Par Adnane Mansouri
Depuis des mois, il est la coqueluche de certains médias tunisiens qui sont passés de la servitude volontaire à la frivolité libertaire. Il s’appelle Bahri Jelassi. C’est un homme d’affaire qui est président d’un parti microscopique qui se fait appeller Al-Wifaa wal-Infitah, Parti Ouverture et Fidélité (POF). Autrement dit, l’ouverture à l’obscurantisme du Moyen-âge et la fidélité à l’enseignement d’Ibn Taymiyya ! Comparé à ce babouin en costume cravate, Rached Ghannouchi, ou Moncef Ben Salem ou même à Sadok Chourou, font figure de gentlemen londonien ! Bahri Jelassi a semble t-il huit représentants au sein de l’Assemblée Constituante. Il les a débauché d’Al-Aridha, le parti de Hachemi Hamdi. Il serait actuellement en négociation avec douze autres, puisque les « élus du peuple » s’achètent et se vendent au plus offrant !
La vidéo ci-jointe est un débat, sur la chaine de télévision privée Tounesna (13 octobre 2012) entre ce détraqué mental et une professeure de sociologie qui n’en revient pas. Selon lui, le « Code du Statut Personnel est un virus destructeur que ce pourri et franc-maçon de Bourguiba a imposé à la Tunisie. C’est cet agent français qui a détruit la femme…Il faut marier les femmes à 13 ans…A l’âge de 20 ans, les filles ne sont plus désirables… ». Et bien d’autres horreurs névrotiques de ce genre, avant de se lancer dans une diatribe contre les laïcs : « Ce sont des pourris dont les cerveaux sont un nid de tous les vices…Les laïcs sont des microbes qui ont gangréné la société tunisienne… ».
Moins de dix jours après (22 octobre 2012), c’est au tour de la chaine Attounsiya TV de l’inviter dans son émission phare Klem Ennès. Comme si le précédent sur Tounesna TV ne devait pas servir de leçon pour interdire de télévision cet individu. Dans son accoutrement d’artiste de cirque, il répètera les mêmes âneries en accusant Hamma Hammami et Chokri Belaïd d’apostats et les Femmes démocrates de « prostituées », baissant encore l’âge légal de mariage à 10 ans ! Mais cette fois-ci, il a eu en face de lui des contradicteurs plus coriaces que la professeure de sociologie, qui a d’ailleurs eu raison de le mépriser. Bayrem Kilani, alias Bendir Man, l’a complètement démolis et a failli lui « casser la figure », et madame Maya qui a remarquablement réfuté toutes ses thèses obscurantistes. Quant à Haythem Mekki, il a été d’une correction et d’une timidité que lui confère sa nouvelle posture de « journaliste mature ».
Considéré en tant que tel, Bahri Jelassi est un épiphénomène et un cas qui relève de la psychanalyse. Mais à y regarder de près, il est le symptôme d’une société malade et d’un pays en plein déclin. Son cas pose surtout deux questions importantes : a-t-on le droit de reconnaitre n’importe quel parti, au nom du multipartisme ? Peut-on donner la parole à un adepte de la pédophilie, au nom de la liberté d’expression ?
Tout de suite après la « révolution du jasmin », des dizaines et des centaines de demandes de légalisation de nouveaux partis ont été adressé au ministère de l’Intérieur. A la hâte et dans l’euphorie révolutionnaire, près de 160 partis ont été reconnus. Statistiquement parlant, la Tunisie arrive aujourd’hui en tête des pays les plus démocratiques au monde ! En réalité, ces partis parasitaires ont porté un coup mortel à la démocratie naissante. Premièrement, en bénéficiant de l’argent public pour participer aux élections du 23 octobre 2011. Des millions de dinars ont été ainsi dilapidé, au profit de personnes insignifiantes, sans aucun passé politique, voire dans certains cas à des criminels de droit commun, qui ont été condamné pour escroquerie ou pour des chèques sans provision. On peut deviner à quoi a servi l’argent que l’Etat leur a versé pour participer à ces élections « démocratiques ». Deuxièmement, en affaiblissant des partis sérieux et crédibles, comme par exemple le POCT et le PDP. Indéniablement, l’existence des partis parasitaires a favorisé Ennahda. Pour les prochaines élections, un nettoyage de l’échiquier politique serait donc une mesure d’hygiène politique, voire d’hygiène tout court. Une centaine de partis doivent par conséquent être dissous.
Seconde question, la liberté d’expression a-t-elle des limites ? Tant que cet individu s’exprime dans un meeting ou au sein de son parti microscopique, cela ne pose aucun problème. On dit bien qu’il faut de tout pour faire un monde. Le problème se pose lorsque ce détraqué mental vient déblatérer ses thèses nauséabondes sur une chaine de télévision. Tounesna TV est donc aussi coupable que cet individu, Bahri Jelassi. Cette télévision a été lancée le 20 mars dernier. Son propriétaire, un certain Abdelhamid Ben Abdallah, un richissime homme d’affaire franco-tunisien originaire de Kélibia. Selon la légende, il aurait fait des études de droits à Paris II-Assas, où il aurait obtenu un doctorat. Vérification faite, cet affairiste qui a effectivement fréquenté Assas, n’est titulaire d’aucun doctorat. Il a fait fortune en fréquentant Claude Chirac, la fille de l’ex-président français. Déjà sous le régime de Ben Ali, en concurrence infantile avec une autre grosse fortune locale, un certain Alaya, il n’hésitait pas à étaler sa richesse dans sa ville natale (Kélibia) : palais au bord de la mer, Rolls Roys blanche, bateau hors bord semblable à celui de Belhassen Trabelsi…
Abdelhamid Ben Abdallah est tout le contraire d’un autre homme d’affaire et patron de télévision, Nabil Karoui. Sa chaine de télévision Nessma a été crée en mars 2007, non sans quelques difficultés avec le régime de Ben Ali. Modeste, combatif, discret et jovial, le principal actionnaire de Nessma TV a mis sa chaine au service d’une cause aux antipodes du populisme et de l’obscurantisme de Attounsiya TV et de Tounesna TV. Célèbre bien avant l’affaire Persepolis, grâce à ces débats hautement politiques et intellectuels, ainsi qu’à ses guignols, Nessma TV est l’une des rares télévisions où les démocrates, les progressistes et les laïcs peuvent encore s’exprimer.
C’est pour dire que les télévisions privées, les journaux et les partis d’opposition qui existaient sous l’ancien régime sont nettement supérieurs et plus honorables que certaines télévisions et certains partis politiques que la « révolution du jasmin » a charrié.