Les USA ont-ils vraiment joué un rôle dans la révolution tunisienne ?


26 Décembre 2013

Trois ans après le malheur qui a frappé la Tunisie et une partie du monde arabe, Abdelaziz Belkhodja revient sur cette question dont les Tunisiens connaissent maintenant la réponse. Pas besoin d’être un fin connaisseur en géopolitique pour savoir que, non seulement les Américains ont joué un rôle moteur dans la déstabilisation de la Tunisie, mais qu’ils ont choisi ce maillon faible pour réaliser leur projet sioniste de Grand Moyen Orient, qui a démarré avec l’invasion et la partition de l’Irak en 2003. Ce complot contre la Tunisie n’aurait pas été possible sans le concours des cybers-collabos dont l’auteur de cet article n'évoque que le mouvement Takriz. Et encore, il ne cite pas les noms des fondateurs de Takriz, "deux jeunes tunisiens anonymes". L'opinion tunisienne a le droit de savoir aujourd'hui qui sont-ils : Riadh Didane (Foetus), originaire de Ben Arous qui vivait à New York, et Kacem Marzouki (Waterman), comptable qui vit dans la région de Lyon. Bientôt, nous publierons les noms et les photos de tous les cybers-collabos, dont nous avons pu reconstituer la liste intégrale.


Aujourd’hui, alors que les faits commencent à dater, les théories d’un complot extérieur abondent. Il est clair que la dictature de Ben Ali avait ses détracteurs à l’intérieur comme à l’étranger. Ces détracteurs étrangers auraient-ils joué un rôle dans le soulèvement ? Lequel ? On a beaucoup parlé du rôle des blogueurs. Ceux-ci, solitaires ou en groupement organisé comme Takriz vont effectivement agir. Mais quel est le véritable poids de cette action ?

Revenons d’abord aux débuts : créé en 1998 par deux jeunes Tunisiens anonymes, Takriz [1] (également un e-mag) est devenu un adversaire tenace du régime. Un troisième membre essentiel, surnommé Ettounsi, rejoint le groupe en 2000. Ce dernier, responsable d’un publinet [2], a été identifié et arrêté en 2002. Son nom est Zouheir Yahyaoui [3]. Torturé durant des mois selon le rapport d’Amnesty et de HRW, il est condamné à la prison ferme. En 2005, suite à un état de santé qui se dégrade rapidement, il décède. Aussitôt, Takriz entre dans le silence.

Trois ans plus tard, en 2008, le groupe ressuscite avec des méthodes qui se rapprochent de celles d’une puissante mouvance née en 1998 en Serbie [4] : Otpor (résistance). Ce mouvement a été rapidement récupéré par des ONG [5] liée à de puissants lobbies qui canalisent des groupes de blogueurs dans le sens d’une résistance « non-violente ». Suite à la réussite des révolutions de l’est [6], des « castings » sont organisés au grand jour dans les ambassades américaines en Tunisie, en Egypte et en Syrie, avec en prime des séjours aux Etats-Unis ou au Maroc. Lors de ces séjours, des stages de formation pour cyberdissidents sont prévus. Après le 14 janvier, plusieurs blogueurs tunisiens déclareront y avoir participé.

Jusqu’en 2008, les autorités tunisiennes, qui contrôlaient parfaitement internet, ne croyaient pas à une menace particulière des réseaux sociaux [7], mais c’était trop tard : dissidents et opposants, dont certains financés par le NED, ont acquis une certaine notoriété sur la toile. Certains ont appliqué les méthodes intelligentes de « non-violence [8] » inculquées dans les stages précités. Parmi ces méthodes, la déstabilisation des forces de l’ordre par la provocation non violente [9] ou encore la désinformation. Elle consiste par exemple à réaliser des montages photo ou vidéo,  à publier de fausses nouvelles ou encore à envoyer de faux documents officiels, etc.

Concernant les vidéos, les Tunisiens ont été particulièrement choqués en voyant des séquences pénibles de répression, de civils tués, et parmi ces vidéos, bien que rares, certaines sont montées de toutes pièces [10] pour choquer. D’ailleurs, après l’établissement de la liste officielle [11] des victimes, nous savons qu’entre le 25 décembre 2010 et le 7 janvier 2011, il n’y a eu aucune victime par balle. Pourtant, les vidéos montrant des morts et des témoignages de tueries étaient très nombreuses ces jours-là. Ces procédés ont également été constatés en Syrie, en Egypte et en Libye.

