L’avènement prétendu de l’ère de la transparence
La divulgation sans précédent d’un abondant courrier diplomatique étatsunien par le site Wikileaks a été saluée par les uns comme la démonstration qu’Internet faisait entrer le monde dans l’ère de la transparence. Le secret ne résistait plus aux petits génies de l’informatique capables de pénétrer facilement dans les messageries secrètes d’un État et de pratiquer l’information extorquée, c’est-à-dire obtenue à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur. D’autres dénonçaient, au contraire, la mise en danger d’autrui par ces violations intempestives du secret, condition de la survie de chacun et a fortiori d’un État.
À défaut, cependant, de percer de véritables secrets, on accédait par ces révélations aux analyses que les diplomates états-uniens transmettaient à leur gouvernement sur les dirigeants des pays où ils exerçaient leurs fonctions : outre les portraits acerbes des présidents Sarkozy ou Berlusconi, on apprenait entre autres surprises que l’Arabie Saoudite était favorable à une frappe contre l’Iran et surtout que le régime tunisien était tenu par une mafia familiale dictatoriale et corrompue.
La soudaine « Révolution tunisienne »
Si on tient compte du temps nécessaire à la diffusion de l’information, la « Révolution tunisienne » a suivi curieusement de peu ces révélations sur la condamnation états-unienne du dictateur Ben Ali et de sa clique. Il ne s’est écoulé que trois semaines entre le 28 novembre 2010, date de la publication des notes diplomatiques et le 17 décembre, date du suicide tragique d’un jeune homme diplômé, soudainement privé par la police de son étal qui lui permettait de survivre en faisant du commerce. Ce drame a alors déclenché des manifestations répétitives progressivement dans tout le pays bientôt réprimées à balles réelles par une police aux ordres du dictateur. On a relevé plusieurs dizaines de morts, sans que cessent pour autant les protestations. Elles en ont même pris que plus d’ampleur.
Et on a appris que le dictateur aurait fait appel à l’armée pour mater ce qui devenait une insurrection populaire, mais que le général en chef Ben Ammar aurait refusé d’obtempérer et de faire tirer sur les manifestants, ce qui lui aurait valu son limogeage. Peu après, le 14 janvier 2011, à la surprise générale des non-initiés, Ben Ali et sa famille prenaient la fuite. Des bruits opportunément distillés ont couru sur un entretien téléphonique entre la secrétaire d’État Hillary Clinton et le général Ben Ammar, un éventuel état d’alerte de la flotte états-unienne en Méditerranée, puis sur la venue d’un émissaire états-unien en Tunisie, premier représentant occidental à entrer dans le pays depuis la chute du dictateur.
Une opération de ravalement des façades dictatoriales
De là à établir une relation de cause à effet entre les révélations de Wikileaks sur l’image de la dictature tunisienne donnée par les diplomate états-uniens et le déclenchement de l’insurrection populaire, il n’y a qu’un pas qu’on est tenté de franchir, en restant dans les limites prudentes de l’hypothèse.
Les révélations de Wikileaks apparaissent moins désormais comme une information extorquée par des génies de l’informatique que comme un leurre d’information donnée déguisée en information extorquée dont les services de renseignement sont familiers, pour préparer une opération politique de grande envergure à travers le monde.
En 1943, les services britanniques avaient utilisé, dans le cadre de « l’Opération Mincemeat », le faux cadavre d’un militaire échoué sur une plage du sud de l’Espagne avec une serviette de documents confidentiels farfelus pour détourner les Nazis des plages de Sicile choisies comme site de débarquement par les Alliés.
Aujourd’hui, les services états-uniens ne se seraient-ils pas servis de Wikileaks pour lui faire jouer, à la façon du cadavre de « l’opération Mincemeat », le même rôle de vecteur d’informations données déguisées en informations extorquées, afin de conférer de la crédibilité à l’appréciation négative du gouvernement des Etats-Unis sur des dictatures jusqu’ici amies, et livrer ainsi un signal public de désaffection définitive envers ces cliques devenues des obstacles dans une recomposition des forces face aux nouveaux enjeux internationaux.
