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La réconciliation nationale est un impératif catégorique


21 Août 2015

Au diable ceux qui s’y opposent par populisme ou surenchère pseudo-révolutionnaire, la réconciliation nationale doit se réaliser au plus vite pour sauver une économie sinistrée en moins de quatre ans et un lien social complètement déstructuré. Telle est la position maintes fois réitérée par Mohamed Ayachi Ajroudi, qui ne craint pas de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.


Mohamed Ayachi Ajroudi reçu par le Président Béji Caïd Essebsi en juillet 2015.
Mohamed Ayachi Ajroudi reçu par le Président Béji Caïd Essebsi en juillet 2015.
L’initiative relative à la réconciliation économique et financière relève d’une approche visionnaire du Président de la République ; elle vient à point nommé pour engager le sauvetage de l’économie du pays, soumise à des pressions de toutes parts: croissance en panne, fondamentaux déséquilibrés, érosion du pouvoir d’achat du citoyen et extension sans précédant du phénomène de pauvreté.
 
Aujourd’hui la Tunisie est à la croisée des chemins. Elle a à choisir entre deux alternatives: une réconciliation économique à même de remettre le pays en marche de manière à s’attaquer aux problèmes fondamentaux du pays ou la fuite en avant avec en perspective la pathologie grecque, un scénario où la Tunisie perdrait l’initiative pour ne pas dire sa souveraineté et serait amenée à appliquer des mesures douloureuses d’austérité similaires à celles assignées à la Grèce. Il faudrait d’ailleurs avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’en 2010, en dépit de tout ce qui a été raconté sur l’économie tunisienne, celle-ci était nettement plus saine et plus performante que l’économie grecque, portugaise et même espagnole, pour ne citer que ces trois pays européens. Avec seulement 5% de ce qui a été injecté par l’Union européenne dans l’économie grecque depuis 2011, et avec une équipe gouvernementale autre que celles des amateurs et des imposteurs qui se sont relayés ces quatre dernières années, la Tunisie serait aujourd’hui, effectivement, la Suisse de monde arabe.

L’économique et le social, un état des lieux alarmant

Malheureusement, depuis 2011 la situation économique et sociale ne cesse de ses détériorer. Les données relatives aux quatre dernières années (2011-2014) sont maintenant connues de tous: une croissance économique moyenne qui ne dépasse pas 1.5% soit un peu plus que la croissance démographique contre 4.5% en moyenne durant les vingt dernières années 1990-2010, des fondamentaux déséquilibrés avec des déficits budgétaires de 7 à 8% et des déficits de paiements extérieurs courants de 8 à 10%, du jamais vu en Tunisie, une dette publique qui a augmenté de façon vertigineuse jusqu’à atteindre 52% du PIB contre moins de 40% quatre ans auparavant.

Sur le plan social, les données officielles montrent que le pouvoir d’achat du citoyen aurait baissé de 12% entre 2010 et 2014. En réalité l’inflation ressentie est plus élevée que ne le reflètent les chiffres officiels, et l’organisation de défense du consommateur (ODC) situe l’augmentation des prix à 60% contre des chiffres officiels de 25%. Sur la base des données de l’ODC, le pouvoir d’achat du citoyen aurait baissé de plus de 40%, et le phénomène de pauvreté aurait pris une proportion dangereuse. Selon une étude faite par le Centre d’Etudes et de recherches économiques et sociales (CERES), le nombre de pauvres aurait augmenté de 30% entre 2011 et 2014 et les nouveaux pauvres se recrutent essentiellement parmi les petits fonctionnaires, les enseignants du primaire et même du secondaire et les titulaires de bas salaires, une véritable destruction du tissu social autrefois basé sur la classe moyenne.

La situation est loin de se redresser en 2015 et les données sur la situation économique pour cette année sont inquiétantes : une croissance qui varierait officiellement de 0.5% à 1% selon la loi des Finances complémentaire 2015. En réalité la croissance est négative car tous les secteurs battent de l’aile: un secteur touristique à plat, une récolte de céréales qui baisse de 40%,une activité minière qui tarde à redémarrer ... Quand on ajoute à cela les remboursements que le pays aura à effectuer en 2016 et 2017 et surtout l’approche des échéances de remboursement des prêts contractés au cours des quatre dernières années auprès du FMI , de la Banque mondiale et de la BAD, c’est automatiquement le spectre de la Grèce qui se profile devant nous avec l’appui de l’Europe en moins.

Il est vrai que le taux d’endettement officiellement déclaré ( 52% du PIB) reste plus bas que celui de la Grèce , mais il faut savoir que si on y ajoute la dette des entreprises publiques et les déficits de la sécurité sociale ce taux est beaucoup plus élevée ( 70 à 75%). Par ailleurs le volume de la dette augmente très vite et augmentera rapidement au cours des prochaines années avec les engagements futures des entreprises publiques et du système de sécurité sociale outre les besoins sans cesse croissants de l’Etat. En fait, avec la rareté des ressources internes due à l’atonie de la croissance, on est déjà arrivé à un stade grave où il faut s’emprunter pour rembourser, une spirale qui ne peut être rompue que si la machine économique redémarre, d’où l’importance de la loi sur la réconciliation économique et financière.

