Chers compatriotes, vous n’êtes que des crétins


2 Juin 2013

C’est un canadien d’origine tunisienne qui nous adresse cet article après l’avoir envoyé à trois journaux tunisiens qui ont refusé sa publication. Malgré la violence du propos, nous le publions sans la moindre hésitation car il exprime une bien triste réalité, qui est d’ailleurs partagée par la majorité silencieuse des Tunisiens. Son auteur est un médecin tunisien de nationalité canadienne. Le titre est de la rédaction.


Lorsque j’ai quitté la Tunisie en 1977, j’avais 35 ans. Aujourd’hui, j’en ai 71. A cette époque, le Canada n’était pas la destination favorite des Tunisiens. Pour moi, c’était le pays idéal pour réaliser mon rêve et m’épanouir. Avec l’aide de Dieu, j’y suis parvenu. Médecin des hôpitaux, j’ai terminé ma carrière à la tête du service de gynécologie d’une grande clinique. J’ai épousé une canadienne et je suis devenu citoyen de ce grand et généreux pays.
 
Mais je n’ai jamais oublié mon pays et mon village dans le gouvernorat de Jendouba. C’est d’abord à la Tunisie et à son système d’éducation que je dois ma réussite. Au début des années 60, mon frère aîné faisait 6Km à pied pour se rendre au lycée. Grâce au développement régional et à la généralisation de l’enseignement encouragée par Bourguiba, je faisais quelques mètres pour me rendre dans le tout nouveau lycée de mon village.

A mes camarades de faculté canadiens et à mes voisins, je devais dire que je venais du pays de Bourguiba pour qu’ils arrivent à situer géographiquement la Tunisie. Oui, le père de l’Indépendance était plus connu que la Tunisie. J’étais très fier d’être tunisien. J’ai mis 8 ans avant de rentrer au pays en 1985. Cet été là, je me suis senti plus canadien que tunisien. C’était un sentiment bizarre d’un tunisien étranger dans son propre pays. La Tunisie allait très mal, socialement, politiquement et économiquement. L’idée de m’y installer définitivement avec ma petite famille n’était plus à l’ordre du jour.  Dans l’avion qui me ramenait à Montréal, je me souviens encore de cette phrase de ma femme, « ça va être comme l’Iran ».

Dix ans plus tard, avec ma femme et mes enfants, je suis revenu au bled. C’était en juillet 1995. Dès notre arrivée à l’aéroport, j’étais à nouveau fier. Je n’ai pas reconnu cet aéroport, ni Tunis, ni l’autoroute, ni Hammamet où je devais passer mes vacances. Quant au village natal, il était devenu une petite et magnifique ville. Il n’y avait plus un lycée mais trois, en plus d’un grand hôpital, d’une salle de cinéma, d’un centre de formation technique pour les handicapés que j’ai modestement soutenu par la suite. Quatre cités populaires, avec immeubles et petites maisons sont sorties du néant grâce à un programme de solidarité national. Des dizaines de familles qui vivaient dans des taudis étaient maintenant propriétaires de logements modernes. En dix ans, la Tunisie avait connue un développement impressionnant. C’était trop tard pour m’y installer définitivement, mais depuis cet été, j’y suis retourné tous les ans, en attendant l’âge de la retraite pour m’y fixer et y terminer mes vieux jours.

Mon rêve s’est évaporé avec la maudite révolution que vous croyez avoir fait. Alors que je n’avais pas une grande connaissance de la politique, cette révolution, je n’y croyais pas du tout. Plus les médias  flattaient ce grand soulèvement de la jeunesse, et plus je m’en méfiais. Au fil des jours, j’étais convaincu que mon pays était victime de manipulation et que mes compatriotes avaient perdu la raison. Je n’avais pourtant aucune affinité avec ce régime. L’un de mes amis, le marhoum Moncef Guitouni, tuniso-canadien comme moi, avait tout fait pour me convertir à l’idéologie du parti au pouvoir. En vain. La politique ne m’intéressait pas autant que l’avenir de mon pays, la Tunisie.

Oui, sous Bourguiba et sous Ben Ali, je me sentais fier d’être tunisien, malgré le manque de liberté d’expression et l’absence d’élections démocratiques. Depuis votre maudite révolution, j’en ai honte. Pas seulement en raison de ce qui s’y passe depuis que vous avez porté au pouvoir ces salopards d’islamistes, mais aussi depuis que l’opinion publique canadienne a découvert que des tunisiens, et non pas un seul, comptaient commettre une série d’attentats dans le pays qui les a accueilli et aidé. Drôle de façon pour exprimer sa reconnaissance à l’égard d’une société tolérante et généreuse.

J’ai honte et je me sens coupable en tant que tunisien. Coupable que mes compatriotes crétins soient à l’origine du malheur qui a frappé la Libye et l’Egypte, et du sang qui coule en Syrie. Oui, c’est nous les Tunisiens qui sommes responsables de ce qui arrive dans le monde arabe. Crétins et prétentieux, nous nous sommes laissés manipulés par des médias et des chancelleries occidentales pour détruire notre propre pays et pour propager notre « merdes » à nos voisins et frères arabes. Et puis, on a donné à ce torrent de boue, d’ignorance et de malheur, le joli nom de « printemps arabe ».

Que mes compatriotes me pardonnent ce cri de colère et de désespoir qui émane d’un cœur blessé et d’un citoyen qui ne reconnaît plus son pays dont il était si fier. Le régime n’était pas parfait mais la Tunisie était un pays socialement moderne et une économie émergente. Aujourd’hui, c’est un pays surendetté et sous développé à tous point de vue. Jamais je n’aurai cru que certains quartiers en Tunisie ressembleraient aux bourgades d’Afghanistan. Jamais je n’aurais cru que le wahabisme s’implanterait au pays de Bourguiba. Jamais je n’aurais cru qu’un jour, la Tunisie serait gouvernée par les frères musulmans.

J’ose encore espérer que les Tunisiens vont retrouver la raison et que monsieur Béji Caïd Essebsi pourra sauver la Tunisie. Mais je n’y crois pas beaucoup. Les dégâts culturels, politiques et économiques en seulement deux ans sont irréparables, et le mal est si profond. Adieu chère patrie et que Dieu protège les Tunisiens d’un malheur qu’ils ont provoqué, par ignorance, par prétention, par ingratitude et par trahison.
Tunisie-Secret.com
Abdelkrim Akrout, Montréal le 21 mai 2013