L’attentat contre le musée du Bardo, le 18 mars, pousse Béji Caïd Essebsi (BCE) à s’appuyer ouvertement sur l’armée pour contrer le péril djihadiste. Ce choix va chambouler le paysage sécuritaire tunisien.
En ordonnant, au lendemain de l’attaque revendiquée par l’organisation Etat islamique, le déploiement de l’armée pour sécuriser les villes, BCE rompt avec un demi-siècle de défiance. Habib Bourguiba se méfiait des militaires et Zine El-Abidine Ben Ali avait attendu le dernier moment pour les faire sortir de leur caserne, précipitant sa propre chute. La décision de BCE est surtout un désaveu pour le ministère de l’Intérieur, autrefois tout-puissant garant de la sécurité urbaine et bras armé de la présidence.
La montée en puissance de l’armée dans le dispositif antiterroriste avait débuté avant l’arrivée de BCE à Carthage. En première ligne pour réduire les « poches » djihadistes dans les zones rurales (djebel Chaâmbi…), les militaires s’étaient vu offrir leur propre service de renseignements par le gouvernement de Mehdi Jomaä. Cette Agence de renseignements et de la sûreté pour la défense (ARSD) a des prérogatives plus larges que la Direction générale de la sécurité militaire (DGSM), qu’elle remplace, et disposerait déjà d’un centre d’interceptions téléphoniques « Top secret » sur la route Tunis-Bizerte. Cette évolution est accompagnée par Washington, qui n’a jamais autant « cadeauté » l’armée tunisienne : drones ScanEagle dès 2011, caméras infrarouges aéroportées…etc. La commande, officialisée le 17 mars, de huit premiers hélicoptères BlackHawk sur douze prévus, doit accélérer la livraison de ces appareils, attendus à l’origine en 2016.
Mais BCE ne négligera pas totalement le ministère de l’Intérieur. D’après nos sources à Tunis, il prévoit de le doter lui aussi, à terme, d’une agence de renseignement. Cette mission est jusqu’ici éclatée entre plusieurs directions du ministère : DGST (écoutes), DGSS (services spéciaux), DSE (sûreté de l’Etat, dissoute en 2011). A Tunis le 20 mars, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a déjà fait des offres de services pour aider à structurer cette future institution. Mais pour le président tunisien, l’urgence est de remettre d’aplomb le ministère, saigné par les purges successives, menées depuis 2011.
La dernière, début mars, avait emporté plusieurs de ses pontes, dont le DG de la sûreté nationale, Imed Ghodhbani, et celui de la sécurité publique, Mustapha Ben Amor. Elle avait été ordonnée par…BCE.
L'Etat-Major sécuritaire du président
BCE s'appuie sur une poignée d'hommes pour prendre en main l'appareil sécuritaire. Nommé en janvier, son conseiller défense, le contre-amiral Kamel Akrout, joue le chef d'orchestre en tant qu'ordonnateur des Conseils supérieurs de défense et de sécurité intérieur. Les deux ont été réunis simultanément pour la première fois le 19 mars, afin de pousser policiers et militaires à partager leurs "tuyaux" pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. La tâche est d'autant plus urgente que les seconds soupçonnent les premiers d'être infiltrés par les islamistes et d'être à l'origine de "fuites" préjudiciables. Kamel Akrout a dirigé la DGSM (l'ancien service de renseignement de l'armée) avant d'être remercié en 2013 par Moncef Marzouki, alors président.
Au ministère de l'Intérieur, le véritable relais de BCE est le secrétaire d'Etat aux affaires sécuritaires, Rafik Chelly, un sécuritaire historique. Depuis la mise à l'écart d'Imed Ghodhbani, le 3 mars, il assure en parallèle le rôle de directeur général de la sûreté nationale (DGSN), de loin le plus stratégique du ministère. Cet intérim semble appeler à durer. BCE a aussi pris le soin de nommer un nouveau patron des services techniques (DGST, chargée des écoutes), en la personne d'Ezzeddine Khalfi. Enfin, le président a propulsé début mars Taoufik Rahmouni à la tête de l'ARSD, la nouvelle agence de renseignement militaire.
