"Dignité pour tous !" fut la revendication maîtresse du Mouvement du 20 février [mouvement de contestation lancé le 20 février 2011]. Elle signifiait, et signifie encore, égalité de traitement pour les puissants comme pour les plus faibles. A bientôt trois ans du fameux soulèvement populaire, je réalise combien nous sommes encore éloignés de toute dignité. Ce qui était supposé rendre le Maroc meilleur s'est révélé pure escroquerie.
Pour s'en convaincre, il fallait se trouver le 11 novembre 2013 à la séance de la commission des finances du Parlement marocain. Il s'agissait d'examiner le projet de budget du palais royal. Une séance pour la forme. Clairsemée et expéditive, elle raconte l'histoire indigne de douze députés qui, en moins de dix minutes et sans coup férir, ont augmenté le budget d'un seul homme de 8 678 000 dirhams [774 455 euros], pour mettre à sa disposition 2 585 447 000 dirhams [230 734 295 euros], quand des départements ministériels aussi sensibles que la santé publique, l'éducation nationale, la jeunesse et les sports ou encore la culture doivent se glisser dans le chas de l'aiguille pour faire passer des budgets au demeurant dérisoires au vu de l'ampleur de la tâche qui leur incombe.
L'omerta et un halo de mystère
Si l'énormité du budget ou plutôt du butin en question met à rude épreuve le mythe du "roi des pauvres", soigneusement entretenu par un entourage royal véreux, la disproportion de traitement entre le palais et les autres départements explique en grande partie le train de vie surréaliste de la monarchie marocaine, l'enrichissement exponentiel du roi et de sa famille, et la place qui est celle de notre pays : à la traîne de tous les indices mondiaux du développement.
Et c'est précisément parce que le diable se cache dans les détails que l'opacité, l'omerta et un halo de mystère enveloppent un peu plus, d'une loi de finance à l'autre, les dépenses du palais comme son budget de fonctionnement, qui équivaut à celui de quatre ministères réunis : les Transports et l'Equipement, la Jeunesse et les Sports, la Culture, et enfin l'Habitat et l'Urbanisme.
D'autres détails trahissent encore le peu de scrupules que manifeste Mohammed VI à puiser sans compter dans les deniers publics, comme cette ligne pompeusement surnommée "Dotations de souveraineté". Rien de moins qu'une caisse noire mise à la disposition du roi, qui représentera cette année 517 164 000 dirhams [46 153 517 euros] que l'intéressé s'acharnera sans aucun doute à consommer, comme de coutume, en totalité, sans que personne ne vienne jamais s'enquérir de la façon dont les fonds ont été épuisés.
La façade démocratique du régime marocain
Et que dire de ces frais de bouche qui engloutissent 2 % du budget de l'Etat, après avoir fait l'objet d'une brutale augmentation de plus de 55 %, en 2001? A croire que la disparition de Hassan II [en juillet 1999] et l'accession au trône de Mohammed VI auraient déclenché chez ce dernier une fringale soudaine, confinant à une boulimie pantagruélique.
Une fois n'est pas coutume, une voix bien timide, celle du député du PJD [Parti de la justice et du développement], Abdelaziz Aftati, s'est élevée, pour réclamer que des administrateurs viennent s'expliquer sur le montant de l'enveloppe pharaonique que le palais projetait de s'adjuger. Peine perdue, car comme ces vieux singes à qui l'on n'apprend plus à grimacer, nos parlementaires ont passé outre, ayant appris à discerner chez leurs pairs les gesticulations pour la galerie. De simples faire-valoir, qui constituent la façade démocratique du régime marocain.
Alors, de tous ces chiffres astronomiques, je préfère n'en retenir qu'un seul : 200. C'est le nombre de postes budgétaires que nos parlementaires d'un autre âge ont octroyé au palais royal pour l'année 2014, alors que la crise bat son plein et que tous les ministères en sont à contracter leurs effectifs et manquent cruellement de moyens. Deux cents postes et des millions de dirhams qui manqueront cruellement dans l'Atlas, où l'on continuera, sans doute, de mourir de froid, d'inanition, d'enclavement et de misère, lorsque l'hiver sera venu.
