Juriste de formation et ancien diplomate tunisien, Farhat Othman est chercheur en sociologie.
Monsieur le philosophe,
Vous reprochez à M. Bernard-Henri Lévy de suivre ce que la doxa désire et non ce que l'épistémè exige; ne faites-vous pas la même chose ? Qu'exige donc le paradigme postmoderne sinon la redécouverte de la spiritualité, la postmodernité étant cette synergie entre le technologique le plus sophistiqué et l'archaïque le plus galvaudé ?
Je ne défends ici ni M. Lévy ni l'Occident entiché d'un soi-disant islam modéré qu'incarneraient les partis islamistes au Maghreb, et qui ne sont que l'incarnation d'un ultralibéralisme ainsi qu'il n'est plus permis de le pratiquer en Occident, transformant le Maghreb en un marché ouvert aux gourous de la finance internationale.
L'islamisme, un renversement des valeurs établies
L'islamisme dites-vous est la subversion de l'islam en tant qu'idéologie néo-fasciste par définition, par essence, par axiologie et par étiologie. Et vous distinguez en idéologue, non en philosophe (mais ne parliez-vous pas en philosophe ?), entre la stratégie et la tactique, l'islam n'étant plus qu'un moyen religieux au service d'une fin politique, le pouvoir, tout le pouvoir, rien que le pouvoir.
Précisant juste que l'islamisme consacre l'indissociabilité du temporel et du spirituel, du sacré et du profane, du religieux et du politique, vous pensez avoir épuisé la question, ne disant plus mot de votre lecture de l'islam. Mais de quel islam parlez-vous, M. le philosophe ?
Ne parliez-vous pas de la subversion ? Or, une subversion n'est-elle pas le renversement des valeurs établies ? Que ne parliez-vous donc de ces valeurs établies qui fondent le vrai islam dont vous vous réclamez sans le définir ? On a bien compris que l'islamisme est pour vous ce mouvement prônant l’expansion et le respect de l’islam, visant l’islamisation complète et totale du droit, des institutions, du gouvernement. Et cet islamisme n'est pas l'islam, comme vous l'affirmez et comme c'est bien vrai.
Nécrose de la civilisation islamique, altération de la religion musulmane, l'islamisme est pour vous une idéologie néo-fasciste, théocratique et totalitaire. Cela est vrai aussi; mais quand vous ajoutez qu'il n'est pas l'incarnation de l'islam, mais son incarcération, précisant qu'il est une «religion séculière», empruntant l'expression à Aron, assimilant cette religion séculière au nazisme et au communisme, vous vous égarez.
En effet, de quel islam parlez-vous, si ce n'est une religion se présentant comme séculière, étant à la fois une foi et une politique pour la cité? Vous citez d'ailleurs le roi d'Arabie Saoudite; où donc le situez-vous ? De quel islam fait-il partie?
Oser préciser ce que sont les valeurs de l'islam
Vous vous définissez du combat de la la philosophie contre le sophisme, mais vous ne relevez pas du bon côté, je le crains. Ce n'est pas parce que l'islamisme est revendiqué par des faussaires et des criminels qu'il est forcément contre l'autonomie pour l'hétéronomie, contre l'altérité pour l'identité, contre le savoir pour l'ignorance, contre l'herméneutique pour l'intégralisme exégétique, ou contre la vérité pour le mensonge. Par contre, il peut être contre la raison pour la passion sans être contre la pédagogie pour la démagogie, contre des Lumières pour l'obscurantisme, la sécularisation contre le cléricalisme et la liberté contre le totalitarisme.
En effet, la postmodernité n'est plus l'époque de la raison cartésiste, elle est bien plus celle de l'émotion et des communions passionnelles. C'est que la raison y est sensible faisant une rationalité de ce qui apparaissait comme non rationnel. C'est ce que vous ne voulez comprendre dans votre dogmatisme positiviste; et c'est ce qui vous fait oublier que l'islam dont vous vilipendez la déclinaison charlatanesque n'est pas moins de l'islamisme comme la France, relève toujours de l'Étatisme sans être réduite à l'expérience de l'État de Vichy.
Le problème de l'islam aujourd'hui n'est pas l'islamisme, mais la confusion dans les têtes quant à sa nature, son essence, sa quiddité. Or, quand l'élite comme nos philosophes ne savent ou n'osent définir ce qu'est l'islam, comment le reprocher au commun des mortels ?
