Les égyptologues nous racontent que le pharaon Aménophis II, fils du grand Thoutmôsis III, a été contraint de mater une rébellion aux confins de la Syrie actuelle. La révolte écrasée, il rentra triomphalement chez lui avec des milliers de prisonniers, dont sept princes syriens, qu’il avait personnellement exécutés avec sa propre massue. Il accrocha leurs corps sur la proue de son vaisseau et les ramena jusqu’à Thèbes (aujourd’hui Louxor) où six d’entre eux furent exposés sur les murs du temple de Karnak. Le corps du septième malheureux fut traîné jusqu’en Nubie et subit le même sort atroce que celui de ses compatriotes « pour servir d’exemple aux princes éthiopiens et pour leur apprendre à respecter l’autorité du maître » [1].
Bien des siècles plus tard, le président Morsi se retrouve dans une situation analogue. Il aurait bien aimé mener une campagne punitive contre le président Bachar, ramener sa dépouille ainsi que celles de quelques-uns de ses proches pour les exhiber comme trophée de guerre sur la place Tahrir. Suivant les courbes de son fleuve mythique, il aurait ensuite sillonné le pays vers le sud, traînant avec lui les restes du président syrien, traversé les frontières et atteint les rives lointaines du lac Tana où nait le Nil bleu pour montrer aux Éthiopiens qui est le vrai maître des eaux du Nil. Mais, n’est pas Aménophis qui veut. Le président Morsi excelle plus dans le chapitre de la gesticulation que dans celui de la témérité. En effet, depuis son élection, il s’est évertué à appuyer sans réserve les insurgés syriens espérant avoir rapidement « la tête » du président Bachar qu’il aurait tant aimé « épingler » sur son piètre bilan présidentiel et, du coup, faire plaisir à ses bailleurs de fonds, à la confrérie des Frères musulmans dont il est issu et aux islamistes égyptiens de diverses sensibilités. D’un autre côté, il essaie de montrer ses « griffes » à la « méchante » Ethiopie qui veut sa part des eaux du Nil, faisant fi de vieux traités qu’elle juge obsolètes. A cet égard, le discours explicitement va-t-en-guerre du président égyptien et de ses partisans islamistes est non seulement étonnant de la part de responsables d’un pays de l’envergure de l’Egypte, mais ne sied guère aux règles élémentaires d’une diplomatie responsable et efficace.
A vrai dire, Morsi n’a rien à voir avec Aménophis, si on en juge par le grand nombre de bourdes politiques qu’il a commises durant sa première année de magistrature, si bien que certains journalistes se sont questionnés sur « ses capacités d’homme d’Etat » [2]. Et cela sans compter ses agissements aux antipodes de la bienséance en visite officielle [3], ou d’autres aspects personnels, encore plus gênants pour l’étiquette et l’aura présidentielles, fussent-elles d’un pays comme l’Egypte [4].
Il est important de noter, d’autre part, que parmi les pays de la région qui aident activement la rébellion syrienne et qui n’ont comme unique option politique que celle de l’anéantissement du président Bachar, la presse internationale a coutume de mentionner le Qatar, l’Arabie saoudite ou la Turquie. Très rarement le nom de l’Egypte n’est cité, alors que les positions de ses dirigeants islamistes « post-printaniers » sont aussi intransigeantes que celles des pays évoqués, voire plus.