Une formation publique concernant l’ensemble de ces méthodes est désormais partie intégrante d’un programme spécialisé en science politique débouchant sur un diplôme supérieur de l’université de Belgrade [12]. Selon le manuel de cours, on trouve entre autres parmi ces tactiques non violentes :
-l’organisation de simulacres de funérailles [13].
-l’utilisation de réelles funérailles massives en signe de protestation [14],
-la gestion de campagnes politiques réfléchies,
-l’organisation stratégique de grèves, etc., afin de bloquer tout un système économique.

Tout ceci concerne les actions non violentes. Restent les actions violentes. Là, il est beaucoup plus difficile d’agir. Il s’agit de trouver un autre genre de militants capables de risquer leur vie dans une lutte très dangereuse. C’est peut-être là qu’il faut chercher les liens avec des groupes de supporters. Ces groupes, bien organisés, cultivent eux aussi l’anonymat. Ils ont appris à affronter la police de façon organisée (batailles rangées) et à lancer des campagnes de dénigrement qui ont contribué à créer puis à renforcer, parmi les très jeunes, un esprit de résistance à la force publique.

En Tunisie, ces groupes de supporters sont depuis longtemps montés en puissance jusqu’à attirer, à partir de 2006, l’attention des policiers qui les ont pourchassés en les empêchant d’organiser des spectacles [15] dans les stades puis en les réprimant directement. C’est ainsi que les structures du renseignement tunisien [16] se sont vues contraintes, dans l’urgence, à s’adapter à deux nouveaux champs de bataille eux-mêmes liés entre eux : les stades et le Web [17]. Ces groupes de supporters qui ont entretenu, des années durant, la haine du« hakem [18] », ont-ils joué un rôle dans les manifestations pourtant publiquement organisées à partir de Facebook ?

Ont-ils joué un rôle dans les attaques de commissariats ? Plusieurs témoignages directs nous ont confirmé des attaques organisées avec cocktail Molotov à l’appui, mais cela ne constitue en rien des preuves. Le nombre de ces attaques est si important (au 14 janvier, on a comptabilisé 126 destructions de commissariats - et équivalents - et 260 destructions de bâtiments publics), avec souvent des tags signés par des groupes de supporters, qu’on peut penser à la thèse de groupes organisés qui ont participé ou poussé au saccage de bâtiments publics.
Il faut noter, pour aller dans ce sens, que le groupe Takriz s’est rapproché de certains groupes de supporters et les internautes ont vu les photos et séquences vidéo de leurs exploits mis en ligne par les administrateurs des groupes Takriz : irruptions en 2010 dans des galas organisés par le RCD, tags ACAB (« all cops are bastards ») et diverses provocations et attaques organisées dans les stades. En plus des appels à la violence, le groupe [19] publiait même des modes d’emploi pour fabriquer des masques anti-lacrymogènes et des cocktails Molotov.

Des cas similaires ont été remarqués lors de la révolution égyptienne. Sur la place Tahrir, les « ultras » du fameux club Al Ahly ont réussi à organiser la résistance pour contrer certaines attaques, par exemple celle des chameliers envoyés pour disperser la foule. Notons par ailleurs que l’un des blogueurs égyptiens a déclaré avoir suivi des stages en Serbie [20].

Bref, syndicalistes, associations, enseignants, journalistes, partis politiques, Takriz, blogueurs, groupes de supporters et simples citoyens vont militer, chacun à sa manière, pour abattre le régime de Ben Ali, avec le désir ardent d’en finir.

Notons que d’autres blogueurs et des milliers de simples internautes n’ayant suivi aucun stage ont énormément contribué à divulguer des informations« sensibles » en prenant les mêmes risques et en subissant soit des menaces, soit la clandestinité, soit les geôles du ministère de l’Intérieur.

Si le rôle des USA existe à travers des ONG [21], il consiste en un soutien classique aux opposants et au financement de formations pour cyberdissidents qui sont par la suite libres de leurs faits et gestes. Ce genre de soutien existe depuis des années dans des dizaines de pays, c’est pour cette raison qu’il n’a été en rien décisif.

Abdelaziz Belkhodja, 26 décembre 2013, sur sa page facebook.

