Les indicateurs financiers sont au rouge. La Tunisie face à une situation économique inextricable


20 Mars 2014

La Tunisie se dirige-t-elle droit vers la faillite ? A voir les grèves successives qui paralysent les divers secteurs de l'économie, on serait enclin à le croire. Où va le pays, se demandent les hommes politiques qui, à ce jour, n'arrivent pas à concourir à l'arrêt de l'hémorragie.


De la révolte du pain à la faillite économique

Rien que pour la semaine écoulée, le pays a vécu, simultanément, quatre grèves. Et non des moindres. Les transporteurs routiers ont débrayé pendant deux jours, et les stations de carburant étaient à la limite de la panne sèche. Pour le bonheur de ces stations et des automobilistes, les grévistes ont abouti à un accord avec les autorités. Ce n'est qu'un calmant.

En parallèle, les recettes des finances ont tout bloqué, puisque toute opération administrative ou commerciale nécessite un timbre fiscal devenant une denrée rare, voire inexistante pour un citoyen qui voit la conclusion de ses affaires ajournée à plusieurs jours. Pourtant, un accord avait été obtenu, mercredi, avec l'administration pour satisfaire les revendications des grévistes. Et malgré l'appel de la centrale syndicale (UGTT) à la reprise du travail, les portes des recettes des finances sont restées closes au grand dam des usagers. A ce sujet, on s'interroge sur l'identité de ceux qui se cachent derrière cette grève, d'autant plus que la pluralité syndicale n'arrange pas les choses. L'UGTT n'hésite pas, d'ailleurs, à accuser les nouveaux syndicats (CGTT) et UTT) nés après la révolution d'être derrière cette indiscipline des travailleurs. Au même moment, les agents des stations de péage des autoroutes ont décidé de suivre la même voie, à la grande joie des automobilistes, mais au grand dam des autorités qui voient ainsi des centaines de millions de dinars s'évaporer.

Last but not least, la population de la ville de Benguerdène, frontalière de la Libye, a observé des sit-in et organisé des manifestations qui ont tourné au vinaigre suite à l'intervention des forces de l'ordre. C'est insensé de la part de ces manifestants qui se sont élevés contre une décision qui sort de la souveraineté de la Tunisie. Les manifestations ont été organisées pour protester contre la fermeture du poste frontalier de Ras Jedir par les autorités libyennes.
 
Cette grogne sociale laisse-t-elle au gouvernement le temps et les moyens pour apporter les correctifs idoines aux divers programmes qui souffrent d'incohérence. Loin de là, car les arrêts de travail intempestifs conjugués à l'état des dépenses publiques supérieures aux ressources disponibles rendent la mission du gouvernement de plus en plus insurmontable.

En effet, face à une situation qualifiée de “difficile” (si elle n'est pas critique) par le chef du gouvernement, Mehdi Jomaâ, ce dernier ne voit pratiquement aucune issue autre que le recours aux prêts et aux investissements étrangers. C'est dans ce cadre d'ailleurs que s'inscrivent sa tournée dans les pays du Golfe et ses prochains déplacements en France et aux Etats-Unis d'Amérique. Les premières informations venant d'Abou Dhabi sont prometteuses, selon les propres propos de M. Jomaâ. Ses propositions auraient trouvé un accueil favorable de la part des responsables émiratis et ne manqueraient pas de l'être dans les autres pays, même si les relations tuniso-saoudiennes sont à relancer sur de nouvelles bases.

Cependant suffira-t-il à M. Jomaâ de rentrer en Tunisie avec un portefeuille bien garni pour crier victoire ? La situation financière du pays est telle qu'il faut combler d'urgence un trou de 4,5 milliards de dinars (2,2 milliards d'euros) dans le budget de l'année en cours. Où trouvera-t-on cette somme quand on sait que le gouvernement est appelé à faire, chaque fin de mois, face aux dépenses de consommation, c'est-à-dire aux salaires que les réserves actuelles de l'Etat ne peuvent honorer ? Empruntera-t-il la même voie que ses prédécesseurs en consacrant les prêts extérieurs aux dépenses de consommation ? Ce serait un suicide, car pour être productifs, ces prêts doivent être destinés au financement des projets de développement générateurs d'emplois. M. Jomaâ, dont le poste de Premier ministre est loin d'être enviable, osera-t-il privilégier la deuxième option ? Dans ce cas, la population aura à souffrir encore plus si le gouvernement révise les avantages de la Caisse de compensation.

Mohamed Kattou, quotidien algérien Liberté, du 18 mars 2014