Tels les « Onze d’Athènes » qui faisaient en même temps office de policiers et de magistrats dans l’antique cité grecque, onze pays se sont rencontrés à Doha le 21 juin 2013 pour « coordonner l’aide aux rebelles syriens » [5]. A côté des cinq pays occidentaux membres du G8 (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie), étaient présents : le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie, la Jordanie, les Emirats arabes unis et, bien sûr, l’Egypte. Selon certaines sources, seules l’Allemagne et l’Italie n’ont pas été d’accord sur l’apport d’aide militaire aux insurgés syriens [6]. Quelques jours avant cette réunion des « vrais » amis de la Syrie (les amis « tout court » étaient bien plus nombreux lors des rencontres précédentes), le président Morsi avait annoncé la rupture « définitive » des relations diplomatiques de son pays avec la Syrie et a « exhorté la communauté internationale à instaurer une zone d’exclusion aérienne en Syrie afin de favoriser les rebelles contre les forces gouvernementales » [7]. Rappelons à ce titre que même l’administration Obama avait rejeté cette idée, la jugeant inadaptée à la situation syrienne [8]. Cette décision, prise le 15 juin 2013 par Morsi, dans un stade du Caire, devant un parterre d’islamistes acquis à sa cause, n’est en fait qu’un jalon de plus dans sa politique de soutien sans réserve aux opposants syriens.
Le président égyptien n’a jamais changé de cap depuis son accession à la magistrature suprême. Et cela a commencé dès son discours d’investiture du 30 juin 2012 à l’université du Caire, tout juste après avoir prêté serment comme premier président égyptien élu. Il avait alors déclaré : « Nous soutenons le peuple syrien. Nous voulons que l’effusion de sang cesse » [9]. Par « peuple syrien », il entendait « rébellion syrienne » et l’histoire nous a montré que, depuis, le sang syrien n’a malheureusement jamais autant coulé.
Et les chiffres sont éloquents à ce sujet : d’août 2012 (soit quelques semaines après le discours d’investiture de Morsi) à aujourd’hui, le nombre de victimes syriennes est passé de 25 000 [10] à 93 000 et celui des réfugiés de 200 000 à plus de 1,6 million [11]. Comme dans ce genre de conflit, ce sont les populations civiles qui sont les plus touchées, il va sans dire que la politique étrangère du président « frériste » est au moins aussi catastrophique que celle qu’il prône à l’intérieur de son pays. En une année, Morsi a réussi à créer un climat d’insatisfaction populaire généralisée comme en témoignent les millions de signatures recueillies par une pétition appelant à son départ [12].
Désirant prendre le leadership dans le contrôle de la rébellion syrienne, Morsi et son administration ont favorisé la création, au Caire, du Conseil pour la révolution syrienne (CRS), un nouveau groupe d’opposition constitué de dissidents syriens. Créé à peine un mois après l’investiture du président égyptien, le CRS était censé proposer une alternative au Conseil national syrien (CNS) qui faisait face, à l’époque, aux dissensions intestines de l’opposition syrienne [13] et former un gouvernement en exil basé au Caire [14]. Vivement critiquée par l’Armée syrienne libre (ASL), cette initiative n’a pas eu l’effet escompté et les desseins secrets de Morsi n’ont pas dépassé le stade embryonnaire.
Morsi a aussi utilisé des tribunes internationales pour exposer sa « politique syrienne ». Ainsi, au 16e Sommet des pays non alignés qui s’est déroulé à Téhéran fin août 2012, il a créé un incident diplomatique en dénonçant le « régime oppressif » syrien devant les représentants des 110 délégations présentes à cet évènement. Mécontente de la teneur des propos de Morsi, la délégation syrienne avait quitté l’assemblée [15]. Juste quelques jours après cet incident, l’administration de l’opérateur de satellites de télécommunications égyptien semi-public Nilesat a décidé d’arrêter la diffusion des chaînes étatiques syriennes, officiellement à la suite d’une requête de la Ligue arabe [16]. Néanmoins, cette rapide et sévère sanction n’a pas dû se faire sans l’approbation et la jubilation du gouvernement égyptien.
