Rafik Belhaj Kacem, dernier prisonnier politique à qui la Justice doit rendre sa liberté


20 Mars 2014

Arbitrairement arrêté le 1er février 2011, l’ancien ministre de l’Intérieur a été condamné à 37 ans de prison dans trois affaires portants sur les mêmes faits ! Son avocat, maitre Nizar Ayed, qui a porté l'affaire devant le Haut Commissariat des Nations Unies à Genève, a interjeté appel et c’est le 26 mars prochain que la Cour d’Appel militaire permanente de Tunis va statuer sur cette demande d’appel. Le verdict sera un test, pas seulement pour la Justice tunisienne, mais aussi pour le gouvernement intérimaire de Mehdi Jomaa.


Rafik Belhaj Kacem, ancien ministre de l'Intérieur
C’est le dernier des ministres de Ben Ali à se trouver encore en prison. Tous les autres ont été libérés, les deux derniers ayant été Ridha Grira, ancien ministre de la Défense, et Nadhir Hamada, ancien ministre de l’Environnement et du Développement durable. Beaucoup d’autres hauts fonctionnaires moisissent derrière les barreaux, rien que parce qu’ils étaient au service de l’Etat et de la Nation. Dans le cas de l’ancien ministre de l’Intérieur, l’association des amis de Béja et l’association de soutien à Rafik Belhaj Kacem ont d'ailleurs récemment organisé une manifestation devant le tribunal de première instance de Béja, selon le quotidien Al-Jarida, du 17 mars dernier. Ce n'était pas tant pour témoigner une certaine loyauté à l'égard d'un ministre respectable et respecté, que pour signifier à la Justice militaire que l'époque des procès iniques et politiques est révolue. 

TS a été le premier média à défendre ces prisonniers politiques de l’ère post « révolutionnaire ». Et on ne lâchera pas ce dossier tant que le dernier des prisonniers n’aura pas été libéré. Selon nos sources, ils sont près d’une cinquantaine injustement derrière les barreaux, notamment Ali Seriati, Mohamed Lamine el-Abid, Tiwiri, Boudrigua, Zouaoui…Parmi eux, le seul à avoir occupé le poste de ministre est Rafik Belhaj Kacem. Tous les autres sont de hauts responsables sécuritaires qui se sont dévoués au service de l’Etat tunisien.

Position d’une militante des droits de l’homme

Selon Violette Daguère, militante des droits de l’homme qui s’occupe réellement de « ceux qui ont été diabolisés après la révolution et présentés comme les assassins des martyrs », il y a autour de cette question de prisonniers politiques « une certaine gêne encore. Je sens qu’il y a un malaise même sur le plan médiatique pour aborder cette problématique et évoquer certains noms connus sous Ben Ali aujourd’hui sous les verrous. Il faut se poser la question quant à l’implication de ces personnes dans les événements sanglants d’après la révolution. Il ne faut pas que ces dirigeants soient emprisonnés des années durant pour avoir simplement servi leur pays à un moment de l’Histoire » (son interview dans Business News du 27 février 2014).

A l’inverse de Sihem Ben Sedrine et Souhayr Belhassen, qui n’ont pas bougé le petit doigt pour dénoncer les atteintes graves aux droits de l’homme depuis le coup d’Etat du 14 janvier 2011 et qui préfèrent s’occuper de leurs carrières droit-de-l’hommienne en se disputant un poste auprès du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève, Violette Daguère, qui n’est pas tunisienne, a tout essayé pour faire libérer les prisonniers politiques, estimant que « Le peuple tunisien n’est toujours pas à même de savoir clairement ce qui s’est passé pendant la révolution. Il ne faut donc pas tenir ces gens pour potentiels responsables, sans preuves, dans le simple but d’en faire des symboles ou des trophées illustrant la réussite de la transition politique ».

Procédure bâclée dans une affaire tronquée
 

Le cas de Rafik Belhaj Kacem est des plus édifiants. Il a totalisé une peine de 37 ans de prison, prononcée par trois tribunaux d’exception, qui plus est sur les mêmes faits qu’on lui reproche. Or, dans tous les codes du monde, « Nul ne peut être traduit deux fois devant une juridiction répressive pour des faits identiques ». C’est la règle du non bis in idem.

