Les réseaux sociaux et les médias ont repris et commenté ces trois derniers jours, une information suivant laquelle, la Banque Centrale de Tunisie " BCT" aurait décidé d’augmenter le salaire du gouverneur, du vice-gouverneur et du secrétaire général. Je n’ai pas l’intention d’épiloguer ici sur la véracité de cette information ni sur le montant de l’augmentation, encore que, cela dit en passant, l'Institut d'Emission n’ayant pas apporté officiellement de démenti, tout laisse présumer que la nouvelle rend la vérité. Mon propos consiste à expliquer pourquoi pareille tentation n’est pas fondée.
Les gouverneurs de banques centrales bénéficient généralement d’un régime de rémunération privilégié. La raison essentielle de cet avantage réside dans le souci de prémunir le gouverneur en sa qualité de dépositaire de la politique monétaire, contre la tentation d’instrumentaliser le taux directeur de la banque centrale ou le taux de change, c’est-à-dire de les utiliser non pas à des fins de régulation, mais pour servir plutôt les intérêts de lobbies privés. Pour conforter cette protection, de nombreuses législations dont la nôtre, interdisent au gouverneur de prendre ou de recevoir une participation ou quelque intérêt que ce soit dans toute entreprise privée. Après la cessation de ses fonctions, elles lui interdisent également de prêter son concours à des entreprises privées et de recevoir d'elles des rémunérations pour conseil ou travail, pendant un délai au cours duquel la banque centrale consent de lui débourser l’intégralité de son salaire et les autres avantages liés à sa charge.
Ces interdictions vont jusqu’à imposer au gouverneur d’utiliser les bâtiments de la banque centrale à des fins événements à caractère familial (réception, mariage en l’occurrence) et ce dans le but précis d’éviter tout avantage qui pourrait lui être concédé directement ou indirectement par des intérêts privés de quelque origine que ce soit. C’est le cas par exemple du gouverneur de la Banque de France . En Tunisie, tout un pavillon, le « salon d’honneur » est réservé au gouverneur pour ses discours, ses conférences de presse et ses invités.
Vis-à-vis des pouvoirs ou des lobbies publics, le gouverneur est protégé principalement par deux autres mécanismes, à savoir l’incompatibilité de ses fonctions avec toute charge gouvernementale ou de députation et le mandat.
L’idée d’indépendance est donc au cœur du régime de rémunération applicable au gouverneur et fonde toute sa légitimité. Nous la rencontrons d’ailleurs chez d’autres corps, tel celui des magistrats par exemple, notamment dans les pays où la justice est érigée en pouvoir et non en service public.
Le régime de rémunération réservé au gouverneur depuis la création de la BCT, rend compte de l’idée d’indépendance de façon claire et conséquente. En effet, contrairement à l’ensemble des dirigeants des organismes publics (établissements publics, offices et autres entreprises publiques), le gouverneur bénéficie du rang de ministre et perçoit à ce titre, un salaire équivalent. Mieux, la BCT pourvoit en vertu de la loi, à ses frais de logement, ameublement et autres accessoires. (En pratique, le gouverneur Béji Hamda et tous ses successeurs ont renoncé à cet avantage).
Sur un autre plan, toute référence aux banques publiques pour revendiquer une quelconque assimilation ou nivellement des traitements du gouverneur, est dénuée de fondement. Il est en effet une vérité perceptible immédiatement, sauf peut-être du côté de l’avenue Mohamed V, que la BCT n’est pas une banque, mais une banque centrale, pas plus que le gouverneur n’est pas un banquier, mais un banquier central.
La BCT est un établissement public au capital entièrement souscrit par l’Etat et que la loi qualifie à l’exclusion de tout autre, de « national » comme pour lui rappeler son appartenance à la haute sphère publique. Elle est l’une des manifestations les plus significatives de la République, le dépositaire exclusif de la souveraineté monétaire et d’une composante importante de la politique générale de l’Etat, la politique monétaire. La BCT ne poursuit pas de fins mercantiles et pourrait être amenée à accuser des pertes si tel était l’intérêt général et et lorsqu’elle fait des bénéfices, elle les verse au Trésor.
Que l’initiative d’augmenter le salaire du gouverneur et de certains de ses collaborateurs ait été décidée ou non, l’intention elle, ne fait pas pour nous l’ombre d’un doute. Nous l’avons d’ailleurs perçue à travers certaines dispositions des nouveaux Statuts de la BCT lorsqu’ils étaient encore au stade du projet et dans les propos mêmes du gouverneur lors des débats parlementaires.
L’option prise pour une refonte totale des Statuts, alors que rien ne le justifiait, participe de cette intention, comme le démontre l’affranchissement de l’institution de la tutelle de l’Etat, l’exclusion curieuse des deux statuts généraux de la fonction publique et des personnels des entreprises publiques, l’organisation non moins curieuse d’un régime d’incompatibilités pour le vice-gouverneur et le secrétaire général et la reconfiguration du Conseil d’administration qui ignore jusqu’aux béabas de la bonne gouvernance.