A ce sujet, il faut reconnaître que les islamistes égyptiens en général et les Frères musulmans en particulier ont la mémoire courte. En 2008, sous le « règne » de Moubarak, la chaîne de télévision satellitaire Al-Hiwar (très) proche de la confrérie avait aussi été bannie par Nilesat [17]. Cette mesure avait été prise par les plus hautes instances du gouvernement de l’époque, car la chaîne était jugée très critique à leur égard. Cette mesure avait d’ailleurs coïncidé avec la déclaration de Jamal Moubarak (fils de l’ex-président) dans laquelle il qualifiait certaines chaînes de « partisanes cherchant à porter atteinte à l’Egypte » [18]. Et quelle avait été la réaction des Frères musulmans ? Sur leur site, on peut encore lire : « Le bannissement de la chaîne Al-Hiwar de Nilesat contredit toutes les valeurs et les critères professionnels » [19]. Ne pourrait-on pas reprendre la même phrase pour les chaînes syriennes ? Surtout si l’on tient compte de l’omniprésence des dissidents syriens sur les plateaux de télévisions égyptiennes et du black-out total sur les informations provenant du gouvernement syrien.
Après sa démarche quelque peu hasardeuse avec la création du CRS, l’Egypte s’est reprise lors de la conférence de Doha de novembre 2012. Cette rencontre avait accouché sous forceps d’une « Coalition nationale de l’opposition syrienne » censée regrouper les différentes factions de l’opposition syrienne dans un organisme beaucoup plus fédérateur que le CNS. Bien que très réservée à l’égard de cette nouvelle entité [20], l’Egypte s’est engagée à lui offrir son hospitalité et abriter ses quartiers généraux au Caire [21]. De quoi toujours rester sur le devant de la scène dans le dossier syrien.
Interviewé par la chaîne américaine CNN en janvier 2013, Morsi a accusé Bachar de crimes de guerre contre sa population [22]. Faut-il rappeler que c’est ce même président égyptien qui, quelques mois auparavant, envoyait des lettres très chaleureuses au président israélien Shimon Peres, le qualifiant de « cher et grand ami » et d’« ami fidèle » [23] après tous les massacres perpétrés par l’Etat hébreu contre les Palestiniens ? Et que c’est ce même Morsi qui disait que « les juifs sont des suceurs de sang, des descendants des porcs et des singes » en 2010, alors qu’il n’était pas encore aux commandes du pays [24] ? Malgré l’inexorable dégradation de la situation économique et financière de l’Egypte [25], Morsi et son gouvernement se sont engagés à aider financièrement la rébellion syrienne [26] lors de la récente rencontre des « Onze ».
Cette stratégie a été vivement critiquée en Egypte. Certains sont convaincus que Morsi utilise le drame syrien pour détourner l’attention des problèmes économiques complexes, alors que d’autres pensent qu’il s’agit d’une vraie déclaration de guerre [27]. Dans une charge contre la politique syrienne de Morsi, le journaliste égyptien Moustafa Bakri a déclaré que « cette position, qui reflète la position de la présidence, est un aveu explicite que les dirigeants égyptiens au pouvoir sont impliqués dans la guerre contre la Syrie et qu’ils soutiennent officiellement l’envoi et la prise en charge de combattants tout en leur fournissant les garanties de ne poursuivre aucun d’entre eux après leur retour au pays » [28].
De son côté, le Mouvement du 6 avril, fer de lance de la contestation anti-Moubarak, a jugé que la rupture des relations avec la Syrie est un signe du manque de vision politique du président « alors que la situation en Syrie est compliquée et requiert avant tout une décision qui mettrait un terme au bain de sang » [29]. Il faut reconnaître que la politique suivie par Morsi et son gouvernement n’est nullement guidée par l’intérêt de l’Egypte, mais plutôt par celui de la Confrérie des Frères musulmans. Leurs accointances idéologiques avec les rebelles syriens sunnites, leur soif de vengeance pour les exactions commises par Assad père contre les Frères musulmans syriens, leurs relations privilégiées avec le Qatar, grand « argentier » des mouvements islamistes, leur lien « fraternel » avec le Cheikh Youssef Al-Qardaoui, rédacteur en chef des fetwas pour le djihad en Syrie et prédicateur vedette de l’émirat du Qatar et, finalement, leur désir de plaire à tout prix à l’administration américaine afin de se maintenir au pouvoir sont les grandes lignes qui expliquent leur stratégie dans le dossier syrien. Mais où est-elle donc alors cette volonté de travailler pour que cesse l’effusion de sang syrien ? Et qui se rappelle que du temps du président Nasser, considéré par les Frères musulmans comme un de leurs pires ennemis, l’Egypte et la Syrie ne formaient qu’un seul pays ? Dans le domaine de la politique intérieure, c’est du pareil au même.
