Musulmans modérés et laïcs unis contre le terrorisme en Tunisie !


28 Mars 2015

C’est le titre de la dernière tribune attribuée à Rached Ghannouchi et qui a été publiée, le 26 mars, dans Le Monde. A remarquer que ce quotidien islamophile et jésuite n’appelle plus son idole « islamiste modéré » mais « musulman modéré » !!! Si l’on ignore encore le montant de cette opération de communication, nous avons par contre une idée sur le rédacteur et le correcteur de cette tribune hautement significative. A lire l’article qui va suivre de Lilia Ben Rejeb.


Un visage peut en dissimuler un autre. Un discours peut en cacher un autre!!!
La Tunisie a vécu, à la veille de la commémoration de son indépendance, un événement dramatique d’une rare violence. Le mercredi 18 mars, au moins vingt innocents, nos hôtes et nos enfants, ont perdu la vie et plusieurs dizaines ont été blessés dans leur chair. Le peuple tunisien, dans son entier, est en communion avec la douleur et la colère des familles des victimes.

La Tunisie sort meurtrie de ce massacre, mais reste lucide sur les desseins des terroristes. Le Bardo, lieu de l’attaque, symbolise à la fois notre culture millénaire et notre jeune démocratie. Visiblement, les terroristes cherchent à interrompre la transition démocratique en marche, et à plonger dans le chaos le seul pays où le « printemps arabe » a réussi à aboutir à l’émergence d’une démocratie.

Ce progrès a été possible grâce à l’engagement déterminé des Tunisiens sur la voie du dialogue et de l’union nationale face aux multiples défis de la transition vers la démocratie. Cette détermination s’est illustrée avec notre attachement à faire abstraction des querelles du passé en ayant à cœur le respect des croyances et convictions de chacun. Une force vitale anime le pays : construire ensemble une démocratie inclusive et progressiste, bâtir une société juste et tolérante.

Nécessaire exception tunisienne

L’exception tunisienne est basée sur quatre fondements totalement assimilés par le parti Ennahda. Tout d’abord, la conviction que la réconciliation nationale est une condition indispensable de la démocratie. Ensuite, l’attachement à piloter la transition vers la démocratie en construisant et favorisant la rencontre et le travail des islamistes modérés et laïques modérés autour de l’intérêt national.

La constitution est, elle-même, le troisième fondement de cette exception tunisienne, protectrice des libertés individuelles, garantissant l’égalité des hommes et des femmes tout en offrant à notre Etat le fondement des institutions représentatives et légitimes. Enfin, nous avons toujours promu l’idée d’un gouvernement d’union nationale quels que soient les résultats des élections.
Ceux qui ont perpétré l’attaque violente au Bardo, expriment leur désarroi face à l’incroyable pari que nous avons relevé en Tunisie, à savoir concilier l’esprit universel des Droits de l’homme avec notre identité arabo-musulmane et prouver qu’islamistes modérés et laïques modérés peuvent travailler de concert pour mieux construire la démocratie et faire face aux défis de la transition démocratique.

Aujourd’hui, nous avons la tristesse de partager avec nombre de pays les affres du terrorisme. Il s’agit d’un phénomène transrégional, dont nous recueillons, nous aussi, les amers fruits. Il faudra donc établir une stratégie globale pour l’endiguer.

Le terrorisme n’est pas né en Tunisie après la révolution. Notre pays a longtemps souffert du radicalisme avant la révolution, à la suite des politiques de répression de l’ancien régime, du déni des libertés et des droits de l’homme, et de la marginalisation. Après la révolution, malheureusement, les extrémistes ont bénéficié de l’instabilité consécutive à l’incapacité des institutions à exercer leur autorité, et de la liberté acquise par les Tunisiens.

En Tunisie, au sortir de dizaines d’années de répression, nous avons toutefois la certitude que la lutte contre le terrorisme ne se fera pas au détriment des libertés chèrement acquises. Après la révolution, les gouvernements successifs se sont attaqués à ce défi dans un contexte marqué par des querelles politiques, des difficultés économiques profondes, des services de sécurité mal équipés ainsi que par une instabilité régionale.

Durant cette période, les efforts de ces gouvernements ont permis le démantèlement de nombreuses cellules radicales, et la reprise du contrôle sur les mosquées, l’amélioration du contrôle des frontières et celle de la coopération avec l’Algérie et d’autres pays voisins pour bénéficier de leur expertise. Le gouvernement de la troïka a proscrit le mouvement Ansar al-Charia et l’a déclaré groupe terroriste en 2013. Cette guerre contre le terrorisme a continué sous les différents gouvernements avec la réalisation de nombreux succès. Nous devrons, bien entendu, continuer à améliorer notre réponse sécuritaire.

La solution sécuritaire ne suffit pas

Toutefois, l’approche sécuritaire n’est pas suffisante, le terrorisme est une nébuleuse criminelle. Nous savons que l’injustice sociale et économique crée un environnement favorable aux extrémismes et fait son lit sur la misère culturelle et éducative. Nous devons combattre la marginalisation de la jeunesse.

Sans une économie forte, le projet tunisien risquerait d’imploser socialement. Nous espérons une aide significative, à cet égard, de la part de nos partenaires internationaux, et notamment de la France et de l’Union européenne, pour renforcer les collaborations économiques avec la Tunisie. Il va de la responsabilité de l’Etat tunisien d’agir sur ces plans sans négliger l’importance de combattre l’endoctrinement dont les jeunes Tunisiens font l’objet.

Nous devons être en mesure de leur inculquer les fondements véritables de notre religion, afin qu’ils puissent eux-mêmes distinguer le vrai du faux dans le message de l’islam, qui est tout entier pénétré de l’idée de paix et de tolérance. La violence se nourrit de l’ignorance, et il est de notre devoir de faire reculer le désert intellectuel dans lequel a grandi la génération sacrifiée de l’ère Ben Ali. Le parti Ennahda appelle à la tenue d’une conférence nationale pour définir ensemble, Tunisiens de tous bords, une stratégie de long terme de lutte contre le terrorisme. Toutes les forces vives du pays doivent contribuer à cette réflexion générale sur un phénomène qui est ni sporadique ni passager.

La lutte contre la terreur est un travail de longue haleine qui doit inclure toutes les personnes désireuses de protéger notre expérience démocratique. L’union nationale ne doit pas rester un vœu pieux, cela doit devenir un serment. Ce n’est qu’ensemble que nous arriverons au bout de la terreur. Tout comme nous avons réussi à vaincre la dictature, nous vaincrons le terrorisme. Ces tentatives de déstabilisation ne feront pas plier le peuple tunisien, qui ne s’accoutumera pas à la peur ni au terrorisme, mais qui restera uni pour un futur prospère.

La Tunisie restera debout, continuera à accueillir ses hôtes ainsi que les investisseurs qui veulent miser sur sa stabilité, et à donner de l’espoir à son peuple. Le succès du modèle tunisien n’est pas uniquement dans l’intérêt de la Tunisie et de ses citoyens, mais est considéré comme une réussite globale, tant dans le monde arabe qu’en Europe et dans le reste du monde.

Rached Ghannouchi, dirigeant du parti Ennahda, article publié le 26 mars 2015 dans Le Monde.