Premier article:
L’incroyable parcours du webmaster d’Al-Qaïda
Réagir Sur l’échiquier d’Al-Qaïda, il était devenu un pion essentiel. Sans bouger de chez lui, juste avec son ordinateur. Nabil, 35 ans, dort aujourd’hui en prison près de Paris et est régulièrement interrogé par le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic. Pendant des mois, cet ancien étudiant en lettres, arrivé de Tunisie en France il y a cinq ans, a interloqué les services de renseignements français, qui suivaient discrètement, depuis fin 2010, sa progression dans le cyberespace terroriste. A la fois facteur, messager et agent de renseignement, Nabil comptait, parmi ses interlocuteurs, tout le gratin d’Al-Qaïda : derrière une foule de surnoms et de messages cryptés se cachaient des dignitaires du Hamas ou de la branche d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique.
Comme un vrai espion
Ce n’est certes pas la première fois qu’Internet est utilisé par des apprentis terroristes. Un rapport des Nations unies vient d’ailleurs de souligner le rôle essentiel du Web dans le recrutement, l’entraînement, le financement ou la planification des actes terroristes. Mais ce qui rend le cas de Nabil presque unique, c’est l’importance que lui donnaient ses interlocuteurs. De simple internaute surfant sur des forums fondamentalistes, il était devenu cette courroie de transmission vitale pour Al-Qaïda, capable de traduire et de diffuser des documents mais aussi de fournir des informations, comme un vrai espion.
Sur les zones de combat, au Waziristan (au Nord-Ouest du Pakistan) ou au Yémen, les membres de l’organisation terroriste sont souvent contraints à la clandestinité et ils ne peuvent utiliser Internet qu’avec prudence pour ne pas être géolocalisés. C’est pour cette raison qu’ils cherchent à recruter loin de leurs bases, dans des pays où l’accès au Web est libre et où leurs correspondants peuvent aisément obtenir des informations, assurer des liaisons, faire passer des messages et diffuser des vidéos. Ils peuvent s’appuyer sur une myriade de sites, dont la durée de vie est parfois très courte et qu’une armée de bénévoles se charge d’administrer. En devenant un des webmasters de la nébuleuse Al-Qaïda, Nabil avait juste gagné le droit de se faire appeler « frère ». Une reconnaissance qui lui fait risquer désormais de longues années de prison.
Sur l’échiquier d’Al-Qaïda, il était devenu un pion essentiel. Sans bouger de chez lui, juste avec son ordinateur. Nabil, 35 ans, dort aujourd’hui en prison près de Paris et est régulièrement interrogé par le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic. Pendant des mois, cet ancien étudiant en lettres, arrivé de Tunisie en France il y a cinq ans, a interloqué les services de renseignements français, qui suivaient discrètement, depuis fin 2010, sa progression dans le cyberespace terroriste. A la fois facteur, messager et agent de renseignement, Nabil comptait, parmi ses interlocuteurs, tout le gratin d’Al-Qaïda : derrière une foule de surnoms et de messages cryptés se cachaient des dignitaires du Hamas ou de la branche d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique.
Deuxième article:
Depuis son ordinateur, Nabil mène le jihad
Du matin au soir, la plupart du temps cloîtré dans la chambre de son appartement de Toulon, Nabil passe les mois précédant son arrestation devant l’écran de son ordinateur. Ni ses amis, ni son épouse, ni ses deux jeunes enfants ne savent ce qu’il fait au juste. « Il ne se confiait à personne », relate son avocat, Me Eric Bourlion. Les services de renseignement, eux, connaissent tout de ses activités. Ils ont sonorisé son appartement. Connectés en permanence au site Al-Shomouk, sur lequel Nabil passe tout son temps, ils ont réussi fin 2010 à « craquer » le logiciel de cryptage qu’il utilise. Depuis cette date, ils interceptent en temps réel les messages que reçoit Nabil des quatre coins de la Toile. Ils savent que, derrière ce discret Tunisien de 35 ans, se cache le « messager en chef » d’Al-Qaïda.
