploitation, des millions de tonnes de phosphate ont été traité par le Groupe chimique tunisien. Rien qu’en 2009, 10 millions de tonnes de phosphate y ont été traité.
Gabès méritait-elle un tel destin ? Appelée dans l’Antiquité « La capitale de la mer », Gabès est l’une des plus vieilles villes du monde. Certains auteurs grecs de l’Antiquité la désignent comme étant l’endroit où a été engloutie l’Atlantide. Développée par les Berbères bien avant les Phéniciens, elle fut au début de l’ère chrétienne l’un des plus importants pôles de rayonnement du christianisme, devenant même le siège d’un archevêché. Beaucoup de Juifs fuyants la persécution des catholiques en Espagne y trouvèrent un refuge. Dans les années 1920 à 1950, elle est considérée comme l’une des plus grandes villes agricole de Tunisie. Aujourd’hui, Gabès est l’une des villes les plus polluées au monde ! A qui la faute ?
Le Groupe Chimique Tunisien, une manne financière pour les mafias successives
La Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) est l’entreprise publique tunisienne d'extraction de phosphates dont l’activité remonte à 1897. La CPG exploite sept carrières à ciel ouvert dans la région de Gafsa ainsi qu’une mine souterraine. Depuis un demi-siècle, les phosphates extraits font aussi l’objet d’une « valorisation » en divers engrais minéraux par le Groupe Chimique Tunisien (GCT). En 1994, les deux sociétés ont fusionné au sein d’une même holding. Un seul ensemble étatique détient ainsi le monopole de l’extraction et de la transformation de ce minerai.
Jusqu’au coup d’Etat de janvier 2011, avec une production de près de 8 millions de tonnes en 2010, la Tunisie était le 5ème pays producteur de phosphates dans le monde, derrière la Chine, les États-Unis, le Maroc et la Russie. La même année, 7,5 millions de tonnes étaient vendus à l’exportation, représentant ainsi près de 10% des exportations tunisiennes pour un montant de plus d’1 Md€ (chiffre officiel). Selon nos propres sources, fuitées de la GCT, le chiffre d’affaire de cette entreprise publique a dépassé les 3 milliards de dinars en 2010. En 2009, le chiffre d’affaires avoisinait les 3,5 milliards dinars, avec un bénéfice net de 1,9 milliards de dinars. Mieux encore, lorsque le dinar équivalait le dollar, la GCT faisait un chiffre d’affaire pas loin des 5 milliards de dinars. A la même époque, le budget de l’Etat était de 16 milliards de dinars ! Beaucoup de Tunisiens ignorent que le Groupe Chimique Tunisien constitue la première source de revenus en devises, avant le tourisme, le pétrole ou l’exportation d’agrumes, d’huile d’olive et de dattes.
A l’époque de Ben Ali, une bonne partie de cette masse d’argent était directement transférée de l’Inde et de la Turquie, les deux principaux importateurs du phosphate tunisien, vers des comptes secrets en Europe, sans parler des commissions occultes sur toutes les transactions. Après la « révolution » de la « dignité » que la corruption a générée, la même pratique s’est perpétuée sous le gouvernement de Béji Caïd Essebsi, celui de la troïka et celui des « technocrates » de Mehdi Jomaa. Mais les comptes secrets ont changé de destinataires !