Dans un commentaire récent, nous avons dénoncé toutes ces entorses à la cohérence, la pertinence des choix retenus en 1958 et en particulier, la confusion suspecte nourrie par la BCT entre l’indépendance de l’institution et l’indépendance de la politique monétaire. Cette confusion tend non pas à affranchir la politique monétaire, mais à sortir l’établissement public de l’orbite de l’Etat actionnaire et des règles les plus élémentaires de la gestion publique, en un mot à le désétatiser. Le FMI, nous en sommes convaincus, n’a pas exigé de refonte et la plupart des aspects évoqués ici ne sont pas dans son rayon d’intérêt. L’idée de refonte est une idée de la BCT et servait tout simplement à légitimer ce genre de projet et lui donner une assise légale. Lors des débats parlementaires, le subconscient du gouverneur a parlé. L’homme avait « honte de révéler son salaire » !
Le bénéfice d’une rémunération avantageuse pour le gouverneur répond aux motifs exposés plus haut. Ces motifs sont toutefois inopérants lorsqu’il s’agit du vice-gouverneur. Faut-il souligner à ce propos que la charge de ce dernier est « d’assurer le bon fonctionnement des services de la Banque Centrale », une fonction somme toute de back office, aux confins de l’intendance. Le vice-gouverneur n’est point impliqué dans la problématique de l’indépendance de la politique monétaire ni par conséquent dans la problématique de la rémunération. Sa qualité de membre du Conseil d’administration ne l’autorise pas non plus à réclamer la révision de son salaire, car différemment, il faudrait alors en faire profiter tous ses pairs.
Le même raisonnement s’applique à plus forte raison, au secrétaire général à qui la loi confie « la gestion des affaires administratives de la Banque, soit n’en déplaise, « le back office du back office ».
Une éventuelle augmentation des salaires de ces personnes pervertira tout le système de rémunération dans le secteur public, à commencer par la Banque centrale elle-même, rompra sa cohérence d’ensemble en créant le précédent et en nourrissant l’appétit.
Elle interviendrait à un moment où le gouvernement négocie avec le partenaire social et risque fort sur ce chapitre de le fragiliser. Elle interviendrait surtout dans un contexte économique et social que la BCT elle-même qualifie d’extrêmement difficile et qui réclame que tous les sacrifices soient consentis et que les désirs immédiats, soient reportés à des lendemains meilleurs.
Au moment où le Président de la République baisse son salaire et où le gouvernement s’ingénie pour réduire le nombre de ministères, toute tentation, toute velléité chez la Banque centrale d’emprunter une voie différente serait blâmable et appellerait à une réaction ferme du pays légal.
Samir Brahimi, juriste et Secrétaire général du Centre de Prospective et d'Etudes sur le Développement (CEPED).
Les gouverneurs de banques centrales bénéficient généralement d’un régime de rémunération privilégié. La raison essentielle de cet avantage réside dans le souci de prémunir le gouverneur en sa qualité de dépositaire de la politique monétaire, contre la tentation d’instrumentaliser le taux directeur de la banque centrale ou le taux de change, c’est-à-dire de les utiliser non pas à des fins de régulation, mais pour servir plutôt les intérêts de lobbies privés. Pour conforter cette protection, de nombreuses législations dont la nôtre, interdisent au gouverneur de prendre ou de recevoir une participation ou quelque intérêt que ce soit dans toute entreprise privée. Après la cessation de ses fonctions, elles lui interdisent également de prêter son concours à des entreprises privées et de recevoir d'elles des rémunérations pour conseil ou travail, pendant un délai au cours duquel la banque centrale consent de lui débourser l’intégralité de son salaire et les autres avantages liés à sa charge.
Ces interdictions vont jusqu’à imposer au gouverneur d’utiliser les bâtiments de la banque centrale à des fins événements à caractère familial (réception, mariage en l’occurrence) et ce dans le but précis d’éviter tout avantage qui pourrait lui être concédé directement ou indirectement par des intérêts privés de quelque origine que ce soit. C’est le cas par exemple du gouverneur de la Banque de France . En Tunisie, tout un pavillon, le « salon d’honneur » est réservé au gouverneur pour ses discours, ses conférences de presse et ses invités.
Vis-à-vis des pouvoirs ou des lobbies publics, le gouverneur est protégé principalement par deux autres mécanismes, à savoir l’incompatibilité de ses fonctions avec toute charge gouvernementale ou de députation et le mandat.
L’idée d’indépendance est donc au cœur du régime de rémunération applicable au gouverneur et fonde toute sa légitimité. Nous la rencontrons d’ailleurs chez d’autres corps, tel celui des magistrats par exemple, notamment dans les pays où la justice est érigée en pouvoir et non en service public.