« Son premier clic visait à s’informer sur la situation dans la bande de Gaza, explique l’avocat de Nabil. Il était très sensible à la cause palestinienne et découvrait qu’en France l’accès à Internet était beaucoup plus libre qu’en Tunisie. »
A la ville, Nabil pratique un islam modéré, porte une courte barbe, fréquente peu la mosquée. Son épouse, française, n’est pas voilée. Il est chômeur, elle est bibliothécaire. Arrivé en France cinq ans plus tôt via l’Espagne, le jeune homme, né à Bizerte, dans le nord de la Tunisie, n’a aucun antécédent judiciaire et passe pour être doux et serviable. Sur la Toile, sous des pseudonymes qu’une poignée d’initiés est seule à connaître, Nabil se révèle un tout autre homme. Administrateur en chef du site jihadiste Al-Shomouk, il est l’interlocuteur incontournable des principaux cadres d’Al-Qaïda. En 2010, son site est le seul que l’organisation terroriste reconnaît comme fiable. A ce titre, Al-Shomouk est l’unique destinataire des informations en provenance du centre médiatique Al-Fajr, l’organisme de propagande d’Al-Qaïda. C’est aussi sur Al-Shomouk que les plus hauts dignitaires d’Al-Qaïda échangent, dans la clandestinité, grâce au logiciel de cryptage Mudjahidin secret, les renseignements opérationnels destinés à planifier des attentats. Il ne les a jamais vus et, pourtant, les terroristes les plus traqués de la planète font à Nabil une confiance totale. Sur Al-Shomouk, le jeune Tunisien est le seul à connaître leurs alias et leurs identifiants. Son rôle est crucial. Et bénévole. « Il a juste gagné le droit de se faire appeler frère », souligne son avocat. « Mon généreux et estimé frère… »
La plupart des messages commencent par des louanges à Dieu et d’interminables salutations. Leur contenu, quant à lui, fait froid dans le dos.
En témoigne ce prêche d’Abu Sufyan, membre du Hamas et alors numéro 2 d’Aqpa (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), intitulé « Le convoi des martyrs », que Nabil traduit et diffuse en décembre 2011. La France y est classée en troisième position des cibles d’Al-Qaïda, derrière Israël et les Etats-Unis et devant la Grande-Bretagne et « les pays apostats ». Le prêche appelle « à développer les moyens d’action en territoire occidental et aux Etats-Unis », prône « la glorification du martyre » et encourage « le jihad individuel de l’intérieur ». Un texte que Nabil aurait « édulcoré de sa propre initiative », assure Me Bourlion. « Il n’en ignorait pas les dérapages », admet l’avocat. De quelle marge de manœuvre disposait le jeune webmaster? « Elle était mince, estime Me Bourlion. Refuser de passer les informations d’Al-Fajr revenait, pour le site, à perdre son accréditation. »
Selon nos informations, Nabil aurait cependant refusé de passer des images de décapitation. Il n’aurait pas systématiquement transmis les demandes de renseignement visant à préparer des assassinats ciblés ou des attentats. A une occasion, ses informations auraient néanmoins permis de supprimer un dignitaire chiite, indique une source proche du dossier. « Mon client était favorable au jihad, c’est un fait. Mais pas en France, qu’il considère toujours comme sa deuxième patrie et le pays de ses enfants », assure son avocat.
A aucun moment Nabil ne quitte son écran. L’enquête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la section antiterroriste de la brigade criminelle de Paris (SAT) le démontre : il n’a jamais collecté d’argent, n’est jamais entré en contact physique avec ses interlocuteurs, n’a jamais facilité l’envoi de candidats au jihad. « Il l’a proposé une fois, mais ses interlocuteurs au Yémen n’étaient pas prêts, relate une source proche de l’enquête. Quand ces derniers l’ont finalement sollicité, cette fois c’est Nabil qui a refusé. »
Submergé de requêtes, le jeune Tunisien finit par passer tout son temps devant son ordinateur, au grand dam de son épouse, qui l’encourage à regagner la Tunisie. « Il était dans un engrenage dont il ne savait plus comment sortir », relate Me Eric Bourlion. Le 29 juin dernier, lorsque les policiers l’arrêtent, « il s’est senti comme soulagé », assure l’avocat.
Incarcéré depuis lors, Nabil encourt une peine de dix ans pour « association de malfaiteurs en vue de préparer un acte terroriste ». Son épouse a engagé une procédure de divorce.
Doté d’un nouveau logiciel de cryptage et de nouveaux codes d’accès, le site Al-Shomouk vient de rouvrir.
http://www.tunisie-secret.com
Le Parisien du 9/12/2012, Damien Delseny et Elisabeth Fleury.