En 2011, la Turquie importait 90% de ses besoins en phosphates de Tunisie, l’Europe 25% et l’Inde 20%. L’Inde est historiquement le 1er client de la Tunisie, devant la Turquie et l’Iran. La Tunisie était également le deuxième pays au monde à « valoriser » un grand pourcentage de sa production de phosphates (près de 80%). Le GCT compte quatre pôles industriels situés dans des zones sensibles: à Sfax et M'dhilla, Gabès (usines d'acide phosphorique et ammonitrate entre autres) et près du port pétrolier de la Skhira (usine d'acide phosphorique)
Le Groupe Chimique Tunisien côté vitrine phosphorescente
Selon le Service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie, dans sa publication de novembre 2013, dans une fiche intitule « Tunisie : le secteur clé des phosphates », le secteur du phosphate « occupe une place importante dans l'économie tunisienne, tant au niveau de l'emploi qu'au niveau de la balance commerciale. Il représentait ainsi près de 4% du PIB en 2010. Il assurait également l’emploi direct de près de 5000 personnes en 2012 et de nombreux emplois indirects, notamment dans le transport ferroviaire et maritime, et la sous-traitance… Sur 2011 et 2012, le chiffre d’affaires du Groupe s'est effondré de 66% et plusieurs agences de notation ont dégradé la note de la compagnie: 700 M€ en 2012, contre 2,1 Mds€ en 2010. Les exportations de phosphates ont chuté de 23,5% entre 2010 et 2012, et ne représentent plus que 6% des exportations (pour un montant de 800 M€). La CPG a enregistré une dégradation importante de sa production pour l’année 2012, avec environ 2,6 Mi tonnes de phosphate commercial extraites, soit une chute de 60% par rapport à la moyenne des années précédentes (8 Mi tonnes)…
Le Ministère du Développement et de la Coopération Internationale, porté par l’augmentation de la demande mondiale de phosphates à l’horizon 2016-2017, a ainsi planifié plusieurs projets d’investissement à moyen terme. Le gisement de Sra Ouertane : Projet d’extraction, de transformation et d’exploitation des phosphates dans le gouvernorat du Kef, ce gisement contiendrait près de 5 Mds tonnes de minerais phosphatés. Le gouvernement prévoit des unités d’extraction, de transformation, ainsi que l’implantation des infrastructures requises pour l’exportation (voie ferrée, site portuaire, etc.), pour un coût d’investissement évalué à plus de 2 Md €. La mine Nefta-Tozeur : l’extraction, l’exploitation et la transformation de la mine Nefta-Tozeur à 12 km de la partie ouest de Tozeur, pour un coût d’environ 780 M€ est également prévue. L’étude technique du projet d'exploitation de phosphate du Djerid est en cours d’élaboration par le Ministère de l’Industrie. La BEI a apporté son soutien pour de nouveaux projets. Elle a ainsi signé en 2011 un prêt de 140 M EUR en soutien à la construction d’une usine d’engrais sur l’un des sites du GCT, à Mdhilla. Elle est également chef de file sur le projet de dépollution des résidus de phosphogypse dans le golfe de Gabès (100 M€ maximum). Enfin, la SNCFT prévoit en parallèle la rénovation des voies ferrées servant notamment au transport de la production de phosphates, entre Gafsa et Sfax. Ce projet bénéficie d’un important soutien politique du gouvernement tunisien. La portion Gafsa-Gabès bénéficie d’un don FASEP du Trésor français pour les études et pourrait faire l’objet d’un financement concessionnel de 43 M€ via la Réserve Pays Emergent. »
Le Groupe Chimique Tunisien côté sombre
Ce large extrait de la fiche du Service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie ne fait aucune mention du désastre écologique induit par le traitement du phosphate par le Groupe Chimique Tunisien, ni de la catastrophe humanitaire. L’écologie, serait-elle un souci majeur en France et une préoccupation mineure en Tunisie ? Si les dégâts se limitaient uniquement à la biosphère et à l’écosphère, cela se comprendrait dans un pays arabe ! Mais dans le cas de Gabès, il ne s’agit pas seulement de la vie des micro-organismes, des tomates, des carottes et des poissons. Il s’agit de la survie et de la santé des 350 000 habitants de cette ville dont le ciel est asphyxié par divers poisons, la terre contaminée par de multiples produits chimiques et la mère polluée par des substances d’une extrême nuisance, y compris radioactives.
Une vague allusion est faite à la dépollution des résidus de phosphogypse dans le futur projet de construction d’une usine d’engrais sur l’un des sites du GCT, à Mdhilla. C’est que non seulement on ne compte pas stopper un génocide écologique et humain qui dure depuis plus de quarante ans à Gabès, mais on projette de le reproduire à Nefta, à Mdhilla ainsi que dans le gouvernorat du Kef !
Il faut savoir que chaque année, la production annuelle du phosphogypse, qui contient des particules radioactives, est estimée à dix millions de tonnes (voir notre vidéo). Stérilité, cancers, malformations, hépatite B, asthmes et ostéoporoses… affectent la santé de 350 000 personnes. En 2012, non sans raison, des chercheurs de l’Institut National Scientifique et Technique d’Océanographie et de Pêche (INSTOP) n’ont pas hésité de qualifier la situation sanitaire de Gabès de « génocide urbain ».