Morsi et son gouvernement mettent au premier plan leur appartenance à la confrérie et leur désir de « frériser » la vie politique du pays les a amenés à procéder à des nominations controversées. Sur les 27 gouvernorats égyptiens, dix sont actuellement dirigés par des Frères musulmans [30]. A Louxor, la mythique Thèbes, joyau du tourisme égyptien, c’est Adel Mohamed Al-Khayat, un ancien chef du groupe islamiste radical Jamaa el-Islamiya, qui a été nommé gouverneur. En 1997, cette organisation terroriste avait revendiqué un attentat perpétré à Louxor. Bilan : 62 morts (58 touristes et 4 Egyptiens), dont certains ont été sauvagement achevés à l’arme blanche. L’immense tollé provoqué par cette nomination vient de contraindre le gouverneur fraîchement désigné (et ex-terroriste) à la démission [31]. Actuellement, l’opposition égyptienne semble galvanisée autour de la gigantesque manifestation qu’elle veut organiser le 30 juin 2013 pour demander le départ du président Morsi et l’organisation d’élections anticipées. Initialement pris à la légère par la confrérie, cet évènement, prévu après exactement un an de présidence de Morsi, commence à sérieusement l’inquiéter. Pourra-t-elle résister à cet ultime coup de boutoir ?
Produit du légendaire sens de l’humour égyptien, une blague de l’opposition a circulé sur la toile après la décision controversée du président Morsi : « Félicitations au peuple syrien ! Morsi a rompu ses relations diplomatiques avec vous. Nous espérons que le 30 juin, il les rompra aussi avec nous ! » Dans ce cas de figure, et à défaut de ressembler à Aménophis II, Morsi suivra les pas de Mentouhotep VII dont le règne ne dura qu’un an. Malgré cela, on peut lire sur sa stèle érigée au temple de Karnak : « Je suis le roi au sein de Thèbes » [32].Tunisie-Secret.com
Ahmed Bensaada * http://www.ahmedbensaada.com/, 27 juin 2013
Bien des siècles plus tard, le président Morsi se retrouve dans une situation analogue. Il aurait bien aimé mener une campagne punitive contre le président Bachar, ramener sa dépouille ainsi que celles de quelques-uns de ses proches pour les exhiber comme trophée de guerre sur la place Tahrir. Suivant les courbes de son fleuve mythique, il aurait ensuite sillonné le pays vers le sud, traînant avec lui les restes du président syrien, traversé les frontières et atteint les rives lointaines du lac Tana où nait le Nil bleu pour montrer aux Éthiopiens qui est le vrai maître des eaux du Nil. Mais, n’est pas Aménophis qui veut. Le président Morsi excelle plus dans le chapitre de la gesticulation que dans celui de la témérité. En effet, depuis son élection, il s’est évertué à appuyer sans réserve les insurgés syriens espérant avoir rapidement « la tête » du président Bachar qu’il aurait tant aimé « épingler » sur son piètre bilan présidentiel et, du coup, faire plaisir à ses bailleurs de fonds, à la confrérie des Frères musulmans dont il est issu et aux islamistes égyptiens de diverses sensibilités. D’un autre côté, il essaie de montrer ses « griffes » à la « méchante » Ethiopie qui veut sa part des eaux du Nil, faisant fi de vieux traités qu’elle juge obsolètes. A cet égard, le discours explicitement va-t-en-guerre du président égyptien et de ses partisans islamistes est non seulement étonnant de la part de responsables d’un pays de l’envergure de l’Egypte, mais ne sied guère aux règles élémentaires d’une diplomatie responsable et efficace.