Notre article de novembre 2012:
L’incroyable parcours du webmaster d’Al-Qaïda
Réagir Sur l’échiquier d’Al-Qaïda, il était devenu un pion essentiel. Sans bouger de chez lui, juste avec son ordinateur. Nabil, 35 ans, dort aujourd’hui en prison près de Paris et est régulièrement interrogé par le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic. Pendant des mois, cet ancien étudiant en lettres, arrivé de Tunisie en France il y a cinq ans, a interloqué les services de renseignements français, qui suivaient discrètement, depuis fin 2010, sa progression dans le cyberespace terroriste. A la fois facteur, messager et agent de renseignement, Nabil comptait, parmi ses interlocuteurs, tout le gratin d’Al-Qaïda : derrière une foule de surnoms et de messages cryptés se cachaient des dignitaires du Hamas ou de la branche d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique.
Comme un vrai espion
Ce n’est certes pas la première fois qu’Internet est utilisé par des apprentis terroristes. Un rapport des Nations unies vient d’ailleurs de souligner le rôle essentiel du Web dans le recrutement, l’entraînement, le financement ou la planification des actes terroristes. Mais ce qui rend le cas de Nabil presque unique, c’est l’importance que lui donnaient ses interlocuteurs. De simple internaute surfant sur des forums fondamentalistes, il était devenu cette courroie de transmission vitale pour Al-Qaïda, capable de traduire et de diffuser des documents mais aussi de fournir des informations, comme un vrai espion.
Sur les zones de combat, au Waziristan (au Nord-Ouest du Pakistan) ou au Yémen, les membres de l’organisation terroriste sont souvent contraints à la clandestinité et ils ne peuvent utiliser Internet qu’avec prudence pour ne pas être géolocalisés. C’est pour cette raison qu’ils cherchent à recruter loin de leurs bases, dans des pays où l’accès au Web est libre et où leurs correspondants peuvent aisément obtenir des informations, assurer des liaisons, faire passer des messages et diffuser des vidéos. Ils peuvent s’appuyer sur une myriade de sites, dont la durée de vie est parfois très courte et qu’une armée de bénévoles se charge d’administrer. En devenant un des webmasters de la nébuleuse Al-Qaïda, Nabil avait juste gagné le droit de se faire appeler « frère ». Une reconnaissance qui lui fait risquer désormais de longues années de prison.
Sur l’échiquier d’Al-Qaïda, il était devenu un pion essentiel. Sans bouger de chez lui, juste avec son ordinateur. Nabil, 35 ans, dort aujourd’hui en prison près de Paris et est régulièrement interrogé par le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic. Pendant des mois, cet ancien étudiant en lettres, arrivé de Tunisie en France il y a cinq ans, a interloqué les services de renseignements français, qui suivaient discrètement, depuis fin 2010, sa progression dans le cyberespace terroriste. A la fois facteur, messager et agent de renseignement, Nabil comptait, parmi ses interlocuteurs, tout le gratin d’Al-Qaïda : derrière une foule de surnoms et de messages cryptés se cachaient des dignitaires du Hamas ou de la branche d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique.
Deuxième article:
Depuis son ordinateur, Nabil mène le jihad
Du matin au soir, la plupart du temps cloîtré dans la chambre de son appartement de Toulon, Nabil passe les mois précédant son arrestation devant l’écran de son ordinateur. Ni ses amis, ni son épouse, ni ses deux jeunes enfants ne savent ce qu’il fait au juste. « Il ne se confiait à personne », relate son avocat, Me Eric Bourlion. Les services de renseignement, eux, connaissent tout de ses activités. Ils ont sonorisé son appartement. Connectés en permanence au site Al-Shomouk, sur lequel Nabil passe tout son temps, ils ont réussi fin 2010 à « craquer » le logiciel de cryptage qu’il utilise. Depuis cette date, ils interceptent en temps réel les messages que reçoit Nabil des quatre coins de la Toile. Ils savent que, derrière ce discret Tunisien de 35 ans, se cache le « messager en chef » d’Al-Qaïda.
