Crime contre l’humanité à Gaza et mutisme des intellectuels juifs


21 Juillet 2014

L’auteur de cet article est un philosophe qui s’attache à Israël autant qu’aux valeurs humanistes dont se targuent certains intellectuels pharisiens. Par son courage et son honnêteté morale, Daniel Salvatore Schiffer s’inscrit ainsi dans la lignée du grand humanisme français, contrairement aux imposteurs qui se sont gendarmés pour détruire la Libye et la Syrie et qui se complaisent aujourd’hui dans un silence assourdissant au nom de l’exception israélienne ! L’article qui va suivre a été publié par Marianne, le 21 juillet 2014, sous le titre de « Conflit israélo-palestinien: les indignations sélectives des intellectuels juifs ».


BHL, grand rabbin du "printemps arabe", gladiateur des "droits de l'homme" chez les arabo-musulmans mais pas chez les judéo-sionistes!
Nul n'ignore mon attachement à Israël, pays que, depuis que mes pères eurent à subir l'indicible martyre de la Shoah, je porte dans mon cœur. Ainsi, en guise de solidarité avec cet État, n'ai-je pas hésité, par exemple, à me rendre à mes risques et périls, lors de la première Guerre du Golfe, en 1991, à Jérusalem, où je fus reçu à l'hôtel King David par Benyamin Netanyahou, alors Ministre des Affaires Étrangères, puis à Tel-Aviv, ville que  Saddam Hussein faisait pilonner à coups de scuds. 

C'est donc avec une même et intime conviction que je prône, pour l’État d'Israël, le droit de se défendre lorsqu'il se voit attaqué, comme lors de ces dernières semaines, par des centaines de roquettes tirées par ces terroristes que sont, dans la Bande de Gaza, les affidés du Hamas, du Djihad Islamique et autres Brigades des Martyrs d'Al Aqsa, lesquels se cachent de surcroît, pour commettre leurs inqualifiables meurtres, derrière leur propre population, qu'ils prennent en otage, tels des boucliers humains. Je le clame d'autant plus haut et fort que ces embrigadés du fascisme vert, fieffés antisémites de surcroît, se réclament toujours, envers et contre tout, de ce funeste paragraphe issu de la première charte de l'OLP (Organisation de la Libération de la Palestine), jadis créée, en 1964, par feu Yasser Arafat : article selon lequel « tout Juif devait être rejeté à la mer » !

Mais, ces prémices étant bien établies, est-ce là une raison – une raison nécessaire et suffisante – pour qu'Israël se comporte à son tour, au vu de l'extrême violence avec laquelle son armée (Tsahal) est en train de mettre actuellement à feu et à sang cette même Bande de Gaza, comme un assassin ? Détruire les tunnels bellicistes du Hamas, oui ! Mais non pour autant - la nuance est de taille - des centaines d'innocents ! Qu'on en juge par le seul nombre de palestiniens morts, presque tous civils (femmes, enfants et vieillards confondus), depuis le début, le 8 juillet dernier, c'est-à-dire en treize jours seulement, de cette offensive militaire de vaste ampleur (par mer, air et terre) : plus de 400 tués, sans compter les milliers de blessés, victimes des mal nommés « dégâts collatéraux ». Un massacre, perpétré en toute impunité ! Pis : avec le consentement, sinon la tacite complicité, des États-Unis, dont le président, l'inénarrable Barack Obama, est prix Nobel de la paix ! Israël et l'Amérique seraient-ils donc, par on ne sait quel absurde et inéquitable privilège, au-dessus des lois, du droit international même ?

Un crime contre l'humanité

Autant dire que c'est là, de la part d'Israël, un acte aussi révoltant qu'abominable sur le plan humain, quels que soient les motifs (les ennemis de ce pays parleront là, fussent de manière indue, d' « alibis expansionnistes » ou de « prétextes géopolitiques ») pour le justifier : ce crime, hautement répréhensible sur le plan moral, n'a pas de nom, sinon celui, précisément, de « crime de guerre », voire, plus grave encore, de « crime contre l'humanité ».

Je le clame donc ici aussi, porté en cela par ma seule conscience morale et d'homme libre, avec une identique conviction, quitte à ce que l'intellectuel juif que je suis se mette à nouveau bon nombre de ses pairs à dos : Israël n'est pas digne, en cette effroyable circonstance, de son Histoire. Pis : il la dénature, au gré de ses seuls intérêts géostratégiques, et la trahit !

Davantage, et sans certes vouloir comparer ici l'incomparable : Israël, État qui vit le jour au lendemain (1948) de ce crime unique dans les annales de l'(in)humanité que fut l'Holocauste, n'a-t-il donc rien appris, ou si peu, des immortelles leçons de son glorieux quoique douloureux passé ? A moins que ce ne soit, pis encore, l'obscurantiste et rétrograde loi mosaïque du talion (« œil pour œil et dent pour dent, mais à puissance dix ici ! ») à présider, encore aujourd'hui, à son destin politico-religieux. La politique menée ces derniers temps par la droite israélienne s'avère à long terme aussi désastreuse, par son radicalisme idéologique et son intransigeance politique, que celle des extrémistes palestiniens : une impasse ne conduisant qu'au pire des scénarios-catastrophes !