Ce lâchage états-unien qui fragilisait le dictateur Ben Ali, aurait donné du courage à ses opposants, tant dans les cercles militaires et économiques du pouvoir que dans la population. La preuve ? Ben Ali n’a pas résisté longtemps au refus du général Ben Ammar, fort du soutien états-unien, de tirer sur les manifestants. Le bruit s’en étant opportunément répandu, les manifestants ont redoublé d’ardeur, assurés de ne plus être tirés à vue. La « Révolution tunisienne » aurait donc été programmée par une nouvelle stratégie états-unienne, comme en 1973, le renversement de Salvador Allende avait été organisé par un putsch militaire auquel les USA avait prêté main forte pour mettre un terme dans le sous continent sud américain à la progression des régimes favorables à l’Union soviétique.
La cécité et l’incompétence de la ploutocratie française
On reste pantois devant la cécité et l'incompétence de la diplomatie française, censée entretenir avec la Tunisie des relations étroites : n’est-ce pas plutôt celle d’une ploutocratie attachée à faire des affaires avec la tunisienne et qui ne s’intéresse qu’au profit à court terme, pendant que les États Unis se préoccupent du long terme en ravalant les façades de dictatures vieillissantes devenues des boulets dans la redistribution des forces régionales pour faire face à la confrontation du 21ème siècle avec la Chine. On voit, en effet, que d’autres pays stigmatisés par les analyses diplomatiques états-uniennes que Wikileaks a rendues publiques après en avoir été mystérieusement destinataire, entrent en effervescence, comme l’Égypte, le Yémen et la Jordanie : viendra peut-être bientôt le tour du Maroc, de la Libye ou de la Syrie.
Ce scénario n’est qu’une hypothèse, faute d’éléments plus probants. Mais il offre une explication vraisemblable à deux événements qui apparaissaient comme mystérieux : les révélations impromptues d’une masse de notes diplomatiques états-uniennes par Wikileaks et la survenue tout aussi inattendue d’une « Révolution tunisienne » contre laquelle, 4 jours avant la fuite du dictateur Ben Ali, la ministre française des affaires étrangères, qui décidément n’était pas dans le secret des dieux, en était encore à lui proposer le savoir-faire de la police française. Cette représentation d’une redistribution des cartes partielle organisée sous l’égide des États-Unis ôtent un peu de romantisme à la « Révolution tunisienne », sans pour autant nier le courage des manifestants qui peuvent tenter d’élargir la brèche entrouverte par les USA. Les semaines et mois qui viennent, permettront de voir s’ils y parviendront ou non. Paul Villach
La divulgation sans précédent d’un abondant courrier diplomatique étatsunien par le site Wikileaks a été saluée par les uns comme la démonstration qu’Internet faisait entrer le monde dans l’ère de la transparence. Le secret ne résistait plus aux petits génies de l’informatique capables de pénétrer facilement dans les messageries secrètes d’un État et de pratiquer l’information extorquée, c’est-à-dire obtenue à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur. D’autres dénonçaient, au contraire, la mise en danger d’autrui par ces violations intempestives du secret, condition de la survie de chacun et a fortiori d’un État.
À défaut, cependant, de percer de véritables secrets, on accédait par ces révélations aux analyses que les diplomates états-uniens transmettaient à leur gouvernement sur les dirigeants des pays où ils exerçaient leurs fonctions : outre les portraits acerbes des présidents Sarkozy ou Berlusconi, on apprenait entre autres surprises que l’Arabie Saoudite était favorable à une frappe contre l’Iran et surtout que le régime tunisien était tenu par une mafia familiale dictatoriale et corrompue.
La soudaine « Révolution tunisienne »
Si on tient compte du temps nécessaire à la diffusion de l’information, la « Révolution tunisienne » a suivi curieusement de peu ces révélations sur la condamnation états-unienne du dictateur Ben Ali et de sa clique. Il ne s’est écoulé que trois semaines entre le 28 novembre 2010, date de la publication des notes diplomatiques et le 17 décembre, date du suicide tragique d’un jeune homme diplômé, soudainement privé par la police de son étal qui lui permettait de survivre en faisant du commerce. Ce drame a alors déclenché des manifestations répétitives progressivement dans tout le pays bientôt réprimées à balles réelles par une police aux ordres du dictateur. On a relevé plusieurs dizaines de morts, sans que cessent pour autant les protestations. Elles en ont même pris que plus d’ampleur.