En effet, l’ancien ministre de l’Intérieur a été condamné à 12 ans par le tribunal militaire de Tunis, à 15 ans par le tribunal militaire du Kef, et à 10 ans par le tribunal militaire de Sfax. Ces trois tribunaux constitués à la hâte, selon les lieux géographique où sont tombés les « martyrs », avaient pour chef d’accusation la complicité pour meurtre pour avoir donné des instructions aux forces de l’ordre de tirer sur les manifestants. Or, pour les événements du grand Tunis, où le premier mort est tombé le 12 janvier 2011, Rafik Belhaj Kacem ne peut être tenu pour juridiquement responsable, puisqu’il a été limogé par Ben Ali le 12 janvier précisément ! Malgré ce fait irrécusable, le tribunal militaire de Tunis l’a condamné à 12 ans, non seulement pour la mort de ce premier « martyr », mais aussi pour les 42 autres tombés entre le 13 et le 14 janvier !

La même irrégularité a été commise dans l’affaire des « martyrs » de Sfax, qui a été jugé par le tribunal militaire de Sfax et dans laquelle Rafik Belhaj Kacem a écopé de 10 ans de prison ferme, alors qu’il n’était plus ministre de l’Intérieur depuis le 12 janvier 2011. Quant aux « martyrs » de Tala (6 morts, le 8 janvier 2011) et Kasserine (6 morts le 9 janvier 2011),  bien des mensonges ont été racontés et bien des injustices ont été commises. En voici un exemple frappant.    

Preuve accablante  

Le jeudi 12 décembre 2013, Khaled Ghazouani, ancien chef du district de sureté nationale du Kef, a été condamné, par le Tribunal militaire du Kef, à six ans de prison ferme pour « meurtre avec préméditation » dans l’affaire relative aux évènements du 5 février 2011 au Kef. Pour rappel, lors de ces évènements, le siège du district de sureté nationale du Kef a été brûlé, deux personnes sont décédées et plusieurs autres ont été blessés. Ce jour là, Khaled Ghazouani a échappé à la mort de justesse (voir vidéo https://fr-fr.facebook.com/video/video.php?v=145895808804961). En effet, deux hommes à visages couverts s’en sont pris à ce fonctionnaire de l’Intérieur sous prétexte qu’il a tué l’un des manifestants qui essayait de saccager le siège du district.

Le jeudi 6 Mars 2014, Nessma TV révèle une séquence vidéo de la plus grande importance (voir vidéo http://www.youtube.com/watch?v=QzcdxiqkH70) relative aux évènements du 5 février 2011. En effet, la chaine de télévision a fourni une preuve irréfutable de l’innocence de Khaled Ghazouani. Sur la vidéo, on voit clairement un tireur embusqué qui tire, à bout portant, sur le manifestant en question. Qui est donc ce mercenaire et où se trouve-il actuellement ? Sous les ordres de qui agissait-il ? Pourquoi n’a t-il pas été arrêté et jugé pour ses crimes, et qui le protège?  Tant de questions et peu de réponses. Mais une chose est sure : Khaled Ghazouani n’y est pour rien dans cette affaire. A plus forte raison son ministre, Rafik Belhaj Kacem, mis hors de cause du fait même que ces événement sont postérieurs à son limogeage, le 12 janvier 2011.

Cette vidéo constitue une pièce maitresse que la Cours d’appel militaire permanente de Tunis doit pouvoir considérer comme un fait nouveau dans le dossier. Sur le plan strict du droit, cette Cour d’appel doit relaxer tous les agents et hauts fonctionnaires impliqués dans cette affaire. Sur le plan des faits, il est évident que plusieurs « martyrs », pas seulement dans le gouvernorat du Kef d’ailleurs, ont été abattu par des hommes inconnus, qui n’appartenaient pas aux forces de l’ordre. On les a vu aussi à Jendouba, à Sfax et à Tunis agissant avec le même mode opératoire qu’en Egypte, en Syrie et récemment encore en Ukraine !