La honte !

Israël ne se rend-il donc pas compte qu'en confinant ainsi près de deux millions d' êtres humains - les Palestiniens, en l'occurrence – dans une terre (la Bande de Gaza) longue d'un peu plus de quarante kilomètres et large de moins de dix kilomètres, il ne fait que répéter ainsi, leur niant en outre tout droit d'exister en tant que peuple libre et nation indépendante, ce que les Allemands firent avec les Juifs, de sinistre mémoire, dans le ghetto de Varsovie ?

J'ai mal à mon sens de l'humanité lorsque je vois, sur mon écran de télévision, des images de mères palestiniennes hurler à la mort sur le cadavre ensanglanté de leur enfant déchiqueté par un missile israélien. A ces pères et ces mères en larmes, toute ma compassion ! Je suis là, n'en déplaise à ma patrie d'élection qu'est Israël, tout aussi palestinien que juif : l'inhumaine souffrance n'a pas de nationalité, ni de frontière, de culture ou de religion ; elle est universelle, et, parfois, je me sens, à entendre ces cris déchirants résonner dans le désert du monde, couvert de honte. Cela m'est, tout simplement, insupportable ! Alors ma voix, comme aujourd'hui en cette tribune, s'élève, trop solitaire, je le regrette amèrement, parmi mes pairs juifs !

Indignation sélective : où sont les intellectuels juifs ?

Mais une autre interrogation, non moins lancinante, me vient aussi, en ces jours mortifères, à l'esprit : où sont donc aujourd'hui, pour condamner cette agression israélienne, ces intellectuels juifs, les plus médiatisés surtout, toujours si prompts à fustiger les crimes partout dans le monde, à juste titre par ailleurs, à la notoire mais partiale et irrationnelle exception de ceux perpétrés par Israël ? Un injustifiable, par la plus lâche et ignominieuse des indignations sélectives, « deux poids, deux mesures » !

Ainsi, par exemple, aimerait-on entendre un Élie Wiesel, un Alain Finkielkraut ou un Bernard-Henri Lévy dénoncer publiquement, avec courage et au nom même de ces principes universels qu'ils ne cessent de revendiquer, les bombardements israéliens à l'encontre des civils palestiniens comme ils s'insurgèrent naguère, dans les années 90, contre le siège de Sarajevo, par exemple, par les forces militaires serbes. 

Leur silence, en cette triste circonstance, est aussi assourdissant, paradoxalement, que celui, tout aussi coupable, des intellectuels musulmans lorsqu'ils se refusent à condamner ouvertement les crimes commis par les intégristes islamistes et autres djihadistes de tous poils. Un humaniste digne de ce beau et noble nom se doit de condamner, tel un impératif catégorique, le crime d'où qu'il vienne, sans se laisser enfermer en un quelconque esprit partisan, ni manichéisme étriqué ou dogmatisme de tout aussi mauvais aloi. Attitude intellectuelle, celle-ci, trop rare, hélas, au sein du monde contemporain !
 
Pour la coexistence pacifique des États israélien et palestinien

Morale de l'Histoire? Cette paix des braves, sinon des justes, que j'appelle depuis toujours de mes vœux, afin de résoudre enfin cet interminable et terrible conflit israélo-palestinien, n'a qu'un seule et pourtant simple préalable, aussi difficile à entendre soit-il pour certains Juifs : la coexistence, civile et démocratique, des États israélien et palestinien, avec une reconnaissance réciproque de la part de leurs institutions politiques respectives. 

Bref, et une bonne fois pour toutes : Israël doit restituer aux Palestiniens les territoires qu'il occupe illégalement depuis trop longtemps déjà et permettre donc, dans la foulée, que ce peuple ait enfin légitimement, comme pour tous les peuples de la Terre, son État : un État libre, indépendant et souverain, à tous les effets. Tel est, en vérité, le nœud, qui n'est inextricable qu'en apparence, du problème : l'origine politique et l'historique source de cette guerre, tantôt larvée et tantôt déclarée !

Ce n'est qu'à ce juste prix qu'Israël, qui devrait faire preuve d'un peu plus de sagesse diplomatique en cette épineuse question, pourra vivre enfin dans la paix qu'il mérite, et que le monde entier, par la même occasion, retrouvera, avec la progressive disparition de ce conflit, un peu plus de sérénité à la base. 
 Quant à cet antisémitisme qui est en train de déferler dangereusement aux quatre coins de la planète, il n'aura plus, ainsi, d'odieux alibi idéologique pour gangrener l'humanité... du moins c'est à espérer si l'on ne veut pas désespérer, au contraire, de l'Homme !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER 

Philosophe, auteur de « La Philosophie d'Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), signataire du JCall (Jewish Call for Reason – Appel des Juifs à la Raison), auteur de « La Philosophie d'Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique (Presses Universitaires de France).