Il n’est pas nécessaire d’être chercheur de cet institut pour constater le calvaire que vivent, forcés et contraints, les habitants de Gabès, et même au-delà. En arrivant de Tunis, juste après la ville de Kairouan, n’importe quel automobiliste peut constater l'œil nu la pollution atmosphérique. Un nuage épais couvre le ciel de Gabès dans un rayon de 80 Km. Un nuage de gaz de radon et de poussières chargées de microparticules chimiques et de métaux, notamment le cuivre, le chrome, le zinc, le souffre, l’acide, l’uranium… autant de poisons qui se logent dans les gorges et les poumons des citoyens condamnés à respirer cet air mortel.
Le phosphate tunisien, richesse ou malédiction ?
Seuls à avoir enquêtés sur ce génocide écologiques et humain, dans un article intitulé « Gabès, cité antique de Takapes : une terre maudite ? », daté du 5 juin 2013, nos confrères de Nawaat écrivent que « les palmiers agonisants sont témoin d’un oasis de paix qui s’est transformé par la force du temps en oasis holocauste. Bien qu’ils soient tachetés de noir, ils ne cessent de rappeler aux villageois le beau vieux temps. Délaissés, certains d’entre eux sont aujourd’hui l’ombre de ce qu’ils étaient il y a trois décennies. Tel un vieillard, beaucoup sont ceux qui se sont inclinés. Le sol, pollué par les rayons Gama, par le mercure et par le sélénium, constitue la racine même de la diminution de la biodiversité de ce golfe. N’arrivant plus à tendre le tronc, ils donnent l’impression de s’incliner devant l’absorption du poison chimique. Vestige d’un passé révolu, ces végétations sombrent dans l’arbitraire des choix humains. La ville de l’oubli est celle ou les gaz toxiques étouffent la vie au quotidien.
Et Nawaat de citer un responsable de l’Association d’Entretien de l’Oasis de la Plage d’Essalam : « Pendant les quarante dernières années, les deux tiers des palmiers sont disparus ». En effet, des spécialistes confirment que « la biodiversité a gravement diminué». L’industrie l’emporte sur l’agriculture. « En 1956, il y avait plus que deux cent cinquante espèces zoo benthiques. Trente-cinq ans après, le nombre a baissé à cinquante ». Toujours selon Nawaat, « la zone chimique secrète une odeur de charogne. Fétide, elle déclenche des crises d’asthme. Des analyses ont démontré que 60% de ceux qui ont subi un test médical ont un taux élevé de fluor. Un constat lourd de conséquence d’autant qu’il prouve la prolifération de certaines maladies chroniques. Selon le médecin M. Béchir, membre de la commission régionale de la santé et de la sécurité professionnelle, « les autorités évitent de mener une étude sérieuse du phénomène parce qu’elles craignent l’opinion nationale et internationale ».
Il faut savoir que pour produire une tonne d’acide phosphorique à partir du phosphate, les usines rejettent 5 tonnes de phosphogypse en mer. Comme on l’a déjà indiqué, le phosphogypse est une matière radioactive. Par ailleurs, la production journalière d’acide phosphorique des ICM est de 2250 tonnes par jour, d’où un rejet de 11250 tonnes par jour. Il y a 1420 mètres cubes d’eau/heure, contenant les impuretés des minerais de phosphate traités, qui sont évacuées en mer quotidiennement. Et cela dure depuis quatre décennies. L’implantation de la CPG a été décidée en 1968 par Ahmed Ben Salah. L’exploitation de l’usine a commencé en 1972 sous le premier ministère d’Hédi Nouira.
Le Groupe Chimique Tunisien utilise 25 000 mètres cubes d’eau par jour, directement puisé dans la nappe phréatique. Il rejette dans la Méditerranée 22 000 mètres cubes d’eau polluée et extrêmement toxique. Les fonds marins sont totalement disparus et, selon S.K, un scientifique de l’Institut National Scientifique et Technique d’Océanographie et de Pêche (INSTOP), il faudrait pas moins d’un demi-siècle pour les revivifier. La zone marine affectée s’étend sur 90 Km, touchant donc la région touristique de Djerba.