Le régime de rémunération réservé au gouverneur depuis la création de la BCT, rend compte de l’idée d’indépendance de façon claire et conséquente. En effet, contrairement à l’ensemble des dirigeants des organismes publics (établissements publics, offices et autres entreprises publiques), le gouverneur bénéficie du rang de ministre et perçoit à ce titre, un salaire équivalent. Mieux, la BCT pourvoit en vertu de la loi, à ses frais de logement, ameublement et autres accessoires. (En pratique, le gouverneur Béji Hamda et tous ses successeurs ont renoncé à cet avantage).
Sur un autre plan, toute référence aux banques publiques pour revendiquer une quelconque assimilation ou nivellement des traitements du gouverneur, est dénuée de fondement. Il est en effet une vérité perceptible immédiatement, sauf peut-être du côté de l’avenue Mohamed V, que la BCT n’est pas une banque, mais une banque centrale, pas plus que le gouverneur n’est pas un banquier, mais un banquier central.
La BCT est un établissement public au capital entièrement souscrit par l’Etat et que la loi qualifie à l’exclusion de tout autre, de « national » comme pour lui rappeler son appartenance à la haute sphère publique. Elle est l’une des manifestations les plus significatives de la République, le dépositaire exclusif de la souveraineté monétaire et d’une composante importante de la politique générale de l’Etat, la politique monétaire. La BCT ne poursuit pas de fins mercantiles et pourrait être amenée à accuser des pertes si tel était l’intérêt général et et lorsqu’elle fait des bénéfices, elle les verse au Trésor.
Que l’initiative d’augmenter le salaire du gouverneur et de certains de ses collaborateurs ait été décidée ou non, l’intention elle, ne fait pas pour nous l’ombre d’un doute. Nous l’avons d’ailleurs perçue à travers certaines dispositions des nouveaux Statuts de la BCT lorsqu’ils étaient encore au stade du projet et dans les propos mêmes du gouverneur lors des débats parlementaires.
L’option prise pour une refonte totale des Statuts, alors que rien ne le justifiait, participe de cette intention, comme le démontre l’affranchissement de l’institution de la tutelle de l’Etat, l’exclusion curieuse des deux statuts généraux de la fonction publique et des personnels des entreprises publiques, l’organisation non moins curieuse d’un régime d’incompatibilités pour le vice-gouverneur et le secrétaire général et la reconfiguration du Conseil d’administration qui ignore jusqu’aux béabas de la bonne gouvernance.
Dans un commentaire récent, nous avons dénoncé toutes ces entorses à la cohérence, la pertinence des choix retenus en 1958 et en particulier, la confusion suspecte nourrie par la BCT entre l’indépendance de l’institution et l’indépendance de la politique monétaire. Cette confusion tend non pas à affranchir la politique monétaire, mais à sortir l’établissement public de l’orbite de l’Etat actionnaire et des règles les plus élémentaires de la gestion publique, en un mot à le désétatiser. Le FMI, nous en sommes convaincus, n’a pas exigé de refonte et la plupart des aspects évoqués ici ne sont pas dans son rayon d’intérêt. L’idée de refonte est une idée de la BCT et servait tout simplement à légitimer ce genre de projet et lui donner une assise légale. Lors des débats parlementaires, le subconscient du gouverneur a parlé. L’homme avait « honte de révéler son salaire » !
Le bénéfice d’une rémunération avantageuse pour le gouverneur répond aux motifs exposés plus haut. Ces motifs sont toutefois inopérants lorsqu’il s’agit du vice-gouverneur. Faut-il souligner à ce propos que la charge de ce dernier est « d’assurer le bon fonctionnement des services de la Banque Centrale », une fonction somme toute de back office, aux confins de l’intendance. Le vice-gouverneur n’est point impliqué dans la problématique de l’indépendance de la politique monétaire ni par conséquent dans la problématique de la rémunération. Sa qualité de membre du Conseil d’administration ne l’autorise pas non plus à réclamer la révision de son salaire, car différemment, il faudrait alors en faire profiter tous ses pairs.
Le même raisonnement s’applique à plus forte raison, au secrétaire général à qui la loi confie « la gestion des affaires administratives de la Banque, soit n’en déplaise, « le back office du back office ».
Une éventuelle augmentation des salaires de ces personnes pervertira tout le système de rémunération dans le secteur public, à commencer par la Banque centrale elle-même, rompra sa cohérence d’ensemble en créant le précédent et en nourrissant l’appétit.
Elle interviendrait à un moment où le gouvernement négocie avec le partenaire social et risque fort sur ce chapitre de le fragiliser. Elle interviendrait surtout dans un contexte économique et social que la BCT elle-même qualifie d’extrêmement difficile et qui réclame que tous les sacrifices soient consentis et que les désirs immédiats, soient reportés à des lendemains meilleurs.
Au moment où le Président de la République baisse son salaire et où le gouvernement s’ingénie pour réduire le nombre de ministères, toute tentation, toute velléité chez la Banque centrale d’emprunter une voie différente serait blâmable et appellerait à une réaction ferme du pays légal.
Samir Brahimi, juriste et Secrétaire général du Centre de Prospective et d'Etudes sur le Développement (CEPED).