S'il y a autant de charlatans en islam, c'est à cause du fait qu'il n'y a pas de vérité immuable sur sa nature exacte, chacun y allant de se recette. Ainsi, pour vous, M. le philosophe, l'islam reconnaît-il le droit à l'apostasie et à l'homosexualité ? Dans votre islam, le péché n'a-t-il pas un sens différent de celui de la tradition judéo-chrétienne comme privation du bien (privatio boni) ?
Je serai intéressé d'avoir votre réponse, car personnellement je prône une lecture de l'islam libérée de la conception judéo-chrétienne qui apporte une réponse négative aux questions ci-dessus mentionnées. Outre l'absence prouvée d'anathèmes en ces matières, je prétends aussi par exemple que la fête du sacrifice en dehors du pèlerinage n'est qu'une tradition juive et que le jeûne n'est nullement une obligation absolue en islam.
Voilà par exemple des définitions claires de l'islam qui est défiguré non seulement par les islamistes, mais aussi par ceux qui se prétendent relever d'une vision supposée modérée de l'islam quand elle ne fait pas moins le défigurer tout autant que les intégristes. La seule différence est que les uns le font en usant de moyens bruts et cruels, les autres en catimini, se servant de ruse et de subterfuges. Alors, parlant concrètement en péripatéticien et averroïste que vous êtes, c'est quoi votre islam, Monsieur le philosophe?
Farhat Othman
Auteur de deux excellents essais : « Pour le renouvellement du lien indéfectible(1). L’homosexualité en islam », édition Afrique-Orient, et « Pour le renouvellement du lien indéfectible(2). L’apostasie en islam », édition Afrique-Orient, 2014.
Réponse de la rédaction de Tunisie-Secret: En attendant la réponse de M.Mezri Haddad, s'il veut bien la faire, nous recommandons à M.Farhat Othman de lire les livres de la personne à laquelle il demande "de quel islam il parle". Pour les avoir lu, nous savons que l'islam de M.Haddad est celui d'Averroès, d'Ibn Arabi et de Miskawayh, pour ne citer que ces trois noms. Et s'il a un peu plus de temps, de lire la thèse de doctorat à la Sorbonne, en 3 volumes et en 1800 pages, précisément conscrée à "La problèmatique des rapports entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel dans l'islam et le christianisme". Sa tribune dans Le Figaro n'était pas pour expliquer ce qu'est exactement l'Islam, ni pour étaler son savoir encyclopédique, mais pour répondre ponctuellement à l'ignorance abyssale de M.Bernard-Henri Lévy.
Vous reprochez à M. Bernard-Henri Lévy de suivre ce que la doxa désire et non ce que l'épistémè exige; ne faites-vous pas la même chose ? Qu'exige donc le paradigme postmoderne sinon la redécouverte de la spiritualité, la postmodernité étant cette synergie entre le technologique le plus sophistiqué et l'archaïque le plus galvaudé ?
Je ne défends ici ni M. Lévy ni l'Occident entiché d'un soi-disant islam modéré qu'incarneraient les partis islamistes au Maghreb, et qui ne sont que l'incarnation d'un ultralibéralisme ainsi qu'il n'est plus permis de le pratiquer en Occident, transformant le Maghreb en un marché ouvert aux gourous de la finance internationale.
L'islamisme, un renversement des valeurs établies
L'islamisme dites-vous est la subversion de l'islam en tant qu'idéologie néo-fasciste par définition, par essence, par axiologie et par étiologie. Et vous distinguez en idéologue, non en philosophe (mais ne parliez-vous pas en philosophe ?), entre la stratégie et la tactique, l'islam n'étant plus qu'un moyen religieux au service d'une fin politique, le pouvoir, tout le pouvoir, rien que le pouvoir.
Précisant juste que l'islamisme consacre l'indissociabilité du temporel et du spirituel, du sacré et du profane, du religieux et du politique, vous pensez avoir épuisé la question, ne disant plus mot de votre lecture de l'islam. Mais de quel islam parlez-vous, M. le philosophe ?
Ne parliez-vous pas de la subversion ? Or, une subversion n'est-elle pas le renversement des valeurs établies ? Que ne parliez-vous donc de ces valeurs établies qui fondent le vrai islam dont vous vous réclamez sans le définir ? On a bien compris que l'islamisme est pour vous ce mouvement prônant l’expansion et le respect de l’islam, visant l’islamisation complète et totale du droit, des institutions, du gouvernement. Et cet islamisme n'est pas l'islam, comme vous l'affirmez et comme c'est bien vrai.
Nécrose de la civilisation islamique, altération de la religion musulmane, l'islamisme est pour vous une idéologie néo-fasciste, théocratique et totalitaire. Cela est vrai aussi; mais quand vous ajoutez qu'il n'est pas l'incarnation de l'islam, mais son incarcération, précisant qu'il est une «religion séculière», empruntant l'expression à Aron, assimilant cette religion séculière au nazisme et au communisme, vous vous égarez.