On précisera ici que le processus de transformation du phosphate acheminé du bassin minier de Gafsa en acide phosphorique consiste à faire bouillir ce phosphate à des degrés élevés. Du phosphate, on extrait également l’acide sulfurique, en recourant au souffre que la GCT importe d’Arabie Saoudite. C’est ce que le Service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie appelle « valorisation du phosphate » !
Ces deux acides, le phosphorique et le sulfurique, sont vendu principalement à l’Inde, l’un des rares pays à l’importer pour l’utiliser dans le domaine agricole (en Europe et aux Etats-Unis, c’est strictement interdit). Avec une population d’1,21 milliard d’habitants, cette grande « démocratie » s’en fout comme de l’an 40 de la santé publique. Comme la jeune « démocratie » tunisienne dont la population ne dépasse pas les 11 millions d’habitants.
Gabès concentre les taux de cancer et de stérilité les plus élevés
C’est le cancer des os qui fait le plus de victimes à cause du fluore. Dans toute la région de Gabès, les scientifiques ont dénombré 114 types de cancer dont certains sont inconnus ailleurs dans le monde. Chatt Assalem et Ghannouch sont les deux villes qui ont massivement voté pour Ennahda : 97% à Chatt Assalem et 92% à Ghannouch dont le « cheikh » du parti islamiste dit en être originaire. Mais ce sont aussi les deux villes où l’on compte le plus de cas cancéreux ! Si Ben Ali est accusé d’avoir délaissé cette région, qu’a fait Rached Ghannouchi pour les martyrs du Groupement Chimique Tunisien ? Rien de plus qu’aux « martyrs » de la « révolution » !
A Gabès, on compte aussi près de 6000 cas d’hépatite B. Egalement le plus grand taux de malformation à la naissance. Du moins ceux qui ont la « chance » de naitre ! Autrefois, dans les écoles primaires de Chatt Essalem et Ghannouch, on comptait entre 25 et 30 élèves par classe. A la rentrée scolaire de 2014, les classes ne comptaient plus qu’entre 8 et 12 élèves. Pourquoi, parce que ces deux villes enregistrent le record national de stérilité, un tabou dont on ne parle guère, alors que les causes sont évidentes.
Alors que Gabès endure un génocide écologique et humain sans précédent en Tunisie et même dans toute l’Afrique, le Groupe Chimique Tunisien verse dans la diversion et l’affabulation la plus criante. Sur son site officiel, dont le design et le contenu n’ont pas changé depuis l’ère Ben Ali, on peut lire cette littérature aussi indigeste que les tomates « biologique » de Gabès : « Après une longue période d'exportation du phosphate brut, la Tunisie s'est orientée vers la transformation et la valorisation de ce minerai, par l'implantation d'une industrie locale de production d'acide phosphorique et d'engrais, et ce au sein du Groupe Chimique Tunisien. La Tunisie est le deuxième pays au monde à valoriser un grand pourcentage de sa production de phosphate naturel (85%)…
Les installations industrielles contribuent d'une manière significative à la promotion et au développement des diverses régions du sud Tunisien. Parallèlement au développement de l'industrie phosphatière en Tunisie et afin de satisfaire les normes nationales et internationales les plus strictes en matière de protection de l’environnement, le GCT a mis au point un vaste programme de lutte contre la pollution dans tous les centres de production visant à contenir les rejets atmosphériques et solides… »
En attendant ce chimérique « vaste programme de lutte contre la pollution », les citoyens de Gabès et les Tunisiens en général doivent faire acte de citoyenneté en sanctionnant d’ores et déjà électoralement Ennahda et ses deux complices de la troïka. Comme ils doivent saisir l’OMS et d’autres ONG écologistes pour arrêter ce génocide et juger ses auteurs…les anciens de l’époque bénalienne, comme les nouveaux de l’ère ghannouchienne et marzoukienne.
Nebil Ben Yahmed, avec la collaboration de Lilia Ben Rejeb
Cette comparaison avec Hiroshima, Tchernobyl ou Fallujah n’est ni farfelue ni abusive, puisque 10 tonnes de phosphate traité contiennent 1 gramme d’uranium. Or, depuis 1972, année du démarrage de l’exploitation, des millions de tonnes de phosphate ont été traité par le Groupe chimique tunisien. Rien qu’en 2009, 10 millions de tonnes de phosphate y ont été traité.
Gabès méritait-elle un tel destin ? Appelée dans l’Antiquité « La capitale de la mer », Gabès est l’une des plus vieilles villes du monde. Certains auteurs grecs de l’Antiquité la désignent comme étant l’endroit où a été engloutie l’Atlantide. Développée par les Berbères bien avant les Phéniciens, elle fut au début de l’ère chrétienne l’un des plus importants pôles de rayonnement du christianisme, devenant même le siège d’un archevêché. Beaucoup de Juifs fuyants la persécution des catholiques en Espagne y trouvèrent un refuge. Dans les années 1920 à 1950, elle est considérée comme l’une des plus grandes villes agricole de Tunisie. Aujourd’hui, Gabès est l’une des villes les plus polluées au monde ! A qui la faute ?
Le Groupe Chimique Tunisien, une manne financière pour les mafias successives
La Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) est l’entreprise publique tunisienne d'extraction de phosphates dont l’activité remonte à 1897. La CPG exploite sept carrières à ciel ouvert dans la région de Gafsa ainsi qu’une mine souterraine. Depuis un demi-siècle, les phosphates extraits font aussi l’objet d’une « valorisation » en divers engrais minéraux par le Groupe Chimique Tunisien (GCT). En 1994, les deux sociétés ont fusionné au sein d’une même holding. Un seul ensemble étatique détient ainsi le monopole de l’extraction et de la transformation de ce minerai.
Jusqu’au coup d’Etat de janvier 2011, avec une production de près de 8 millions de tonnes en 2010, la Tunisie était le 5ème pays producteur de phosphates dans le monde, derrière la Chine, les États-Unis, le Maroc et la Russie. La même année, 7,5 millions de tonnes étaient vendus à l’exportation, représentant ainsi près de 10% des exportations tunisiennes pour un montant de plus d’1 Md€ (chiffre officiel). Selon nos propres sources, fuitées de la GCT, le chiffre d’affaire de cette entreprise publique a dépassé les 3 milliards de dinars en 2010. En 2009, le chiffre d’affaires avoisinait les 3,5 milliards dinars, avec un bénéfice net de 1,9 milliards de dinars. Mieux encore, lorsque le dinar équivalait le dollar, la GCT faisait un chiffre d’affaire pas loin des 5 milliards de dinars. A la même époque, le budget de l’Etat était de 16 milliards de dinars ! Beaucoup de Tunisiens ignorent que le Groupe Chimique Tunisien constitue la première source de revenus en devises, avant le tourisme, le pétrole ou l’exportation d’agrumes, d’huile d’olive et de dattes.
A l’époque de Ben Ali, une bonne partie de cette masse d’argent était directement transférée de l’Inde et de la Turquie, les deux principaux importateurs du phosphate tunisien, vers des comptes secrets en Europe, sans parler des commissions occultes sur toutes les transactions. Après la « révolution » de la « dignité » que la corruption a générée, la même pratique s’est perpétuée sous le gouvernement de Béji Caïd Essebsi, celui de la troïka et celui des « technocrates » de Mehdi Jomaa. Mais les comptes secrets ont changé de destinataires !