L’exclusion des élites nationales n’est plus tolérable

Cette situation est certainement due à la politique économique et financière désastreuse qui a prévalu durant les quatre dernières années, une politique faite d’improvisations, sans aucune ligne de conduite ni cohérence. Le pays s’est même permis d’abandonner les plans de développements navigant à vue, ce qui a été à l’origine des graves dérapages macroéconomiques.

Cette situation est également due à l’exclusion du circuit économique d’importantes capacités productives et à l’écartement du circuit de décision économique et financière de plusieurs compétences qui ont fait leur preuve au moment où le pays traversait des crises économiques ou financières comme ce fut le cas au milieu des années quatre vingt, ou en 1990-1991, au moment de la crise du golfe ou encore plus récemment en 2007-2008, durant la crise financière internationale.

Le chiffre de 40% du potentiel productif du secteur privé avancé par la Banque Mondiale en tant qu’indicateur du poids des entreprises qui ont fait l’objet d’expropriation, bien qu’il soit gonflé, a été utilisé dans un seul sens, celui de diaboliser l’ancien régime. Avec la façon dont ces entreprises ont été gérées depuis 2011, le pays aurait perdu en cinq ans 8 à 10 points de croissance soit environ 6 à 8 milliards de dinars. Par ailleurs les hommes d’affaires ou chefs d’entreprises interdits de voyage n’ont pu gérer convenablement leurs sociétés et ont vu leur contribution aux exportations et à la croissance sensiblement baisser. Enfin, même les hommes d’affaires qui ne font pas l’objet de poursuites judiciaires ont suspendu tout investissement de peur d’être à leur tour menacés de mesures d’expropriation ou de poursuites judiciaires. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs quitté le pays et se sont installés au Maroc, en Algérie ou ailleurs.

L’impact de cette situation sur l’investissement, la croissance et l’emploi ne s’est pas fait attendre. Les données sont sans appel : entre 2010 et 2014, le taux d’investissement est passé de 25 à 19% du PIB et le taux d’épargne a dégringolé de 22 à 13%.

En effet quel homme d’affaire tunisien ou étranger s’engagerait dans des investissements aussi hasardeux dans un pays secoué par le terrorisme et qui de surcroit dispose de peu de matières premières et dont le cout de la main d’œuvre ne cesse d’augmenter sous la pression des revendications syndicales tout azimut au delà du problème de l’exigüité du marché local qui constitue un véritable goulot d’étranglement à la croissance et au développement du pays ?

Deuxième conséquence majeure des procès engagés contre certains commis de l’Etat et contre les fonctionnaires ou assimilés, l’état d’irresponsabilité dans lequel se trouve le pays et la réticence des cadres concernés par ces procès à prendre des initiatives ou même à assumer convenablement les missions pour lesquelles ils sont payés; les cadres de l’Administration, des banques, et des entreprises publiques ne veulent plus prendre les décisions de peur d’être poursuivis en justice.

Complémentarité entre justice transitionnelle et redressement économique

D’où l’initiative de réconciliation économique et financière adoptée par le gouvernement, une initiative équilibrée qui maintient le cap sur une justice transitionnelle à l’instar des pays qui ont connu des expériences similaires et qui apporte des solutions concrètes à même de renforcer la confiance des opérateurs économiques et de remettre dans le circuit économique un potentiel mis à l’écart depuis plus de quatre ans.

En effet l’initiative ne touche que les infractions économiques ou financières, les crimes de sang, de torture ou ceux ayant trait aux droits de l’homme restent du ressort de la commission « Vérité et Dignité » qui disposera du temps nécessaire pour traiter ces affaires avec le recul et l’objectivité requises. Les dossiers à caractère économique et financier seront traités dans un cadre qui assure la célérité qu’exige la situation économique désastreuse du pays et la nature des fautes commises. Bien évidemment, ce nouveau cadre exclut les crimes de corruption ou de détournement de fonds publics à des fins propres qui resteront eux aussi du ressort de la justice; les autres infractions relèveront d’un traitement particulier qui prend en compte les intérêts du pays et sa législation. Comme le précise la loi, trois catégories seront concernées par cette initiative :