[1] - « Colère » en tunisien.
[2] - A l’époque, les publinets, lieux de défoulement et de liberté pour les jeunes, véritables cauchemars de la DSE (communément appelée police politique), étaient très contrôlés.
[3] - Parent du Juge Zouheir Yahyaoui et de la bloggeuse Amira Yahiaoui (alias Mira404).
[4] - Mouvement créé par Srdja Popovic et plusieurs jeunes étudiants en 1998. Ce groupe a œuvré pour la chute de Milosevic en 2000 et d’autres régimes ex-soviétiques par la suite.
[5] - National Endowment for Democracy (NED) : association dont l’objectif officiel est l’éducation et la formation à la démocratie à travers le monde / Freedom House : organisation qui, officiellement, étudie l’étendue de la démocratie dans le monde. «Bras armé» associatif américain contre le communisme. Leur principale source de financement provient du département d’Etat américain. Ces ONG virulentes envers certains régimes dits « non démocratiques » sont beaucoup plus soft face aux pétro-monarchies.
[6] - Géorgie : Edouard Chevardnadze est renversé en novembre 2003 par la révolution des Roses. Ukraine : le scrutin qui donnait l’autocrate Victor gagnant en novembre2004 est annulé sous la pression de la Révolution Orange. Khirghistan : Askar Akaïev est renversé en mars 2005 par la révolution des Tulipes.
[7] - Les Chinois ont été plus  prévoyants et ont immédiatement bloqué les accès de Facebook, Twitter, Dailymotion, YouTube, de certains blogs, etc.
[8] - La non-violence est une technique d’action politique de désobéissance civique intelligente et de guerre non conventionnelle adoptée par la CIA pour renverser des gouvernements récalcitrants sans soulever d’indignation internationale.
[9] - Tout comme ce qui se passe dans les stades ou encore la journée « Nhar 3ala Ammar ».
[10] - Certaines vidéos où on ne voyait rien mais où on entendait des commentaires, ou d’autres montrant des simulacres de morts ou de blessés avec du mercurochrome. Slim Amamou a lui-même déclaré que des entités étrangères ont remis du matériel vidéo à de jeunes Tunisiens et les ont encouragés à utiliser ces procédés.
[11] - Liste établie après une enquête approfondie par la Commission d’établissement des Faits.
[12] - Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies [CANVAS]. Les fondateurs et enseignants sont également ceux d’Otpor, dont Srdja Propovic.
[13] - « La lutte non violente en 50 points », Popovic, p 159. Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies (CANVAS), Belgrade, 2007. De source fiable, l’incendie de l’hypermarché Géant a été provoqué suite à un simulacre de funérailles alors qu’il n’y a aucun cimetière aux environs. La Sûreté tunisienne aurait saisi plusieurs cercueils vides lors de ces simulacres.
[14] - Les funérailles d’« Al Hancha », un jeune tué par balle la veille ont provoqué, le 14 janvier vers 15h sur l’avenue Bourguiba, une panique indescriptible suivie par un lancer de bombes lacrymogènes et la charge des unités d’intervention.
[15] - La « Dakhla », littéralement « L’Entrée ». Il s’agit d’un spectacle lancé 5 à 10minutes avant les grands matchs et auquel participent des milliers de supporters. La scénographie, parfois très élaborée, est assurée par des banderoles, fumigènes, chants et cartons colorés.
[16] - En 2008, la Direction Générale des Services Spécialisés ainsi que la Direction Générale des Services Techniques créent des structures communes d’infiltration et d’intelligence. Des centaines de jeunes informaticiens, journalistes, caméramen, blogueurs et habitués des gradins sont recrutés pour l’infiltration.
[17] - 30% de la population tunisienne connectée à Facebook (2012).
[18] - On appelle« hakem » en Tunisie tout ce qui concerne l’autorité.
[19] - Qui s’est diversifié en plusieurs sous-groupes dans les régions.
[20] - Mohamed Adel, jeune blogueur égyptien de 22 ans, sur Al-Jazeera : « J’étais en Serbie et me suis formé à l’organisation de manifestations pacifiques et aux meilleurs moyens de s’opposer à la brutalité des policiers ».
[21] - En 2009, la NED a financé des projets de formation d’activistes, d’associations et de médias à travers la région MENA en vue de la « sensibilisation aux règles fondamentales des droits de l’homme ou au dialogue autour d’un islam modéré ». Les fonds réservés à la Tunisie s’élèvent à moins de 200.000 $. Les responsables sécuritaires tunisiens du temps de Ben Ali confirment que ces activités étaient connues et légales, même si elles étaient dans le fond incompatibles avec le régime.