En 2011, la Turquie importait 90% de ses besoins en phosphates de Tunisie, l’Europe 25% et l’Inde 20%. L’Inde est historiquement le 1er client de la Tunisie, devant la Turquie et l’Iran. La Tunisie était également le deuxième pays au monde à « valoriser » un grand pourcentage de sa production de phosphates (près de 80%). Le GCT compte quatre pôles industriels situés dans des zones sensibles: à Sfax et M'dhilla, Gabès (usines d'acide phosphorique et ammonitrate entre autres) et près du port pétrolier de la Skhira (usine d'acide phosphorique)
Le Groupe Chimique Tunisien côté vitrine phosphorescente
Selon le Service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie, dans sa publication de novembre 2013, dans une fiche intitule « Tunisie : le secteur clé des phosphates », le secteur du phosphate « occupe une place importante dans l'économie tunisienne, tant au niveau de l'emploi qu'au niveau de la balance commerciale. Il représentait ainsi près de 4% du PIB en 2010. Il assurait également l’emploi direct de près de 5000 personnes en 2012 et de nombreux emplois indirects, notamment dans le transport ferroviaire et maritime, et la sous-traitance… Sur 2011 et 2012, le chiffre d’affaires du Groupe s'est effondré de 66% et plusieurs agences de notation ont dégradé la note de la compagnie: 700 M€ en 2012, contre 2,1 Mds€ en 2010. Les exportations de phosphates ont chuté de 23,5% entre 2010 et 2012, et ne représentent plus que 6% des exportations (pour un montant de 800 M€). La CPG a enregistré une dégradation importante de sa production pour l’année 2012, avec environ 2,6 Mi tonnes de phosphate commercial extraites, soit une chute de 60% par rapport à la moyenne des années précédentes (8 Mi tonnes)…
Le Ministère du Développement et de la Coopération Internationale, porté par l’augmentation de la demande mondiale de phosphates à l’horizon 2016-2017, a ainsi planifié plusieurs projets d’investissement à moyen terme. Le gisement de Sra Ouertane : Projet d’extraction, de transformation et d’exploitation des phosphates dans le gouvernorat du Kef, ce gisement contiendrait près de 5 Mds tonnes de minerais phosphatés. Le gouvernement prévoit des unités d’extraction, de transformation, ainsi que l’implantation des infrastructures requises pour l’exportation (voie ferrée, site portuaire, etc.), pour un coût d’investissement évalué à plus de 2 Md €. La mine Nefta-Tozeur : l’extraction, l’exploitation et la transformation de la mine Nefta-Tozeur à 12 km de la partie ouest de Tozeur, pour un coût d’environ 780 M€ est également prévue. L’étude technique du projet d'exploitation de phosphate du Djerid est en cours d’élaboration par le Ministère de l’Industrie. La BEI a apporté son soutien pour de nouveaux projets. Elle a ainsi signé en 2011 un prêt de 140 M EUR en soutien à la construction d’une usine d’engrais sur l’un des sites du GCT, à Mdhilla. Elle est également chef de file sur le projet de dépollution des résidus de phosphogypse dans le golfe de Gabès (100 M€ maximum). Enfin, la SNCFT prévoit en parallèle la rénovation des voies ferrées servant notamment au transport de la production de phosphates, entre Gafsa et Sfax. Ce projet bénéficie d’un important soutien politique du gouvernement tunisien. La portion Gafsa-Gabès bénéficie d’un don FASEP du Trésor français pour les études et pourrait faire l’objet d’un financement concessionnel de 43 M€ via la Réserve Pays Emergent. »
Le Groupe Chimique Tunisien côté sombre
Ce large extrait de la fiche du Service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie ne fait aucune mention du désastre écologique induit par le traitement du phosphate par le Groupe Chimique Tunisien, ni de la catastrophe humanitaire. L’écologie, serait-elle un souci majeur en France et une préoccupation mineure en Tunisie ? Si les dégâts se limitaient uniquement à la biosphère et à l’écosphère, cela se comprendrait dans un pays arabe ! Mais dans le cas de Gabès, il ne s’agit pas seulement de la vie des micro-organismes, des tomates, des carottes et des poissons. Il s’agit de la survie et de la santé des 350 000 habitants de cette ville dont le ciel est asphyxié par divers poisons, la terre contaminée par de multiples produits chimiques et la mère polluée par des substances d’une extrême nuisance, y compris radioactives.
Une vague allusion est faite à la dépollution des résidus de phosphogypse dans le futur projet de construction d’une usine d’engrais sur l’un des sites du GCT, à Mdhilla. C’est que non seulement on ne compte pas stopper un génocide écologique et humain qui dure depuis plus de quarante ans à Gabès, mais on projette de le reproduire à Nefta, à Mdhilla ainsi que dans le gouvernorat du Kef !
