Bouteflika redoute la marée noire du printemps arabe


10 Mars 2015

Dans son dernier discours à la nation, le président algérien a appelé ses compatriotes à la plus grande vigilance face aux menaces intérieures et extérieures par lesquelles certains veulent déstabiliser l’Algérie. En deux semaines, c’est la seconde fois que le président Bouteflika lance ce message aux citoyens et à la classe politique toutes tendances confondues.


A l’occasion de la journée internationale de la femme, le 8 mars dernier, le chef de l’Etat algérien a prononcé un discours au ton grave et aux périls clairement désignés : « Nous avons tous observé que les dynamiques internes de certains peuples, pourtant épris de démocratie, de liberté et de dignité, qui se sont laissés instrumentaliser par des intervenants étrangers n’ont eu d’autre résultat que des souffrances on ne peut plus douloureuses et ravageuses ».

Abdelaziz Bouteflika n’a évidemment pas cité ces pays du « printemps arabe » dont les peuples et les élites politiques ont été manipulé pour détruire leurs propres pays, à savoir la Libye, la Syrie, l’Egypte et la Tunisie, qui est la source du malheur arabe et du retour du colonialisme et de l’impérialisme dans toute la région. Pas plus qu’il n’a cité les pays comploteurs, à savoir les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France et le Qatar.  

En précisant que l’Algérie « observait de près la reconstruction post-révolutions arabes de ces pays voisins, fragiles et sous influences », le président algérien a prévenu que son pays ne « tombera pas dans le piège du printemps arabe » et qu’il s’achemine plutôt vers « une stratégie qui assure la stabilité du pays et de ses institutions et qui, en même temps, fortifie ses défenses pour se prémunir contre tout risque pouvant menacer sa sécurité et son intégrité. »

Conscient « des défis auxquels notre pays se trouve confronté du fait de la situation qui prévaut dans notre environnement régional et international », sachant que l’Algérie est entourée de pays traîtres et collaborateurs (Tunisie, Maroc, Libye), le chef de l’Etat algérien ne compte que sur le patriotisme de ses concitoyens pour faire face « aux tentatives de déstabilisation qui visent l’Algérie ». D’où son appel à « consolider le front intérieur », c’est-à-dire toutes les forces vives de la nation. « Les autorités vont veiller sans relâche à renforcer le front intérieur au bénéfice exclusif de la Nation, et ce pour faire face à toute tentative de déstabilisation du pays », a-t-il déclaré.

En deux semaines, c’est la seconde fois que le président Bouteflika s’adresse à la nation pour mettre en garde contre les « tentatives de déstabilisation intérieures et extérieures ». Le 24 février dernier, à l’occasion de la célébration de la nationalisation des hydrocarbures (24 février 1971), tout un symbole aujourd’hui que le pétrole libyen est entre les mains de groupes islamo-mafieux, et qu’une grande partie du pétrole irakien et syrien est bradée par Daech à des groupes occidentaux, Abdelaziz Bouteflika appelait déjà son peuple à la solidarité et à se méfier de certains pays et partis « qui cherchent à diviser les Algériens ». Sans doute une allusion aux mouvements sociaux dans le sud et plus exactement aux manifestations téléguidées qui s’opposent à l’exploitation du gaz de schiste.

Grand paradoxe dans cette détermination de mettre l’Algérie à l’abri de ce printemps islamo-atlantiste, Abdelaziz Bouteflika, recevait le même jour (8 mars 2015) le président du Conseil des ministres et ministre de l'Intérieur de l'émirat du Qatar, Abdellah Ben Nacer Ben Khalifa Al-Thani, en visite de « travail » et « d'amitié » en Algérie.

Ce grand paradoxe n’a pas échappé au quotidien El-Watan qui était pourtant très favorable au "printemps arabe" et qui s’est interrogé : « Qui ignore aujourd’hui le rôle joué par le Qatar dans la déstabilisation des pays de la région ? Tout le monde sait aussi comment ce pays du Golfe a contribué au développement des groupes extrémistes islamistes dans les pays musulmans pour satisfaire ses visées stratégiques et d’hégémonie. Alors on se demande vraiment pourquoi l’Algérie veut privilégier un partenariat qui a d’abord montré ses limites, en mettant ensuite hors jeu des investissements nationaux ? Quel profit l’Algérie compte-t-elle tirer d’un partenaire qui joue contre elle en matière d’influence régionale ? La question reste posée. Seuls ceux qui président aux destinées du pays en connaissent le secret. » (El-Watan du 10 mars 2015)

Autant dire que ce n’est pas en faisant des concessions au Qatar, c’est-à-dire à Halliburton, que Bouteflika évitera à l’Algérie le destin de la Tunisie, de la Libye et de la Syrie, mais en établissant un pacte géostratégique avec la Russie et une alliance économique et militaire avec l’Egypte.  

Nebil Ben Yahmed