A vrai dire, Morsi n’a rien à voir avec Aménophis, si on en juge par le grand nombre de bourdes politiques qu’il a commises durant sa première année de magistrature, si bien que certains journalistes se sont questionnés sur « ses capacités d’homme d’Etat » [2]. Et cela sans compter ses agissements aux antipodes de la bienséance en visite officielle [3], ou d’autres aspects personnels, encore plus gênants pour l’étiquette et l’aura présidentielles, fussent-elles d’un pays comme l’Egypte [4].
Il est important de noter, d’autre part, que parmi les pays de la région qui aident activement la rébellion syrienne et qui n’ont comme unique option politique que celle de l’anéantissement du président Bachar, la presse internationale a coutume de mentionner le Qatar, l’Arabie saoudite ou la Turquie. Très rarement le nom de l’Egypte n’est cité, alors que les positions de ses dirigeants islamistes « post-printaniers » sont aussi intransigeantes que celles des pays évoqués, voire plus.
Tels les « Onze d’Athènes » qui faisaient en même temps office de policiers et de magistrats dans l’antique cité grecque, onze pays se sont rencontrés à Doha le 21 juin 2013 pour « coordonner l’aide aux rebelles syriens » [5]. A côté des cinq pays occidentaux membres du G8 (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie), étaient présents : le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie, la Jordanie, les Emirats arabes unis et, bien sûr, l’Egypte. Selon certaines sources, seules l’Allemagne et l’Italie n’ont pas été d’accord sur l’apport d’aide militaire aux insurgés syriens [6]. Quelques jours avant cette réunion des « vrais » amis de la Syrie (les amis « tout court » étaient bien plus nombreux lors des rencontres précédentes), le président Morsi avait annoncé la rupture « définitive » des relations diplomatiques de son pays avec la Syrie et a « exhorté la communauté internationale à instaurer une zone d’exclusion aérienne en Syrie afin de favoriser les rebelles contre les forces gouvernementales » [7]. Rappelons à ce titre que même l’administration Obama avait rejeté cette idée, la jugeant inadaptée à la situation syrienne [8]. Cette décision, prise le 15 juin 2013 par Morsi, dans un stade du Caire, devant un parterre d’islamistes acquis à sa cause, n’est en fait qu’un jalon de plus dans sa politique de soutien sans réserve aux opposants syriens.
Le président égyptien n’a jamais changé de cap depuis son accession à la magistrature suprême. Et cela a commencé dès son discours d’investiture du 30 juin 2012 à l’université du Caire, tout juste après avoir prêté serment comme premier président égyptien élu. Il avait alors déclaré : « Nous soutenons le peuple syrien. Nous voulons que l’effusion de sang cesse » [9]. Par « peuple syrien », il entendait « rébellion syrienne » et l’histoire nous a montré que, depuis, le sang syrien n’a malheureusement jamais autant coulé.
Et les chiffres sont éloquents à ce sujet : d’août 2012 (soit quelques semaines après le discours d’investiture de Morsi) à aujourd’hui, le nombre de victimes syriennes est passé de 25 000 [10] à 93 000 et celui des réfugiés de 200 000 à plus de 1,6 million [11]. Comme dans ce genre de conflit, ce sont les populations civiles qui sont les plus touchées, il va sans dire que la politique étrangère du président « frériste » est au moins aussi catastrophique que celle qu’il prône à l’intérieur de son pays. En une année, Morsi a réussi à créer un climat d’insatisfaction populaire généralisée comme en témoignent les millions de signatures recueillies par une pétition appelant à son départ [12].
Désirant prendre le leadership dans le contrôle de la rébellion syrienne, Morsi et son administration ont favorisé la création, au Caire, du Conseil pour la révolution syrienne (CRS), un nouveau groupe d’opposition constitué de dissidents syriens. Créé à peine un mois après l’investiture du président égyptien, le CRS était censé proposer une alternative au Conseil national syrien (CNS) qui faisait face, à l’époque, aux dissensions intestines de l’opposition syrienne [13] et former un gouvernement en exil basé au Caire [14]. Vivement critiquée par l’Armée syrienne libre (ASL), cette initiative n’a pas eu l’effet escompté et les desseins secrets de Morsi n’ont pas dépassé le stade embryonnaire.