Il faut savoir que chaque année, la production annuelle du phosphogypse, qui contient des particules radioactives, est estimée à dix millions de tonnes (voir notre vidéo). Stérilité, cancers, malformations, hépatite B, asthmes et ostéoporoses… affectent la santé de 350 000 personnes. En 2012, non sans raison, des chercheurs de l’Institut National Scientifique et Technique d’Océanographie et de Pêche (INSTOP) n’ont pas hésité de qualifier la situation sanitaire de Gabès de « génocide urbain ».
Il n’est pas nécessaire d’être chercheur de cet institut pour constater le calvaire que vivent, forcés et contraints, les habitants de Gabès, et même au-delà. En arrivant de Tunis, juste après la ville de Kairouan, n’importe quel automobiliste peut constater l'œil nu la pollution atmosphérique. Un nuage épais couvre le ciel de Gabès dans un rayon de 80 Km. Un nuage de gaz de radon et de poussières chargées de microparticules chimiques et de métaux, notamment le cuivre, le chrome, le zinc, le souffre, l’acide, l’uranium… autant de poisons qui se logent dans les gorges et les poumons des citoyens condamnés à respirer cet air mortel.
Le phosphate tunisien, richesse ou malédiction ?
Seuls à avoir enquêtés sur ce génocide écologiques et humain, dans un article intitulé « Gabès, cité antique de Takapes : une terre maudite ? », daté du 5 juin 2013, nos confrères de Nawaat écrivent que « les palmiers agonisants sont témoin d’un oasis de paix qui s’est transformé par la force du temps en oasis holocauste. Bien qu’ils soient tachetés de noir, ils ne cessent de rappeler aux villageois le beau vieux temps. Délaissés, certains d’entre eux sont aujourd’hui l’ombre de ce qu’ils étaient il y a trois décennies. Tel un vieillard, beaucoup sont ceux qui se sont inclinés. Le sol, pollué par les rayons Gama, par le mercure et par le sélénium, constitue la racine même de la diminution de la biodiversité de ce golfe. N’arrivant plus à tendre le tronc, ils donnent l’impression de s’incliner devant l’absorption du poison chimique. Vestige d’un passé révolu, ces végétations sombrent dans l’arbitraire des choix humains. La ville de l’oubli est celle ou les gaz toxiques étouffent la vie au quotidien.
Et Nawaat de citer un responsable de l’Association d’Entretien de l’Oasis de la Plage d’Essalam : « Pendant les quarante dernières années, les deux tiers des palmiers sont disparus ». En effet, des spécialistes confirment que « la biodiversité a gravement diminué». L’industrie l’emporte sur l’agriculture. « En 1956, il y avait plus que deux cent cinquante espèces zoo benthiques. Trente-cinq ans après, le nombre a baissé à cinquante ». Toujours selon Nawaat, « la zone chimique secrète une odeur de charogne. Fétide, elle déclenche des crises d’asthme. Des analyses ont démontré que 60% de ceux qui ont subi un test médical ont un taux élevé de fluor. Un constat lourd de conséquence d’autant qu’il prouve la prolifération de certaines maladies chroniques. Selon le médecin M. Béchir, membre de la commission régionale de la santé et de la sécurité professionnelle, « les autorités évitent de mener une étude sérieuse du phénomène parce qu’elles craignent l’opinion nationale et internationale ».
Il faut savoir que pour produire une tonne d’acide phosphorique à partir du phosphate, les usines rejettent 5 tonnes de phosphogypse en mer. Comme on l’a déjà indiqué, le phosphogypse est une matière radioactive. Par ailleurs, la production journalière d’acide phosphorique des ICM est de 2250 tonnes par jour, d’où un rejet de 11250 tonnes par jour. Il y a 1420 mètres cubes d’eau/heure, contenant les impuretés des minerais de phosphate traités, qui sont évacuées en mer quotidiennement. Et cela dure depuis quatre décennies. L’implantation de la CPG a été décidée en 1968 par Ahmed Ben Salah. L’exploitation de l’usine a commencé en 1972 sous le premier ministère d’Hédi Nouira.
Le Groupe Chimique Tunisien utilise 25 000 mètres cubes d’eau par jour, directement puisé dans la nappe phréatique. Il rejette dans la Méditerranée 22 000 mètres cubes d’eau polluée et extrêmement toxique. Les fonds marins sont totalement disparus et, selon S.K, un scientifique de l’Institut National Scientifique et Technique d’Océanographie et de Pêche (INSTOP), il faudrait pas moins d’un demi-siècle pour les revivifier. La zone marine affectée s’étend sur 90 Km, touchant donc la région touristique de Djerba.