« Son premier clic visait à s’informer sur la situation dans la bande de Gaza, explique l’avocat de Nabil. Il était très sensible à la cause palestinienne et découvrait qu’en France l’accès à Internet était beaucoup plus libre qu’en Tunisie. »
A la ville, Nabil pratique un islam modéré, porte une courte barbe, fréquente peu la mosquée. Son épouse, française, n’est pas voilée. Il est chômeur, elle est bibliothécaire. Arrivé en France cinq ans plus tôt via l’Espagne, le jeune homme, né à Bizerte, dans le nord de la Tunisie, n’a aucun antécédent judiciaire et passe pour être doux et serviable. Sur la Toile, sous des pseudonymes qu’une poignée d’initiés est seule à connaître, Nabil se révèle un tout autre homme. Administrateur en chef du site jihadiste Al-Shomouk, il est l’interlocuteur incontournable des principaux cadres d’Al-Qaïda. En 2010, son site est le seul que l’organisation terroriste reconnaît comme fiable. A ce titre, Al-Shomouk est l’unique destinataire des informations en provenance du centre médiatique Al-Fajr, l’organisme de propagande d’Al-Qaïda. C’est aussi sur Al-Shomouk que les plus hauts dignitaires d’Al-Qaïda échangent, dans la clandestinité, grâce au logiciel de cryptage Mudjahidin secret, les renseignements opérationnels destinés à planifier des attentats. Il ne les a jamais vus et, pourtant, les terroristes les plus traqués de la planète font à Nabil une confiance totale. Sur Al-Shomouk, le jeune Tunisien est le seul à connaître leurs alias et leurs identifiants. Son rôle est crucial. Et bénévole. « Il a juste gagné le droit de se faire appeler frère », souligne son avocat. « Mon généreux et estimé frère… »
La plupart des messages commencent par des louanges à Dieu et d’interminables salutations. Leur contenu, quant à lui, fait froid dans le dos.
En témoigne ce prêche d’Abu Sufyan, membre du Hamas et alors numéro 2 d’Aqpa (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), intitulé « Le convoi des martyrs », que Nabil traduit et diffuse en décembre 2011. La France y est classée en troisième position des cibles d’Al-Qaïda, derrière Israël et les Etats-Unis et devant la Grande-Bretagne et « les pays apostats ». Le prêche appelle « à développer les moyens d’action en territoire occidental et aux Etats-Unis », prône « la glorification du martyre » et encourage « le jihad individuel de l’intérieur ». Un texte que Nabil aurait « édulcoré de sa propre initiative », assure Me Bourlion. « Il n’en ignorait pas les dérapages », admet l’avocat. De quelle marge de manœuvre disposait le jeune webmaster? « Elle était mince, estime Me Bourlion. Refuser de passer les informations d’Al-Fajr revenait, pour le site, à perdre son accréditation. »
Selon nos informations, Nabil aurait cependant refusé de passer des images de décapitation. Il n’aurait pas systématiquement transmis les demandes de renseignement visant à préparer des assassinats ciblés ou des attentats. A une occasion, ses informations auraient néanmoins permis de supprimer un dignitaire chiite, indique une source proche du dossier. « Mon client était favorable au jihad, c’est un fait. Mais pas en France, qu’il considère toujours comme sa deuxième patrie et le pays de ses enfants », assure son avocat.
A aucun moment Nabil ne quitte son écran. L’enquête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la section antiterroriste de la brigade criminelle de Paris (SAT) le démontre : il n’a jamais collecté d’argent, n’est jamais entré en contact physique avec ses interlocuteurs, n’a jamais facilité l’envoi de candidats au jihad. « Il l’a proposé une fois, mais ses interlocuteurs au Yémen n’étaient pas prêts, relate une source proche de l’enquête. Quand ces derniers l’ont finalement sollicité, cette fois c’est Nabil qui a refusé. »
Submergé de requêtes, le jeune Tunisien finit par passer tout son temps devant son ordinateur, au grand dam de son épouse, qui l’encourage à regagner la Tunisie. « Il était dans un engrenage dont il ne savait plus comment sortir », relate Me Eric Bourlion. Le 29 juin dernier, lorsque les policiers l’arrêtent, « il s’est senti comme soulagé », assure l’avocat.
Incarcéré depuis lors, Nabil encourt une peine de dix ans pour « association de malfaiteurs en vue de préparer un acte terroriste ». Son épouse a engagé une procédure de divorce.
Doté d’un nouveau logiciel de cryptage et de nouveaux codes d’accès, le site Al-Shomouk vient de rouvrir.
http://www.tunisie-secret.com
Le Parisien du 9/12/2012, Damien Delseny et Elisabeth Fleury.
Notre article de novembre 2012: