Béji Caïd Essebsi est le seul candidat capable de rendre à la fonction présidentielle ses titres de noblesse.


17 Novembre 2014

Dans une interview accordée à L’Economiste Maghrébin, Mezri Haddad considère que la victoire de Nidaa Tounes dans les législatives est une "revanche posthume de Bourguiba" et soutient la candidature de Béji Caïd Essebsi dans les élections présidentielles. Il lâche ainsi ses « amis » Kamel Morjane et Mondher Zenaïdi et les appelle même à suivre son exemple, au nom de « l’intérêt supérieur de la Tunisie ». Le 7 novembre dernier, sur les ondes de radio Cap FM, il avait précisé que ces deux anciens ministres ont l’avenir devant eux, compte tenu de leurs âges et de leurs compétences, et que toute division profiterait aux forces antipatriotiques.


La Nation tunisienne s'est prononcée pour le modèle sociétal et civilisationnel conçu et imaginé par le génie politique de Bourguiba. C'est le bourguibisme qui a réagi comme un anticorps indispensable au système immunitaire.
Invité par L’Economiste Maghrébin, Mezri Haddad nous livre sa pensée sur la victoire de Nidaa Tounes aux élections législatives qui s’explique principalement par le charisme et l’autorité de celui qui l’incarne, à savoir Béji Caïd Essebsi. Entretien…

L’Economiste Maghrébin : Que pensez-vous des résultats des élections législatives et particulièrement du score de Nidaa Tounes ?

Mezri Haddad : Je pense que c’est un événement historique que je baptiserais « la revanche posthume de Bourguiba ». En faisant preuve de vitalité et de maturité politique, la nation tunisienne, qui s’est égarée en octobre 2011 par la faute de sa nouvelle « élite » politique et médiatique, s’est clairement prononcée pour le modèle sociétal et civilisationnel conçu et imaginé par le génie politique de Bourguiba. Par-delà le désenchantement provoqué par quatre années d’amateurisme politique, d’indigence économique, de mensonge et de corruption, c’est le bourguibisme qui a réagi comme un anticorps indispensable au système immunitaire. Les Tunisiens et tout particulièrement les Tunisiennes ont signifié aux grossistes de l’islamisme et aux détaillants du droit- de l’hommisme qu’ils tiennent à leur modèle de société hérité de l’Histoire et consacré par l’élite nationaliste. Ces résultats sont une bonne chose pour la nation tunisienne, pour le processus démocratique, pour Nidaa Tounes bien évidemment, et même pour Ennahdha. En effet, j’ai toujours pensé et écrit depuis trente ans que lorsque l’islamisme est au pouvoir, il pervertit le politique et subvertit le religieux. En d’autres termes, qu’il constitue un danger à la fois pour le corps politique et pour l’islam en tant que foi partagée. Par contre, lorsqu’il est contenu dans une forme d’opposition non majoritaire, il peut jouer un rôle plus moral que politique, dont nos sociétés arabo-musulmanes, exposées aux aléas de la mondialisation et à une modernité hédoniste et matérialiste, ont parfois besoin.

Comment expliquez-vous la défaite d’Ennahdha et la victoire de Nidaa Tounes ?

La défaite de l’islamisme dit modéré s’explique par des causes à la fois endogènes et exogènes. Endogènes, puisque les islamistes au gouvernement ont montré leur incompétence politique ainsi que leurs limites éthiques d’ailleurs. Cela vaut aussi pour leurs alliés organiques, le CPR et Ettakatol, les principaux perdants de ces élections, qui ont servi de vitrine phosphorescente à l’obscurantisme religieux.

Exogènes, puisque le « Printemps arabe », ou plus exactement le printemps islamo-atlantiste, n’a pas fait long feu. On assiste partout dans le monde arabe à un reflux de l’islamisme en général et des Frères musulmans en particulier. Ce que les Tunisiens ont exprimé dans les urnes, les Egyptiens l’ont appliqué par un coup de force, ensuite par des élections démocratiques, et les Syriens l’ont exprimé par leur résistance héroïque à l’invasion islamo-fasciste.

Ces retournements de situation ont modifié les choix géopolitiques des puissances occidentales, qui ont ouvert la boîte de Pandore et qui ne savent plus comment y résister, y compris sur leurs propres territoires. Beaucoup de leurs « citoyens » ont répondu à l’appel au djihad en Syrie, qui se conjuguait d’ailleurs parfaitement avec les appels à la « démocratie » et au respect des « droits de l’homme » des dirigeants occidentaux.

Ces derniers ont fini par comprendre que ce qu’ils provoquent au Maghreb ou au Moyen-Orient peut avoir un retentissement et des conséquences immédiates chez eux. Comme j’ai eu l’occasion de le dire il y a trois ans sur une chaîne de télévision française, lorsqu’on a six millions de musulmans en France, on ne peut pas se permettre le luxe de galvaniser l’islamisme « modéré » à deux heures de vol de Paris. A force de jouer impunément avec le feu de l’intégrisme chez autrui, on finit tôt ou tard par le provoquer chez soi. J’espère que nos amis occidentaux ont retenu la leçon.

Et la victoire de Nidaa Tounes ?

Elle s’explique principalement par le charisme et l’autorité de celui qui l’incarne, à savoir Béji Caïd Essebsi. Si les Tunisiens ne regrettent pas l’ère Ben Ali, ils sont en revanche nostalgiques de la paix civile, de la sécurité, de la prospérité économique, nonobstant quelques déséquilibres régionaux, de l’autorité de l’Etat, du respect des lois et même de la propreté des villes. Dans ses faits et gestes autant que par son discours, le président de Nidaa Tounes rappelle aux Tunisiens les acquis de l’ère bourguibienne. Béji est l’adepte d’un bourguibisme expurgé de ses propres scories. En d’autres termes, Béji Caïd Essebsi a réussi à convaincre les Tunisiens que l’on peut tout à fait appartenir au passé en incarnant l’avenir, et que les aspirations à la liberté et à la justice sociale ne sont pas antithétiques ni incompatibles avec les exigences d’un Etat fort. Cette victoire s’explique aussi par la qualité et la diversité des différentes composantes de Nida Tounes, toutes ces personnalités qui viennent d’horizons divers et qui ont trouvé en Béji Caïd Essebsi à la fois un catalyseur et un fédérateur.

Dans votre livre de 2011, « La face cachée de la révolution tunisienne », vous avez précisément fait l’éloge de BCE, alors Premier ministre. Etes-vous toujours dans la même disposition et, dans ce cas, soutiendrez-vous sa candidature à la Présidence de la République ?

Je n’ai pas fait son éloge mais je lui ai témoigné l’estime qu’il mérite, à un moment décisif de l’histoire du pays. J’ai connu Si El Béji il y a une bonne dizaine d’années, avec feu Sadok Ben Jomaa, feu Habib Boularès et Si Mohamed Ennaceur. Comme je l’ai fait toute ma vie, par curiosité intellectuelle et par passion pour l’histoire, je suis toujours allé à la rencontre des grands acteurs de la politique tunisienne, indépendamment de leurs divergences et de leurs conflits personnels ou idéologiques. C’est ainsi que, malgré mon jeune âge à l’époque, j’ai connu Hédi Nouira, Béhi Ladgham, Habib Achour, Mohamed Masmoudi, Ahmed Ben Salah, Mohamed Mzali, Mohamed Sayah, Driss Guiga, Tahar Belkhodja, Wassila Ben Ammar… J’ai beaucoup appris d’eux et j’ai pu me faire une idée de la grandeur et de la décadence du règne bourguibien.

