Voici d’abord l’article intégral que le quotidien algérien El-Watan a publié dans son édition du 6 décembre 2013 :
« Selon nos sources, la crise a commencé lorsque des contacts ont été établis entre certains commandements sécuritaires tunisiens et des pays du Golfe et alors que des chefs des services de sécurité voyaient d’un très bon œil les mouvements populaires anti-Ennahdha. C’est ce qui expliquerait en partie les rencontres entre Bouteflika, Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, réputé proche de l’institution militaire en Tunisie. Le leader d’Ennahdha a confié aux responsables algériens sa crainte de voir l’armée lui préparer un scénario à l’égyptienne (éviction du président Morsi par l’état-major), avec la complicité de certains pays du Golfe. Alger a donc tenté de rassurer les deux parties pour éviter un clash, et a même demandé à Ennahdha de faire quelques concessions pour favoriser le dialogue. L’armée tunisienne, quant à elle, est très mécontente de la gestion du gouvernement islamiste face à la montée du terrorisme. Et c’est peut-être pour assister davantage l’effort sécuritaire tunisien qu’Alger a ouvert un canal direct entre Tunis et les pays du champ concernés par la lutte antiterroriste dans la région avec comme perspective l’adhésion de la Tunisie à l’Initiative sécuritaire des pays du champ. En fait, selon nos sources, l’Algérie souhaiterait associer le Mali, le Niger, la Libye et la Tunisie dans son programme initié depuis trois ans et consistant à former des forces aériennes et terrestres spécialisées dans le combat en milieu saharien ».
En réalité, il n’y a pas eu une seule tentative de l’armée tunisienne mais deux. La première, qui devait se déclencher le 3 août 2013 (date anniversaire de Bourguiba), et la seconde, fin septembre dernier. Selon nos informations, les deux ont été sabordées sur décision de la présidence algérienne. Nous disons bien présidence algérienne et non pas armée algérienne, car les généraux étaient quasiment tous favorables au sauvetage de la Tunisie, d’autant plus que l’opinion publique tunisienne n’attendait que cela.
Les pays du Golfe auxquels El-Watan a fait allusion sont les Emirats Arabes Unis et le Koweït, c’est-à-dire les principaux ennemis du Qatar. Les services égyptiens y étaient totalement favorables, mais pas les services syriens, auxquels les Iraniens qui soutiennent discrètement mais efficacement Ennahda, ont demandé la neutralité. Quant à l’Arabie Saoudite, elle reçu des Américains l’ordre de ne pas s’impliquer dans un tel projet « contre-révolutionnaire » en Tunisie. Bouteflika, qui a fait d’énormes concessions aux Etats-Unis et au Qatar depuis deux ans, a dû recevoir les mêmes consignes.
Pour mieux comprendre le jeu troublant de la présidence algérienne, on rappelle ce confidentiel qui a été publié par le magazine parisien Afrique Asie, réputé très proche des généraux algériens, le 4 juillet 2013, sous le titre de « Rencontre secrète entre Mezri Haddad et deux officiers de l’armée tunisienne ». Voici ce qu’écrivait alors Afrique Asie : « Nous avons appris par des canaux sécuritaires d’un pays maghrébin que l’ancien ambassadeur de la Tunisie auprès de l’UNESCO a rencontré, il y a deux mois, deux officiers de l’armée tunisienne. La rencontre s’est déroulée aux frontières d’un pays limitrophe à la Tunisie. Cette rencontre entre un « philosophe » aux allures innocentes et deux militaires dont nous ignorons le grade est d’autant plus troublante que Mezri Haddad avait lancé, il y a exactement une année, un « Appel en 7 points », dans lequel il a demandé aux forces de l’armée –et non pas au général Rachid Ammar !- de prendre le contrôle du pays, de dissoudre l’Assemblée constituante, de former un gouvernement provisoire d’unité nationale et d’organiser dans les six mois des élections législatives et présidentielles sous le contrôle exclusif des Nations Unies. Notre rédaction avait publié ce communiqué daté du 13 juin 2012 (lien ci-dessous), qui avait provoqué à cette époque des réactions mitigées. Les uns l’ont accueilli comme une bouffée d’oxygène dans un pays qui s’inquiète et qui étouffe ; les autres l’ont considéré comme un appel au putsch. En allant à la rencontre de deux officiers de l’armée tunisienne, on peut en tout cas considérer que Mezri Haddad a des suites dans les idées « philosophiques » ! Le séisme qui vient de se produire en Egypte démontre que certaines idées peuvent avoir un impact là où on ne les attend pas ! ».
A quoi joue Abdelaziz Bouteflika ? Si, en soutenant les Frères musulmans tunisiens, il croit mettre à l’abri du « printemps arabe » l’Algérie, il se trompe. Malgré son essoufflement, ce « printemps arabe », c’est-à-dire le placement des islamistes au pouvoir, est un projet géopolitique américain global. C’est d’ailleurs ce que les généraux algériens ont compris dès le début. Mais pas Abdelaziz Bouteflika, qui sait pertinemment que les islamistes n’ont pas de patrie et que les relations entre Ghannouchi et Abbassi Madani sont aussi fortes que la collaboration stratégique entre Ennahda et le FIS. Tant que la Tunisie et la Libye seront sous le joug des frères musulmans, l'Algérie ne sera pas à l'abri. Celà aussi, les généraux algériens l'ont compris.TunisieSecret
Nebil Ben Yahmed
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Les pays du Golfe auxquels El-Watan a fait allusion sont les Emirats Arabes Unis et le Koweït, c’est-à-dire les principaux ennemis du Qatar. Les services égyptiens y étaient totalement favorables, mais pas les services syriens, auxquels les Iraniens qui soutiennent discrètement mais efficacement Ennahda, ont demandé la neutralité. Quant à l’Arabie Saoudite, elle reçu des Américains l’ordre de ne pas s’impliquer dans un tel projet « contre-révolutionnaire » en Tunisie. Bouteflika, qui a fait d’énormes concessions aux Etats-Unis et au Qatar depuis deux ans, a dû recevoir les mêmes consignes.
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A quoi joue Abdelaziz Bouteflika ? Si, en soutenant les Frères musulmans tunisiens, il croit mettre à l’abri du « printemps arabe » l’Algérie, il se trompe. Malgré son essoufflement, ce « printemps arabe », c’est-à-dire le placement des islamistes au pouvoir, est un projet géopolitique américain global. C’est d’ailleurs ce que les généraux algériens ont compris dès le début. Mais pas Abdelaziz Bouteflika, qui sait pertinemment que les islamistes n’ont pas de patrie et que les relations entre Ghannouchi et Abbassi Madani sont aussi fortes que la collaboration stratégique entre Ennahda et le FIS. Tant que la Tunisie et la Libye seront sous le joug des frères musulmans, l'Algérie ne sera pas à l'abri. Celà aussi, les généraux algériens l'ont compris.TunisieSecret
Nebil Ben Yahmed
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