Deux cents raisons de conclure, enfin, que le régime politique marocain s'est structuré pour se mettre au service d'un seul homme, empruntant aux plus sinistres mafias leurs coups de main, leurs brutalités, leur collecte de fonds, leur loi du silence, au point qu'il n'a désormais plus rien à leur envier.
Salah Elayoubi, Courrier International, 19 novembre 2013.
Pour s'en convaincre, il fallait se trouver le 11 novembre 2013 à la séance de la commission des finances du Parlement marocain. Il s'agissait d'examiner le projet de budget du palais royal. Une séance pour la forme. Clairsemée et expéditive, elle raconte l'histoire indigne de douze députés qui, en moins de dix minutes et sans coup férir, ont augmenté le budget d'un seul homme de 8 678 000 dirhams [774 455 euros], pour mettre à sa disposition 2 585 447 000 dirhams [230 734 295 euros], quand des départements ministériels aussi sensibles que la santé publique, l'éducation nationale, la jeunesse et les sports ou encore la culture doivent se glisser dans le chas de l'aiguille pour faire passer des budgets au demeurant dérisoires au vu de l'ampleur de la tâche qui leur incombe.
L'omerta et un halo de mystère
Si l'énormité du budget ou plutôt du butin en question met à rude épreuve le mythe du "roi des pauvres", soigneusement entretenu par un entourage royal véreux, la disproportion de traitement entre le palais et les autres départements explique en grande partie le train de vie surréaliste de la monarchie marocaine, l'enrichissement exponentiel du roi et de sa famille, et la place qui est celle de notre pays : à la traîne de tous les indices mondiaux du développement.
Et c'est précisément parce que le diable se cache dans les détails que l'opacité, l'omerta et un halo de mystère enveloppent un peu plus, d'une loi de finance à l'autre, les dépenses du palais comme son budget de fonctionnement, qui équivaut à celui de quatre ministères réunis : les Transports et l'Equipement, la Jeunesse et les Sports, la Culture, et enfin l'Habitat et l'Urbanisme.
D'autres détails trahissent encore le peu de scrupules que manifeste Mohammed VI à puiser sans compter dans les deniers publics, comme cette ligne pompeusement surnommée "Dotations de souveraineté". Rien de moins qu'une caisse noire mise à la disposition du roi, qui représentera cette année 517 164 000 dirhams [46 153 517 euros] que l'intéressé s'acharnera sans aucun doute à consommer, comme de coutume, en totalité, sans que personne ne vienne jamais s'enquérir de la façon dont les fonds ont été épuisés.
La façade démocratique du régime marocain
Et que dire de ces frais de bouche qui engloutissent 2 % du budget de l'Etat, après avoir fait l'objet d'une brutale augmentation de plus de 55 %, en 2001? A croire que la disparition de Hassan II [en juillet 1999] et l'accession au trône de Mohammed VI auraient déclenché chez ce dernier une fringale soudaine, confinant à une boulimie pantagruélique.
Une fois n'est pas coutume, une voix bien timide, celle du député du PJD [Parti de la justice et du développement], Abdelaziz Aftati, s'est élevée, pour réclamer que des administrateurs viennent s'expliquer sur le montant de l'enveloppe pharaonique que le palais projetait de s'adjuger. Peine perdue, car comme ces vieux singes à qui l'on n'apprend plus à grimacer, nos parlementaires ont passé outre, ayant appris à discerner chez leurs pairs les gesticulations pour la galerie. De simples faire-valoir, qui constituent la façade démocratique du régime marocain.
Alors, de tous ces chiffres astronomiques, je préfère n'en retenir qu'un seul : 200. C'est le nombre de postes budgétaires que nos parlementaires d'un autre âge ont octroyé au palais royal pour l'année 2014, alors que la crise bat son plein et que tous les ministères en sont à contracter leurs effectifs et manquent cruellement de moyens. Deux cents postes et des millions de dirhams qui manqueront cruellement dans l'Atlas, où l'on continuera, sans doute, de mourir de froid, d'inanition, d'enclavement et de misère, lorsque l'hiver sera venu.
Deux cents raisons de conclure, enfin, que le régime politique marocain s'est structuré pour se mettre au service d'un seul homme, empruntant aux plus sinistres mafias leurs coups de main, leurs brutalités, leur collecte de fonds, leur loi du silence, au point qu'il n'a désormais plus rien à leur envier.
Salah Elayoubi, Courrier International, 19 novembre 2013.