Certains universitaires, sociologues, historiens, l’accusent, dans une tribune – plutôt un réquisitoire – d’alimenter, au sein de notre société, de prétendus fantasmes contre les musulmans. Au lieu d’éclairer, de nuancer, de critiquer – avec cette juste distance que réclame pourtant le travail du chercheur –, ils condamnent de manière péremptoire, refusent le débat et ferment la porte à toute discussion.
Le résultat est connu : un romancier de talent – et sur qui pèse déjà une « fatwa » dans son pays – décide, face à la violence et la puissance de la vindicte, de renoncer à son métier de journaliste. C’est tout simplement inconcevable.
Cette manière de mener le débat public est le signe d’un profond malaise de l’intelligence, d’une grande difficulté, dans notre pays, à penser sereinement le monde d’aujourd’hui, ses dangers. Et d’une trop grande facilité à repousser tous ceux qui s’y essayent.
Pourtant, dans une époque de plus en plus indéchiffrable, gagnée par la montée des extrémismes, des fanatismes, les analyses de Kamel Daoud – et d’autres avec lui – peuvent nous être d’un grand secours. Car derrière les caricatures qui en ont été faites, l’écrivain algérien nous livre un point de vue éclairant et utile, celui d’un intellectuel, d’un romancier. Une réflexion à la fois personnelle, exigeante, et précieuse.
Personnelle, parce que Kamel Daoud n’avance pas sans preuves. Il nous parle du réel, de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit aussi. Ce sont des réalités longuement étudiées, des rapports de force méticuleusement examinés qu’il nous décrit. Et si son propos a tant de profondeur, c’est qu’il nous parle, non pas de théorie, mais d’expérience.
Exigeante, car Kamel Daoud va loin. Il refuse le simplisme, le convenu, l’évident. Il nous dit au contraire que le monde est plus confus, moins lisible qu’on ne le pense. Il ne prétend pas, par exemple, que les sociétés occidentales sont parfaites, pas plus qu’il ne renvoie les sociétés musulmanes à un « Moyen Âge ». Il ne conteste ni les violences de l’« Occident », ni la richesse et le dynamisme de
l’« Orient».
Il montre simplement, comme l’a fait Deniz Gamze Ergüven dans son très beau Mustang, qu’il y a dans le monde musulman – mais aussi ici, en France – un fondamentalisme qui veut enfermer les consciences, imposer son ordre archaïque, entraver les libertés, soumettre les femmes. Par quelle injustice, par quelle absurdité – et alors qu’ils dénoncent les mêmes réalités avec chacun leur écriture – la réalisatrice franco-turque est-elle encensée, tandis que l’intellectuel algérien est cloué au pilori ?
Ce que demande Kamel Daoud, c’est qu’on ne nie pas la pesanteur des réalités politiques et religieuses ; que l’on ait les yeux ouverts sur ces forces qui retiennent l’émancipation des individus, sur les violences faites aux femmes, sur la radicalisation croissante des quartiers, sur l’embrigadement sournois de nos jeunes.
Réflexion précieuse, enfin, parce que Kamel Daoud se risque à tracer la voie à suivre. Entre l’angélisme béat et le repli compulsif, entre la dangereuse naïveté des uns – dont une partie à gauche – et la vraie intolérance des autres – de l’extrême droite aux antimusulmans de toutes sortes –, il nous montre ce chemin qu’il faut emprunter.
Un chemin que la France emprunte, en faisant savoir, à tous ceux qui ont abandonné la pensée, qu’un musulman ne sera jamais par essence un terroriste, pas plus qu’un réfugié ne sera par essence un violeur.
Un chemin que la France emprunte, aussi, en défendant les valeurs auxquelles elle croit, et sur lesquelles elle ne transigera jamais : la liberté – celle d’écrire, de penser –, l’égalité – notamment entre les femmes et les hommes –, la fraternité et la laïcité – qui font notre cohésion.
C’est en ces valeurs que croit Kamel Daoud. Parce qu’elles fondent notre démocratie, notre modernité, notre espace public – un espace où le débat est possible et où l’on respecte ceux qui prennent la parole –, ce sont ces valeurs qu’avec détermination nous devons défendre.
Abandonner cet écrivain à son sort, ce serait nous abandonner nous-mêmes. C’est pourquoi il est nécessaire, impérieux, et urgent, comme beaucoup l’ont fait ces derniers jours, de soutenir Kamel Daoud. Sans aucune hésitation. Sans faillir.
Manuel Valls, sur sa page facebook le 2 mars 2016.
Les noms des pétitionnaires contre Kamel Daoud :
Noureddine Amara (historien), Joel Beinin (historien), Houda Ben Hamouda (historienne), Benoît Challand (sociologue), Jocelyne Dakhlia (historienne), Sonia Dayan-Herzbrun (sociologue), Muriam Haleh Davis (historienne), Giulia Fabbiano (anthropologue), Darcie Fontaine (historienne), David Theo Goldberg (philosophe), Ghassan Hage (anthropologue), Laleh Khalili (anthropologue), Tristan Leperlier (sociologue), Nadia Marzouki (politiste), Pascal Ménoret (anthropologue), Stéphanie Pouessel (anthropologue), Elizabeth Shakman Hurd (politiste), Thomas Serres (politiste), Seif Soudani (journaliste).