Dossier vide et instruction à charge

Mais il n’y a pas que ce fait troublant. Les douze « martyrs » de Tala et Kasserine n’étaient pas tous de jeunes manifestants pacifiques qui criaient misère, comme on a voulu le faire croire. Il y avait aussi des voyous et des criminels qui se sont attaqués aux biens publics et privés et dont certains ont même assailli à coups de cocktails molotov des agents de l’ordre repliés dans leurs postes de police. Ces agents avaient le droit et même le devoir de se défendre contre ces criminels. Entre janvier et février 2011, 56 de ces agents de l’ordre ont d’ailleurs été tués. Ce sont eux qui méritent le titre de martyr, parce qu’ils ont répondu à leur devoir de maintenir l’ordre, de protéger les biens publics et privés, et non pas les casseurs, les incendiaires et les criminels, qui ont profité de l'anarchie pseudo-révolutionnaire pour piller et voler.

Dans les trois affaires pour lesquelles Rafik Belhaj Kacem a été condamné, les juges ne disposaient d’aucun élément probant : ni enregistrement téléphoniques, ni témoignages oraux ou écrits d’agents et responsables des forces de l’ordre accusant leur ministre, ni circulaires ministérielles indiquant les instructions qu’on prête au ministre de l’Intérieur. Bien au contraire, la seule circulaire qu’on a retrouvé et qui a été d’ailleurs publié sur internet indique clairement que les consignes, du plus haut niveau de l’Etat jusqu’aux différentes directions de l’Intérieur, stipulait « l’interdiction aux forces de l’ordre d’utiliser des balles réelles », de ne pas pénétrer les établissements scolaires et universitaires, et de faire preuve de « retenu quelques soient les circonstances ».

Devoir de vérité pour les Tunisiens et test pour le gouvernement Mehdi Jomaa 

Facteur aggravant, Rafik Belhaj Kacem a été explicitement considéré comme faisant partie des forces de sécurité, alors qu’il était ministre. A ce titre, son affaire, si affaire il y a, ne relève donc pas des tribunaux militaires mais de la Haute Cour, comme le stipule les lois tunisiennes. A défaut d’une telle instance judiciaire, la Cour d’Appel militaire permanente de Tunis, qui va statuer sur le cas Rafik Belhaj Kacem le 26 mars prochain, doit pouvoir le relaxer. Pas seulement en raison des multiples irrégularités qui ont entaché la procédure, ou de l’absence de toute preuve incriminant l’ancien ministre de l’Intérieur, mais aussi pour que la Justice tunisienne retrouve sa crédibilité et sa totale indépendance, et pour que cette affaire ne prenne pas d’autres propensions au sein du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, à Genève, où se trouve actuellement maitre Nizar Ayed, l’avocat de Rafik Belhaj Kacem.

L’ère des procès fabriqués pour blanchir les militaires, accabler les sécuritaires et occulter les snipers étrangers et locaux, et des tribunaux improvisés à des fins politiciennes et populistes, est révolue. Par-delà le cas Rafik Belhaj Kacem, les Tunisiens ont le droit de savoir toute la vérité. Trois ans après le coup d’Etat déguisé du 14 janvier 2011, ils ont le droit de savoir qui a tué qui à Tala, Kasserine, Jendouba, Sfax, Bizerte, Sousse, Tunis… , qui protège les snipers locaux et les mercenaires travaillant pour certains services étrangers, et qui cherche encore à culpabiliser les hauts responsables du ministère de l’Intérieur, qui n’ont fait que répondre à leur devoir de protéger la Tunisie d’une conspiration certaine qui n’a plus besoin d’être démontrée et dont les Tunisiens mesurent à présent les conséquences dramatiques. L'affaire Rafik Belhaj Kacem a valeur de test. Un test d'indépendance ou de soumission du gouvernement Mehdi Jomaa.

Nebil Ben Yahmed

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