En effet, de quel islam parlez-vous, si ce n'est une religion se présentant comme séculière, étant à la fois une foi et une politique pour la cité? Vous citez d'ailleurs le roi d'Arabie Saoudite; où donc le situez-vous ? De quel islam fait-il partie?
Oser préciser ce que sont les valeurs de l'islam
Vous vous définissez du combat de la la philosophie contre le sophisme, mais vous ne relevez pas du bon côté, je le crains. Ce n'est pas parce que l'islamisme est revendiqué par des faussaires et des criminels qu'il est forcément contre l'autonomie pour l'hétéronomie, contre l'altérité pour l'identité, contre le savoir pour l'ignorance, contre l'herméneutique pour l'intégralisme exégétique, ou contre la vérité pour le mensonge. Par contre, il peut être contre la raison pour la passion sans être contre la pédagogie pour la démagogie, contre des Lumières pour l'obscurantisme, la sécularisation contre le cléricalisme et la liberté contre le totalitarisme.
En effet, la postmodernité n'est plus l'époque de la raison cartésiste, elle est bien plus celle de l'émotion et des communions passionnelles. C'est que la raison y est sensible faisant une rationalité de ce qui apparaissait comme non rationnel. C'est ce que vous ne voulez comprendre dans votre dogmatisme positiviste; et c'est ce qui vous fait oublier que l'islam dont vous vilipendez la déclinaison charlatanesque n'est pas moins de l'islamisme comme la France, relève toujours de l'Étatisme sans être réduite à l'expérience de l'État de Vichy.
Le problème de l'islam aujourd'hui n'est pas l'islamisme, mais la confusion dans les têtes quant à sa nature, son essence, sa quiddité. Or, quand l'élite comme nos philosophes ne savent ou n'osent définir ce qu'est l'islam, comment le reprocher au commun des mortels ?
S'il y a autant de charlatans en islam, c'est à cause du fait qu'il n'y a pas de vérité immuable sur sa nature exacte, chacun y allant de se recette. Ainsi, pour vous, M. le philosophe, l'islam reconnaît-il le droit à l'apostasie et à l'homosexualité ? Dans votre islam, le péché n'a-t-il pas un sens différent de celui de la tradition judéo-chrétienne comme privation du bien (privatio boni) ?
Je serai intéressé d'avoir votre réponse, car personnellement je prône une lecture de l'islam libérée de la conception judéo-chrétienne qui apporte une réponse négative aux questions ci-dessus mentionnées. Outre l'absence prouvée d'anathèmes en ces matières, je prétends aussi par exemple que la fête du sacrifice en dehors du pèlerinage n'est qu'une tradition juive et que le jeûne n'est nullement une obligation absolue en islam.
Voilà par exemple des définitions claires de l'islam qui est défiguré non seulement par les islamistes, mais aussi par ceux qui se prétendent relever d'une vision supposée modérée de l'islam quand elle ne fait pas moins le défigurer tout autant que les intégristes. La seule différence est que les uns le font en usant de moyens bruts et cruels, les autres en catimini, se servant de ruse et de subterfuges. Alors, parlant concrètement en péripatéticien et averroïste que vous êtes, c'est quoi votre islam, Monsieur le philosophe?
Farhat Othman
Auteur de deux excellents essais : « Pour le renouvellement du lien indéfectible(1). L’homosexualité en islam », édition Afrique-Orient, et « Pour le renouvellement du lien indéfectible(2). L’apostasie en islam », édition Afrique-Orient, 2014.
Réponse de la rédaction de Tunisie-Secret: En attendant la réponse de M.Mezri Haddad, s'il veut bien la faire, nous recommandons à M.Farhat Othman de lire les livres de la personne à laquelle il demande "de quel islam il parle". Pour les avoir lu, nous savons que l'islam de M.Haddad est celui d'Averroès, d'Ibn Arabi et de Miskawayh, pour ne citer que ces trois noms. Et s'il a un peu plus de temps, de lire la thèse de doctorat à la Sorbonne, en 3 volumes et en 1800 pages, précisément conscrée à "La problèmatique des rapports entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel dans l'islam et le christianisme". Sa tribune dans Le Figaro n'était pas pour expliquer ce qu'est exactement l'Islam, ni pour étaler son savoir encyclopédique, mais pour répondre ponctuellement à l'ignorance abyssale de M.Bernard-Henri Lévy.