Pour moi, le candidat idéal à la Présidence de la République doit d’abord garantir la souveraineté absolue de la Tunisie, qui a été piétinée ces dernières années, notamment par l’insolence de l’émirat bédouin du Qatar et l’entrisme de ses mercenaires.
Il doit ensuite rétablir l’ordre républicain et imposer à tous le respect des lois. Plus question de laxisme et d’anarchisme, sous le prétexte fallacieux que la liberté est un acquis de la « révolution » et qu’il est par conséquent « interdit d’interdire », comme disaient les bobos de mai 1968. De même que la démocratie n’est pas un café instantané, la liberté est une conquête perpétuelle et un apprentissage de tous les jours. La liberté dans l’insécurité est une fumisterie, et la démocratie dans l’irrespect des lois et la culture du désordre est un poison mortel. Comme disait Lacordaire, « ce sont les lois qui libèrent et parfois, la liberté opprime ». Béji Caïd Essebsi doit également s’atteler à restaurer le prestige de l’Etat et la figure présidentielle que l’individu qui a usurpé le palais de Carthage a totalement discrédités et même avilis. Parce qu’il est homme d’Etat, Béji Caïd Essebsi est le seul candidat capable aujourd’hui de rendre à la fonction présidentielle ses titres de noblesse. C’est la raison pour laquelle je soutiens sa candidature et je réitère mon appel à mes amis Kamel Morjane et Mondher Zenaïdi à faire de même. Il y va de  l’avenir du pays et des intérêts supérieurs de l’Etat.

Pensez-vous qu’il serait préférable pour la période à venir de constituer un gouvernement d’unité nationale ?

Non, pas du tout. Par sa diversité idéologique et politique, Nidaa Tounes est déjà un archétype de cette unité nationale, y compris la société civile. A quoi servent les élections si à leur issue, on intègre au sein du gouvernement les perdants ? Dans les démocraties dignes de ce nom, la majorité gouverne et l’opposition s’oppose. Les Tunisiens ont choisi Nidaa Tounes pour avoir un gouvernement issu de ses rangs, et non point une coalition nationale. Il faudrait d’ailleurs aussi se débarrasser d’un autre mythe : celui du gouvernement dit de technocrates. Pour la phase à venir, il faudrait à mon sens, non pas un gouvernement de technocrates, mais un gouvernement éminemment politique. La place des technocrates, c’est dans les cabinets ministériels et les secteurs stratégiques, et non pas à la tête des ministères.

J’ajouterais que les corporations qui composent le quartet doivent, elles aussi, s’éclipser pour revenir à leur vocation originelle. Je veux dire l’UTICA, l’UGTT, la Ligue des droits de l’homme et l’Ordre des avocats, qui sont des organisations nationales tout à fait respectables. Mais chacune de ces instances doit retrouver le rôle qui est le sien. Il y a désormais un parlement démocratiquement élu, qui exprime la souveraineté générale, la légalité et la légitimité. Même en cas de crise, le rôle du quartet doit être purement consultatif.

C’est pour quand le retour en Tunisie ?

Dès que mon ex-compagnon de route et de doute, Moncef Marzouki, aura quitté le palais de Carthage et que Rached Ghannouchi aura définitivement choisi entre le destin d’Ali et la gloire de Muawiya ! C’est-à-dire entre l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel, entre l’immanence et la transcendance. Parce que je connais très bien leurs faits, leurs forfaits et leurs méfaits, tant que ces deux personnes sont au pouvoir, j’ai fait le choix cruel de rester en France ces quatre dernières années. Pour avoir passé onze longues années en exil sous le régime de Ben Ali, je me suis habitué à la séparation avec la mère Patrie que je porte dans ma chair et dans mon esprit.

Par Propos recueillis par Hédi Mechri, « L’Economiste Maghrébin » du 6 novembre 2014.

Intervention de Mezri Haddad sur Cap FM, le 7 novembre 2014 :
http://www.capradio.tn/uploads/replay/media_temp_1415350005.mp3