Morsi a aussi utilisé des tribunes internationales pour exposer sa « politique syrienne ». Ainsi, au 16e Sommet des pays non alignés qui s’est déroulé à Téhéran fin août 2012, il a créé un incident diplomatique en dénonçant le « régime oppressif » syrien devant les représentants des 110 délégations présentes à cet évènement. Mécontente de la teneur des propos de Morsi, la délégation syrienne avait quitté l’assemblée [15]. Juste quelques jours après cet incident, l’administration de l’opérateur de satellites de télécommunications égyptien semi-public Nilesat a décidé d’arrêter la diffusion des chaînes étatiques syriennes, officiellement à la suite d’une requête de la Ligue arabe [16]. Néanmoins, cette rapide et sévère sanction n’a pas dû se faire sans l’approbation et la jubilation du gouvernement égyptien.
A ce sujet, il faut reconnaître que les islamistes égyptiens en général et les Frères musulmans en particulier ont la mémoire courte. En 2008, sous le « règne » de Moubarak, la chaîne de télévision satellitaire Al-Hiwar (très) proche de la confrérie avait aussi été bannie par Nilesat [17]. Cette mesure avait été prise par les plus hautes instances du gouvernement de l’époque, car la chaîne était jugée très critique à leur égard. Cette mesure avait d’ailleurs coïncidé avec la déclaration de Jamal Moubarak (fils de l’ex-président) dans laquelle il qualifiait certaines chaînes de « partisanes cherchant à porter atteinte à l’Egypte » [18]. Et quelle avait été la réaction des Frères musulmans ? Sur leur site, on peut encore lire : « Le bannissement de la chaîne Al-Hiwar de Nilesat contredit toutes les valeurs et les critères professionnels » [19]. Ne pourrait-on pas reprendre la même phrase pour les chaînes syriennes ? Surtout si l’on tient compte de l’omniprésence des dissidents syriens sur les plateaux de télévisions égyptiennes et du black-out total sur les informations provenant du gouvernement syrien.
Après sa démarche quelque peu hasardeuse avec la création du CRS, l’Egypte s’est reprise lors de la conférence de Doha de novembre 2012. Cette rencontre avait accouché sous forceps d’une « Coalition nationale de l’opposition syrienne » censée regrouper les différentes factions de l’opposition syrienne dans un organisme beaucoup plus fédérateur que le CNS. Bien que très réservée à l’égard de cette nouvelle entité [20], l’Egypte s’est engagée à lui offrir son hospitalité et abriter ses quartiers généraux au Caire [21]. De quoi toujours rester sur le devant de la scène dans le dossier syrien.
Interviewé par la chaîne américaine CNN en janvier 2013, Morsi a accusé Bachar de crimes de guerre contre sa population [22]. Faut-il rappeler que c’est ce même président égyptien qui, quelques mois auparavant, envoyait des lettres très chaleureuses au président israélien Shimon Peres, le qualifiant de « cher et grand ami » et d’« ami fidèle » [23] après tous les massacres perpétrés par l’Etat hébreu contre les Palestiniens ? Et que c’est ce même Morsi qui disait que « les juifs sont des suceurs de sang, des descendants des porcs et des singes » en 2010, alors qu’il n’était pas encore aux commandes du pays [24] ? Malgré l’inexorable dégradation de la situation économique et financière de l’Egypte [25], Morsi et son gouvernement se sont engagés à aider financièrement la rébellion syrienne [26] lors de la récente rencontre des « Onze ».