On précisera ici que le processus de transformation du phosphate acheminé du bassin minier de Gafsa en acide phosphorique consiste à faire bouillir ce phosphate à des degrés élevés. Du phosphate, on extrait également l’acide sulfurique, en recourant au souffre que la GCT importe d’Arabie Saoudite. C’est ce que le Service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie appelle « valorisation du phosphate » !
Ces deux acides, le phosphorique et le sulfurique, sont vendu principalement à l’Inde, l’un des rares pays à l’importer pour l’utiliser dans le domaine agricole (en Europe et aux Etats-Unis, c’est strictement interdit). Avec une population d’1,21 milliard d’habitants, cette grande « démocratie » s’en fout comme de l’an 40 de la santé publique. Comme la jeune « démocratie » tunisienne dont la population ne dépasse pas les 11 millions d’habitants.
Gabès concentre les taux de cancer et de stérilité les plus élevés
C’est le cancer des os qui fait le plus de victimes à cause du fluore. Dans toute la région de Gabès, les scientifiques ont dénombré 114 types de cancer dont certains sont inconnus ailleurs dans le monde. Chatt Assalem et Ghannouch sont les deux villes qui ont massivement voté pour Ennahda : 97% à Chatt Assalem et 92% à Ghannouch dont le « cheikh » du parti islamiste dit en être originaire. Mais ce sont aussi les deux villes où l’on compte le plus de cas cancéreux ! Si Ben Ali est accusé d’avoir délaissé cette région, qu’a fait Rached Ghannouchi pour les martyrs du Groupement Chimique Tunisien ? Rien de plus qu’aux « martyrs » de la « révolution » !
A Gabès, on compte aussi près de 6000 cas d’hépatite B. Egalement le plus grand taux de malformation à la naissance. Du moins ceux qui ont la « chance » de naitre ! Autrefois, dans les écoles primaires de Chatt Essalem et Ghannouch, on comptait entre 25 et 30 élèves par classe. A la rentrée scolaire de 2014, les classes ne comptaient plus qu’entre 8 et 12 élèves. Pourquoi, parce que ces deux villes enregistrent le record national de stérilité, un tabou dont on ne parle guère, alors que les causes sont évidentes.
Alors que Gabès endure un génocide écologique et humain sans précédent en Tunisie et même dans toute l’Afrique, le Groupe Chimique Tunisien verse dans la diversion et l’affabulation la plus criante. Sur son site officiel, dont le design et le contenu n’ont pas changé depuis l’ère Ben Ali, on peut lire cette littérature aussi indigeste que les tomates « biologique » de Gabès : « Après une longue période d'exportation du phosphate brut, la Tunisie s'est orientée vers la transformation et la valorisation de ce minerai, par l'implantation d'une industrie locale de production d'acide phosphorique et d'engrais, et ce au sein du Groupe Chimique Tunisien. La Tunisie est le deuxième pays au monde à valoriser un grand pourcentage de sa production de phosphate naturel (85%)…
Les installations industrielles contribuent d'une manière significative à la promotion et au développement des diverses régions du sud Tunisien. Parallèlement au développement de l'industrie phosphatière en Tunisie et afin de satisfaire les normes nationales et internationales les plus strictes en matière de protection de l’environnement, le GCT a mis au point un vaste programme de lutte contre la pollution dans tous les centres de production visant à contenir les rejets atmosphériques et solides… »
En attendant ce chimérique « vaste programme de lutte contre la pollution », les citoyens de Gabès et les Tunisiens en général doivent faire acte de citoyenneté en sanctionnant d’ores et déjà électoralement Ennahda et ses deux complices de la troïka. Comme ils doivent saisir l’OMS et d’autres ONG écologistes pour arrêter ce génocide et juger ses auteurs…les anciens de l’époque bénalienne, comme les nouveaux de l’ère ghannouchienne et marzoukienne.
Nebil Ben Yahmed, avec la collaboration de Lilia Ben Rejeb