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Rendez-nous Ben Ali !


2 Novembre 2016

Sous la plume de Nicolas Beau, cela a l’air plutôt fantastique et hallucinant, tant l’auteur a été des années durant un ennemi de Ben Ali et un grand frère des Frères musulmans et autres trafiquants des droits de l’homme. Si Ben Ali a bien mérité sa fin parce qu’il n’a jamais été à l’écoute de quelques intellectuels au patriotisme exemplaire mais sous l’influence pernicieuse des médiocres et des zélateurs, la Tunisie ne méritait sans doute pas une telle régression depuis la fumisterie de la « révolution du jasmin ». Nicolas Beau a le mérite de reconnaitre, mieux vaut tard que jamais, que la corruption du temps de Ben Ali c’est rien par rapport à aujourd’hui, mais il n’est pas sans savoir que la somme de la corruption sous « l’ère nouvelle » et sous «l’islamisme modéré » est insignifiante comparée à la corruption sous la démocratie française. Une corruption qui touche indistinctement des Députés, des Sénateurs, des Ministres, des Présidents, des intellectuels et même des journalistes ! Le dernier livre de Georges Malbrunot et Christian Chesnot, « Nos très chers émirs » est à cet égard édifiant.


L’histoire avance parfois à reculons. La corruption qui régnait à l’époque de l’ancien président tunisien Ben Ali aura beaucoup contribué en 2011 à provoquer la colère populaire et à le chasser du pouvoir. Or depuis le départ du dictateur honni voici cinq ans, la dilapidation des deniers publics a pris en Tunisie une proportion qui n’avait jamais été atteinte. La corruption qui était réservée sous Ben Ali aux clans inféodés à la Présidence, et notamment à l’épouse du chef de l’Etat, Leila Trabelsi, s’est démocratisée, atomisée. On assiste aujourd’hui à une formidable dérégulation des prébendes et des bakchichs. Jusqu’aux taxis de l’aéroport de Tunis qui pratiquent une espèce de racket sur tout nouveau voyageur qui débarque au pays du jasmin. Sans même parler des passes droits qui sévissent aux frontières avec l’Algérie et la Libye, lorsque des caïds improvisés font main basse sur le trafic de marchandises en payant les douaniers ou la garde nationale.

Chaque corporation, chaque groupe d’intérêt, chaque clan au pouvoir se servent allègrement, sans que l’administration, paralysée, n’intervienne. Et pour cause, l’Etat tunisien n’existe plus, ou si peu.

La corruption, c’était Ben Ali, et lui seul !

Plus grave encore, on assiste aujourd’hui au pillage d’une grande entreprise publique comme Tunisie Télécom. On y découvre une direction incontrôlée et grassement payée qui est instrumentalisée par des intérêts étrangers, en l’occurrence les Emirats Arabes Unis (voir l’enquête ci contre). Sous Ben Ali, le groupe public de téléphonie n’aurait sans doute pas connu de telles dérives. Au gouvernement, une technostructure indépendante et compétente, dont le régime a toujours pris soin de s’entourer, veillait à défendre les intérêts supérieurs de l’appareil de production tunisien. Et gare aux dérapages ! Au sein de l’administration de l’Intérieur, oh combien brutale et arbitraire sous le règne du dictateur, Ben Ali avait viré pas moins de 2000 policiers suspectés de malversation. La corruption, c’était lui, et lui seul qui en avait le monopole. Le président en choisissait les destinataires et en régulait les montants, dans des arbitrages sophistiqués où l’intérêt national tunisien n’était pas oublié.

Nous avons été grisés, emportés, conquis, par la soif de parole et le désir de justice qui ont marqué le Printemps tunisien. La formidable liberté d’expression qui règne aujourd’hui à Tunis est un modèle pour de nombreux pays arabes. Souhaitons que l’exception tunisienne ne soit pas minée par les appétits financiers qui sont, hélas, encouragés dans la Tunisie du président Beji.

Nicolas Beau, dans MondeAfrique du 1er novembre 2016