NBY, source Maghreb Confidentiel No 1149 du 26 mars 2015.
En ordonnant, au lendemain de l’attaque revendiquée par l’organisation Etat islamique, le déploiement de l’armée pour sécuriser les villes, BCE rompt avec un demi-siècle de défiance. Habib Bourguiba se méfiait des militaires et Zine El-Abidine Ben Ali avait attendu le dernier moment pour les faire sortir de leur caserne, précipitant sa propre chute. La décision de BCE est surtout un désaveu pour le ministère de l’Intérieur, autrefois tout-puissant garant de la sécurité urbaine et bras armé de la présidence.
La montée en puissance de l’armée dans le dispositif antiterroriste avait débuté avant l’arrivée de BCE à Carthage. En première ligne pour réduire les « poches » djihadistes dans les zones rurales (djebel Chaâmbi…), les militaires s’étaient vu offrir leur propre service de renseignements par le gouvernement de Mehdi Jomaä. Cette Agence de renseignements et de la sûreté pour la défense (ARSD) a des prérogatives plus larges que la Direction générale de la sécurité militaire (DGSM), qu’elle remplace, et disposerait déjà d’un centre d’interceptions téléphoniques « Top secret » sur la route Tunis-Bizerte. Cette évolution est accompagnée par Washington, qui n’a jamais autant « cadeauté » l’armée tunisienne : drones ScanEagle dès 2011, caméras infrarouges aéroportées…etc. La commande, officialisée le 17 mars, de huit premiers hélicoptères BlackHawk sur douze prévus, doit accélérer la livraison de ces appareils, attendus à l’origine en 2016.
Mais BCE ne négligera pas totalement le ministère de l’Intérieur. D’après nos sources à Tunis, il prévoit de le doter lui aussi, à terme, d’une agence de renseignement. Cette mission est jusqu’ici éclatée entre plusieurs directions du ministère : DGST (écoutes), DGSS (services spéciaux), DSE (sûreté de l’Etat, dissoute en 2011). A Tunis le 20 mars, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a déjà fait des offres de services pour aider à structurer cette future institution. Mais pour le président tunisien, l’urgence est de remettre d’aplomb le ministère, saigné par les purges successives, menées depuis 2011.
La dernière, début mars, avait emporté plusieurs de ses pontes, dont le DG de la sûreté nationale, Imed Ghodhbani, et celui de la sécurité publique, Mustapha Ben Amor. Elle avait été ordonnée par…BCE.
L'Etat-Major sécuritaire du président
BCE s'appuie sur une poignée d'hommes pour prendre en main l'appareil sécuritaire. Nommé en janvier, son conseiller défense, le contre-amiral Kamel Akrout, joue le chef d'orchestre en tant qu'ordonnateur des Conseils supérieurs de défense et de sécurité intérieur. Les deux ont été réunis simultanément pour la première fois le 19 mars, afin de pousser policiers et militaires à partager leurs "tuyaux" pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. La tâche est d'autant plus urgente que les seconds soupçonnent les premiers d'être infiltrés par les islamistes et d'être à l'origine de "fuites" préjudiciables. Kamel Akrout a dirigé la DGSM (l'ancien service de renseignement de l'armée) avant d'être remercié en 2013 par Moncef Marzouki, alors président.
Au ministère de l'Intérieur, le véritable relais de BCE est le secrétaire d'Etat aux affaires sécuritaires, Rafik Chelly, un sécuritaire historique. Depuis la mise à l'écart d'Imed Ghodhbani, le 3 mars, il assure en parallèle le rôle de directeur général de la sûreté nationale (DGSN), de loin le plus stratégique du ministère. Cet intérim semble appeler à durer. BCE a aussi pris le soin de nommer un nouveau patron des services techniques (DGST, chargée des écoutes), en la personne d'Ezzeddine Khalfi. Enfin, le président a propulsé début mars Taoufik Rahmouni à la tête de l'ARSD, la nouvelle agence de renseignement militaire.
NBY, source Maghreb Confidentiel No 1149 du 26 mars 2015.