-les fonctionnaires où assimilés qui n’ont pas commis de détournement de fonds et qui n’ont pas été l’objet d’actes de corruption, bénéficieront d’un arrêt des poursuites judiciaires, les actes qu’ils ont commis relevant le plus souvent de l’application de consignes ou d’instructions de leurs supérieurs hiérarchiques. Ce n’est d’ailleurs que justice rendue compte tenu du fait que l’article 42 du Code pénal précise que les fonctionnaires qui obéissent à des ordres de leurs supérieurs hiérarchiques ne sont pas passibles de sanctions.
-les autres catégories et en particulier les hommes d’affaires qui ont commis des crimes économiques et financiers pour lesquels une procédure de transaction est prévue sur la base de la formulation d’une demande et d’une investigation faite par une commission pluridisciplinaire qui relève du chef du gouvernement et qui regroupe en son sein deux membres de « Vérité et Dignité », signe que le projet ne vise pas à décharger cette dernière de ce dossier, mais de mettre en place une procédure rapide à même de faire réintégrer dans le circuit économique les forces productives du pays et ce avec la contribution au sein de cette commission de deux des membres du comité « Vérité et Dignité » qui feront partie intégrante du nouveau dispositif.
-les détenteurs de capitaux à l’étranger qui pourront bénéficier d’une amnistie de change au cas où ils rapatrient leurs ressources en devises dont ils disposent à l’étranger à l’instar de l’opération menée récemment par le Maroc et qui a rapporté pour ce pays 2 milliards de dinars en devises. Une telle initiative est incontournable si on veut tempérer un tant soit peu l’impact négatif de la débâcle du secteur touristique et la baisse sévère attendue des recettes en devises. Bien menée, une telle initiative peut rapporter 0,5 à 1 milliard de dinars et pourra remplacer entre 30 et 50 % de la moins value attendue pour le secteur touristique. En l’absence d’une telle mesure, le déficit courant de la balance des paiements pourrait attendre 8 à 8.5% du PIB et son financement nécessiterait ipso facto un recours accru à l’endettement extérieur.

L’initiative de BCE, louable et constitutionnelle

Contrairement à ce que prétendent certaines personnes, cette initiative est loin d’être anticonstitutionnelle. Elle respecte la hiérarchie des lois telle que définie par la nouvelle constitution. Celle-ci a instauré le principe de la Justice transitionnelle ( et non la commission « Vérité et Dignité ») et une loi fondamentale a défini le contenu de cette réconciliation avec ses volets droits de l’homme et sa dimension économique et financière et a en même temps crée la commission « dignité et vérité »; la nouvelle initiative revêt la forme d’une loi fondamentale, ce qui est conforme à la hiérarchie des lois. La nouvelle initiative du président de la République a laissé les questions de justice transitionnelle ayant trait aux droits de l’homme du ressort de la commission « Vérité et Dignité » comme cela a été le cas dans la plupart des pays qui ont connu des expériences similaires de justice transitionnelle et a défini une procédure spéciale de traitement des questions économiques et financières et cette procédure est parfaitement conforme à la constitution. Le Président de la République élu au suffrage universel est habilité à proposer des lois à la Chambre comme le prévoit la nouvelle constitution. Par ailleurs, le passage de cette loi par le conseil des ministres montre qu’il s’agit également d’une initiative du gouvernement lui aussi habilité à soumettre des lois à la Chambre. Forte du soutien de deux institutions républicaines et des partis au pouvoir, cette initiative devra aboutir dans l’intérêt supérieur du pays et selon la primauté du droit.

S’opposer à la réconciliation, c’est nuire à la Tunisie

Quelques réactions négatives suscitées par l’initiative du Président de la République laissent d’ailleurs perplexe et montrent à quel point certaines personnes ou partis insignifiants sont irresponsables voir même malfaisants. Elles signifient le degré de surenchère politique auquel le pays est arrivé et la manipulation dont est victime le Tunisien et en particulier celui appartenant à la classe moyenne. Fort heureusement que la dure réalité que vit le Tunisien depuis 2011, une réalité faite désormais de peur, de manque de confiance, de chômage, de pauvreté et d’érosion du pouvoir d’achat, ramène le tunisien à la raison et lui permet désormais de discerner entre la manœuvre politicienne de bas niveau et l’engagement résolu du coté du citoyen tunisien en cherchant à résoudre ses vrais problèmes, ceux du chômage, de la pauvreté et de l’exclusion.

Le peuple tunisien, précisément, en a assez des démagogues, des opportunistes et des mercenaires qui parlent en son nom et agissent contre ses intérêts. L’heure n’est plus à la surenchère populiste et aux promesses fumeuses. Comme je l’ai précédemment écrit au sujet de l’UGTT et de certains partis ou personnalités qui doivent passer du verbe haut au profil bas, eu égard à leur responsabilité écrasante dans l’abaissement économique et social de la Tunisie, il est grand temps de retrousser les manches et de se remettre au travail. Le pays ne se relèvera pas sans une prise de conscience collective et une mobilisation générale de toutes les forces vives de la Nation, à commencer par celles qui ont été arbitrairement exclues sous le prétexte fallacieux du « Al-Chaab Yourid » (le peuple exige). Abusé, manipulé, trahi, le peuple n’aspire plus qu’à une chose : la paix civile, la prospérité économique et la dignité par le travail, ce que le bâtisseur de la Tunisie moderne, Habib Bourguiba résumait en un seul mot, « Farhat al-Hayet » (la joie de vivre).

Mohamed Ayachi Ajroudi


           

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