Même en France, Israël n‘abandonne jamais sa proie


1 Avril 2016

Comme l’a si justement écrit Le Canard enchaîné, « Quinze ans après, Jacques-Marie Bourget peut bien attendre encore un peu ». Touché au poumon par la balle d’un sniper israélien, cet ex grand reporter de Paris Match n’a toujours pas obtenu gain de cause. Malgré une décision de justice rendue en septembre dernier, la CIVI, organisme dédié à l’indemnisation des victimes, refuse à un journaliste handicapé à 45% toute réparation.


Le 21 octobre 2000 à Ramallah, le grand reporter de Paris Match, Jacques-Marie Bourget est grièvement touché au poumon par la balle d’un sniper israélien. Les médecins du Croissant Palestinien feront tout pour lui sauver la vie.
L’interrogation  n’est pas assez crédible pour motiver une question au Baccalauréat ; elle aurait eu la formulation suivante : « Quel est le statut d’un journaliste présent dans une zone de conflit ? ». Bien avant d’avoir atteint l’âge des « humanités » un élève de cinquième serait, sans risque de se tromper, capable de répondre : « En terrain de guerre, un reporter est un civil qu’il faut protéger ».

L’adolescent obtiendrait un vingt sur vingt, tout en restant étonné qu’on ait osé lui poser une question aussi stupide. Il faut croire que ce questionnement ne figure pas au concours de l’ENA car, lorsqu’on interroge François Hollande sur le statut des « reporters de guerre », le président répond : « En zone de conflit un journaliste est un soldat ». Vous avez bien lu. Pour le premier des Français un homme de presse n’est pas un témoin, un rapporteur, mais de la chair à canon, assimilable à la mission du légionnaire, du marsouin, du para. Observons qu’après l’émotion justement provoquée par l’attentat de janvier contre des journalistes, nous sommes ici bien loin de la doctrine désormais officielle : « Vive la presse libre, Je suis Charlie ».

Ainsi, Gilles Jacquier journaliste de France 2 tué en Syrie, Ghislaine Dupont et Claude Verlon assassinés au Mali, étaient, aux yeux du Président, tout bêtement des soldats. Pensons qu’au paradis des reporters victimes de mort violente, nos amis sont surpris par ce kaki dont François Hollande les affuble à titre posthume.

Mais le locataire de l’Elysée ne se contente pas de militariser les journalistes morts, il le fait aussi des vivants. Il en va ainsi du sort de mon ami Jacques-Marie Bourget, un grand reporter de Paris-Match victime d’un tir israélien le 21 octobre 2000 à Ramallah, en Palestine occupée. Une fois cloué au sol par un sniper israélien, touché au poumon à deux doigts du cœur, J.M. Bourget est laissé à terre. Livré à la bonne volonté des palestiniens puisque l’Etat hébreu refuse de le prendre en charge.

Même en Palestine un malheur peut faire un bonheur, les chirurgiens de Ramallah ont un tel entrainement en matière de blessures par armes à feu, qu’ils réussissent à sauver la peau du journaliste. Son retour en France est tout aussi problématique puisque le gouvernement de Tel Aviv refuse que l’on évacue le miraculé vers Paris. Il va falloir que Jacques Chirac, alors président, se fâche pour que « l’otage » soit libéré.

La suite pour lui ? Ce sont des mois d’hôpital et des opérations multiples. Et une plainte déposée en janvier 2002 pour « tentative d’assassinat ». Pendant plus de trois ans, en dépit d’une Convention d’entraide, Israël refuse de répondre aux Commissions rogatoires lancées par la Justice française. Finalement l’Etat hébreu fait savoir qu’il n’a pas l’intention de collaborer avec la France. En 2011, plus de dix années après la blessure du journaliste, le TGI de Paris, faute de pouvoir instruire, rend un « non-lieu ».

William Bourdon, l’avocat de J.M. Bourget se retourne alors vers la CIVI, organisme en charge de l’indemnisation des victimes. Dans un premier jugement, le journaliste est débouté dans des termes pour le moins surprenants. Pour les magistrats, un journaliste en zone de conflit est un soldat. Mieux, « donner raison à Bourget serait désavouer une décision prise par un fonctionnaire israélien, Etat démocratique ». En d’autres termes, « Si quelqu’un a décidé de tirer sur le journaliste, il avait de bonnes raisons » !

Le 21 septembre dernier, en appel, la raison a heureusement fait la rencontre du tribunal : « En toutes circonstances un journaliste reste un civil qu’il faut protéger, J.M. Bourget est une victime ». Ouf, les Conventions de Genève et d’Athènes sont appliquées. Un grand pas pour la liberté de la presse… et la raison cartésienne. Mais la joie est brève : le Fond de Garantie, celui qui doit indemniser le grand-reporter, décide de se porter en cassation.

L’affaire pourrait passer pour un banal ping-pong judiciaire. Pas du tout. Il faut savoir que le Fond de Garantie est un organisme placé sous la tutelle de l’Etat. Que ce sont donc François Hollande, et la pyramide de responsables placés sous ses ordres, qui ont décidé qu’un journaliste en zone de conflit est un soldat. Ce qui, nous le disions d’emblée, n’est pas très « Charlie ». Fermer le ban comme on le crie devant les monuments aux morts !

Mezri Haddad