Le résultat est connu : un romancier de talent – et sur qui pèse déjà une « fatwa » dans son pays – décide, face à la violence et la puissance de la vindicte, de renoncer à son métier de journaliste. C’est tout simplement inconcevable.
Cette manière de mener le débat public est le signe d’un profond malaise de l’intelligence, d’une grande difficulté, dans notre pays, à penser sereinement le monde d’aujourd’hui, ses dangers. Et d’une trop grande facilité à repousser tous ceux qui s’y essayent.
Pourtant, dans une époque de plus en plus indéchiffrable, gagnée par la montée des extrémismes, des fanatismes, les analyses de Kamel Daoud – et d’autres avec lui – peuvent nous être d’un grand secours. Car derrière les caricatures qui en ont été faites, l’écrivain algérien nous livre un point de vue éclairant et utile, celui d’un intellectuel, d’un romancier. Une réflexion à la fois personnelle, exigeante, et précieuse.
Personnelle, parce que Kamel Daoud n’avance pas sans preuves. Il nous parle du réel, de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit aussi. Ce sont des réalités longuement étudiées, des rapports de force méticuleusement examinés qu’il nous décrit. Et si son propos a tant de profondeur, c’est qu’il nous parle, non pas de théorie, mais d’expérience.
Exigeante, car Kamel Daoud va loin. Il refuse le simplisme, le convenu, l’évident. Il nous dit au contraire que le monde est plus confus, moins lisible qu’on ne le pense. Il ne prétend pas, par exemple, que les sociétés occidentales sont parfaites, pas plus qu’il ne renvoie les sociétés musulmanes à un « Moyen Âge ». Il ne conteste ni les violences de l’« Occident », ni la richesse et le dynamisme de
l’« Orient».
Il montre simplement, comme l’a fait Deniz Gamze Ergüven dans son très beau Mustang, qu’il y a dans le monde musulman – mais aussi ici, en France – un fondamentalisme qui veut enfermer les consciences, imposer son ordre archaïque, entraver les libertés, soumettre les femmes. Par quelle injustice, par quelle absurdité – et alors qu’ils dénoncent les mêmes réalités avec chacun leur écriture – la réalisatrice franco-turque est-elle encensée, tandis que l’intellectuel algérien est cloué au pilori ?
Ce que demande Kamel Daoud, c’est qu’on ne nie pas la pesanteur des réalités politiques et religieuses ; que l’on ait les yeux ouverts sur ces forces qui retiennent l’émancipation des individus, sur les violences faites aux femmes, sur la radicalisation croissante des quartiers, sur l’embrigadement sournois de nos jeunes.
Réflexion précieuse, enfin, parce que Kamel Daoud se risque à tracer la voie à suivre. Entre l’angélisme béat et le repli compulsif, entre la dangereuse naïveté des uns – dont une partie à gauche – et la vraie intolérance des autres – de l’extrême droite aux antimusulmans de toutes sortes –, il nous montre ce chemin qu’il faut emprunter.
Un chemin que la France emprunte, en faisant savoir, à tous ceux qui ont abandonné la pensée, qu’un musulman ne sera jamais par essence un terroriste, pas plus qu’un réfugié ne sera par essence un violeur.
Un chemin que la France emprunte, aussi, en défendant les valeurs auxquelles elle croit, et sur lesquelles elle ne transigera jamais : la liberté – celle d’écrire, de penser –, l’égalité – notamment entre les femmes et les hommes –, la fraternité et la laïcité – qui font notre cohésion.
C’est en ces valeurs que croit Kamel Daoud. Parce qu’elles fondent notre démocratie, notre modernité, notre espace public – un espace où le débat est possible et où l’on respecte ceux qui prennent la parole –, ce sont ces valeurs qu’avec détermination nous devons défendre.
Abandonner cet écrivain à son sort, ce serait nous abandonner nous-mêmes. C’est pourquoi il est nécessaire, impérieux, et urgent, comme beaucoup l’ont fait ces derniers jours, de soutenir Kamel Daoud. Sans aucune hésitation. Sans faillir.
Manuel Valls, sur sa page facebook le 2 mars 2016.
Les noms des pétitionnaires contre Kamel Daoud :
Noureddine Amara (historien), Joel Beinin (historien), Houda Ben Hamouda (historienne), Benoît Challand (sociologue), Jocelyne Dakhlia (historienne), Sonia Dayan-Herzbrun (sociologue), Muriam Haleh Davis (historienne), Giulia Fabbiano (anthropologue), Darcie Fontaine (historienne), David Theo Goldberg (philosophe), Ghassan Hage (anthropologue), Laleh Khalili (anthropologue), Tristan Leperlier (sociologue), Nadia Marzouki (politiste), Pascal Ménoret (anthropologue), Stéphanie Pouessel (anthropologue), Elizabeth Shakman Hurd (politiste), Thomas Serres (politiste), Seif Soudani (journaliste).