Et on a appris que le dictateur aurait fait appel à l’armée pour mater ce qui devenait une insurrection populaire, mais que le général en chef Ben Ammar aurait refusé d’obtempérer et de faire tirer sur les manifestants, ce qui lui aurait valu son limogeage. Peu après, le 14 janvier 2011, à la surprise générale des non-initiés, Ben Ali et sa famille prenaient la fuite. Des bruits opportunément distillés ont couru sur un entretien téléphonique entre la secrétaire d’État Hillary Clinton et le général Ben Ammar, un éventuel état d’alerte de la flotte états-unienne en Méditerranée, puis sur la venue d’un émissaire états-unien en Tunisie, premier représentant occidental à entrer dans le pays depuis la chute du dictateur.
Une opération de ravalement des façades dictatoriales
De là à établir une relation de cause à effet entre les révélations de Wikileaks sur l’image de la dictature tunisienne donnée par les diplomate états-uniens et le déclenchement de l’insurrection populaire, il n’y a qu’un pas qu’on est tenté de franchir, en restant dans les limites prudentes de l’hypothèse.
Les révélations de Wikileaks apparaissent moins désormais comme une information extorquée par des génies de l’informatique que comme un leurre d’information donnée déguisée en information extorquée dont les services de renseignement sont familiers, pour préparer une opération politique de grande envergure à travers le monde.
En 1943, les services britanniques avaient utilisé, dans le cadre de « l’Opération Mincemeat », le faux cadavre d’un militaire échoué sur une plage du sud de l’Espagne avec une serviette de documents confidentiels farfelus pour détourner les Nazis des plages de Sicile choisies comme site de débarquement par les Alliés.
Aujourd’hui, les services états-uniens ne se seraient-ils pas servis de Wikileaks pour lui faire jouer, à la façon du cadavre de « l’opération Mincemeat », le même rôle de vecteur d’informations données déguisées en informations extorquées, afin de conférer de la crédibilité à l’appréciation négative du gouvernement des Etats-Unis sur des dictatures jusqu’ici amies, et livrer ainsi un signal public de désaffection définitive envers ces cliques devenues des obstacles dans une recomposition des forces face aux nouveaux enjeux internationaux.
Ce lâchage états-unien qui fragilisait le dictateur Ben Ali, aurait donné du courage à ses opposants, tant dans les cercles militaires et économiques du pouvoir que dans la population. La preuve ? Ben Ali n’a pas résisté longtemps au refus du général Ben Ammar, fort du soutien états-unien, de tirer sur les manifestants. Le bruit s’en étant opportunément répandu, les manifestants ont redoublé d’ardeur, assurés de ne plus être tirés à vue. La « Révolution tunisienne » aurait donc été programmée par une nouvelle stratégie états-unienne, comme en 1973, le renversement de Salvador Allende avait été organisé par un putsch militaire auquel les USA avait prêté main forte pour mettre un terme dans le sous continent sud américain à la progression des régimes favorables à l’Union soviétique.
La cécité et l’incompétence de la ploutocratie française
On reste pantois devant la cécité et l'incompétence de la diplomatie française, censée entretenir avec la Tunisie des relations étroites : n’est-ce pas plutôt celle d’une ploutocratie attachée à faire des affaires avec la tunisienne et qui ne s’intéresse qu’au profit à court terme, pendant que les États Unis se préoccupent du long terme en ravalant les façades de dictatures vieillissantes devenues des boulets dans la redistribution des forces régionales pour faire face à la confrontation du 21ème siècle avec la Chine. On voit, en effet, que d’autres pays stigmatisés par les analyses diplomatiques états-uniennes que Wikileaks a rendues publiques après en avoir été mystérieusement destinataire, entrent en effervescence, comme l’Égypte, le Yémen et la Jordanie : viendra peut-être bientôt le tour du Maroc, de la Libye ou de la Syrie.
Ce scénario n’est qu’une hypothèse, faute d’éléments plus probants. Mais il offre une explication vraisemblable à deux événements qui apparaissaient comme mystérieux : les révélations impromptues d’une masse de notes diplomatiques états-uniennes par Wikileaks et la survenue tout aussi inattendue d’une « Révolution tunisienne » contre laquelle, 4 jours avant la fuite du dictateur Ben Ali, la ministre française des affaires étrangères, qui décidément n’était pas dans le secret des dieux, en était encore à lui proposer le savoir-faire de la police française. Cette représentation d’une redistribution des cartes partielle organisée sous l’égide des États-Unis ôtent un peu de romantisme à la « Révolution tunisienne », sans pour autant nier le courage des manifestants qui peuvent tenter d’élargir la brèche entrouverte par les USA. Les semaines et mois qui viennent, permettront de voir s’ils y parviendront ou non. Paul Villach