Cette stratégie a été vivement critiquée en Egypte. Certains sont convaincus que Morsi utilise le drame syrien pour détourner l’attention des problèmes économiques complexes, alors que d’autres pensent qu’il s’agit d’une vraie déclaration de guerre [27]. Dans une charge contre la politique syrienne de Morsi, le journaliste égyptien Moustafa Bakri a déclaré que « cette position, qui reflète la position de la présidence, est un aveu explicite que les dirigeants égyptiens au pouvoir sont impliqués dans la guerre contre la Syrie et qu’ils soutiennent officiellement l’envoi et la prise en charge de combattants tout en leur fournissant les garanties de ne poursuivre aucun d’entre eux après leur retour au pays » [28].
De son côté, le Mouvement du 6 avril, fer de lance de la contestation anti-Moubarak, a jugé que la rupture des relations avec la Syrie est un signe du manque de vision politique du président « alors que la situation en Syrie est compliquée et requiert avant tout une décision qui mettrait un terme au bain de sang » [29]. Il faut reconnaître que la politique suivie par Morsi et son gouvernement n’est nullement guidée par l’intérêt de l’Egypte, mais plutôt par celui de la Confrérie des Frères musulmans. Leurs accointances idéologiques avec les rebelles syriens sunnites, leur soif de vengeance pour les exactions commises par Assad père contre les Frères musulmans syriens, leurs relations privilégiées avec le Qatar, grand « argentier » des mouvements islamistes, leur lien « fraternel » avec le Cheikh Youssef Al-Qardaoui, rédacteur en chef des fetwas pour le djihad en Syrie et prédicateur vedette de l’émirat du Qatar et, finalement, leur désir de plaire à tout prix à l’administration américaine afin de se maintenir au pouvoir sont les grandes lignes qui expliquent leur stratégie dans le dossier syrien. Mais où est-elle donc alors cette volonté de travailler pour que cesse l’effusion de sang syrien ? Et qui se rappelle que du temps du président Nasser, considéré par les Frères musulmans comme un de leurs pires ennemis, l’Egypte et la Syrie ne formaient qu’un seul pays ? Dans le domaine de la politique intérieure, c’est du pareil au même.
Morsi et son gouvernement mettent au premier plan leur appartenance à la confrérie et leur désir de « frériser » la vie politique du pays les a amenés à procéder à des nominations controversées. Sur les 27 gouvernorats égyptiens, dix sont actuellement dirigés par des Frères musulmans [30]. A Louxor, la mythique Thèbes, joyau du tourisme égyptien, c’est Adel Mohamed Al-Khayat, un ancien chef du groupe islamiste radical Jamaa el-Islamiya, qui a été nommé gouverneur. En 1997, cette organisation terroriste avait revendiqué un attentat perpétré à Louxor. Bilan : 62 morts (58 touristes et 4 Egyptiens), dont certains ont été sauvagement achevés à l’arme blanche. L’immense tollé provoqué par cette nomination vient de contraindre le gouverneur fraîchement désigné (et ex-terroriste) à la démission [31]. Actuellement, l’opposition égyptienne semble galvanisée autour de la gigantesque manifestation qu’elle veut organiser le 30 juin 2013 pour demander le départ du président Morsi et l’organisation d’élections anticipées. Initialement pris à la légère par la confrérie, cet évènement, prévu après exactement un an de présidence de Morsi, commence à sérieusement l’inquiéter. Pourra-t-elle résister à cet ultime coup de boutoir ?
Produit du légendaire sens de l’humour égyptien, une blague de l’opposition a circulé sur la toile après la décision controversée du président Morsi : « Félicitations au peuple syrien ! Morsi a rompu ses relations diplomatiques avec vous. Nous espérons que le 30 juin, il les rompra aussi avec nous ! » Dans ce cas de figure, et à défaut de ressembler à Aménophis II, Morsi suivra les pas de Mentouhotep VII dont le règne ne dura qu’un an. Malgré cela, on peut lire sur sa stèle érigée au temple de Karnak : « Je suis le roi au sein de Thèbes » [32].Tunisie-Secret.com
Ahmed Bensaada * http://www.ahmedbensaada.com/, 27 juin 2013