La dernière sortie de la Tunisie sur le marché financier international a été présentée par la conférence de presse conjointe des ministres des finances et du gouverneur de la BCT comme un net succès. En réalité la Tunisie a payé au prix fort son retour sur le marché financier international et la dernière sortie est loin d’être un vote de confiance pour notre pays.
La marge la plus élevée connue par la Tunisie depuis son accès au marché financier international
Le taux d’intérêt assorti à cet emprunt est de 5.875% pour une maturité de dix ans. En fait ce taux est composé du taux de base applicable à toute sortie de n’importe quel pays ou institution et de la marge plus connue sous le terme de spread, qui dépend du risque pays tel que perçu par le marché et qui varie d’un pays à un autre. Le communiqué de la BCT ne précise pas cette décomposition et c’est la première fois que cela arrive, transparence exige ! En fait les données dont nous disposons situent cette marge de risque à plus de 400 points de base et c’est de loin le taux le plus élevé connu par la Tunisie depuis qu’elle sort sur les marchés en 1994. A titre de comparaison, la sortie de la Tunisie en 2007 sur le marché Japonais s’est soldée par une marge de 75 points de base pour un emprunt d’une maturité double de 20 ans. Jamais la Tunisie n’a accepté une marge aussi élevée comme il apparait au tableau annexé et qui fait état des conditions assorties pour tous les emprunts contractés par la Tunisie sur le marché financier international (tableau ci-dessous).
Un booking non négligeable mais attention aux interprétations
Selon les données disponibles, le booking est de plusieurs fois la demande, ce qui est important mais il faut que les demandes non retenues soient à des marges supérieures à 400 points de base. En fait l’appréciation de l’emprunt doit tenir compte du couple marge de risque- booking. De plus la Tunisie était habituée à des booking de cette taille. Ainsi, à la sortie réalisée par la Tunisie en 2005, le pays a sollicité 300 millions d’euros et a eu une demande de 1538 millions d’euros dans un laps de temps très court ne dépassant pas 24 heures, soit plus de cinq fois ce qui était sollicité. Le taux était de 4.5% et la marge de risque de 107 points, ce qui veut dire que la Tunisie a refusé 1148 Millions d’euros à des marges de légèrement supérieures à 107 points. Aucune commune mesure avec le dernier prêt de 2015.
Un crédit à un taux très élevé pour financer des déficits
Ce que l’histoire ne pardonnera pas c’est que ce crédit servira à financer des frais de fonctionnement en l’occurrence des salaires, des dépenses de compensation et des déficits de fonctionnement et non des dépenses d’investissement à des taux très élevés. En effet le solde primaire du budget est devenu déficitaire depuis 2012 ce qui veut dire que même pour couvrir des frais de fonctionnement, l’Etat doit contracter des crédits. En 2013-2014 ce solde primaire est négatif de 2,5% du PIB ce qui signifie qu’il faut que le pays s’emprunte à hauteur de 2,5% du PIB pour couvrir les salaires et les autres frais de fonctionnement. Ainsi le gouvernement de « technocrates » au lieu de réexaminer les 60 000 recrutements faits par la troïka, mission revenant au Quartet, n’a rien trouvé d’autre à faire que de précipiter le pays dans un endettement à un cout très élevé. Une bien curieuse façon de gérer les finances de l’Etat.
Une question de procédure et même d’éthique
La dernière question que pose cette sortie a trait aux procédures et à l’éthique même de cette sortie. En effet, comme chacun sait, cet emprunt doit être autorisé par le Parlement avant même d’être réalisée. Or une question s’impose : est ce que les nouveaux élus du peuple sont prêt à autoriser après coup un prêt à des conditions aussi dures au moment où certains appellent à auditer une dette antérieure contractée à de biens meilleures conditions et le plus souvent affectée à des projets d’investissement ou à des réformes ? Est ce que le nouveau gouvernement, avec l’audience dont il peut se prévaloir auprès d’autres milieux financiers tels certains pays du golfe, n’est pas à même de mobiliser des ressources à de meilleures conditions ? Acceptera t- il que l’avenir des générations futures soit hypothéqué à de telles conditions ? Ne va t- il pas réduire les dépenses du budget surtout que la détente des prix du pétrole autorise des économies importantes, ce qui pourrait même rendre injustifié le recours à cet emprunt surtout à ces conditions ? Et par-dessus tout, est ce qu’un gouvernement qui gère les affaires courantes a le droit d’engager le pays de cette manière ? Des questions de fond qui doivent interpeler les pouvoirs publics.
Où sont partis les 5,8 milliards de dinars que Ben Ali a laissés à la BCT ?
La cours des comptes, la société civile, les associations spécialisées dans la gouvernance, les fameux 25 avocats, la presse d’investigation, n’ont rien vu passer de tout cela parce que semble t-il, l’impact de l’organisation du gala de Maria Carey ou de Michael Jackson, pour lesquels il y a des procès en cours, ont plus d’effets négatifs sur les finances du pays qu’un endettement supplémentaire de 17 milliards de dinars entre 2010 et 2014 à des taux exorbitants qui ont financé des recrutements inutiles, ou des augmentations de salaires au-delà des moyens du pays, ou que l’utilisation entre 2012 et 2014 des 5.8 milliards de dinars qui étaient disponibles dans les caisses de l’Etat en 2010, dans des dépenses improductives (2 milliards provenant de l’ouverture du capital de Tunisie Telecom plus les bénéfices de deux ans de la BCT et les bénéfices cumulés de la Compagnie de phosphate de Gafsa ou du groupe chimique…), des ressources qui étaient destinées au financement du réseau autoroutier vers le centre ouest et le sud ouest du pays ( Kairouan, Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa…) et qui ont, elles aussi, financé des dépenses de fonctionnement.
Certains ont présenté cette dernière sortie sur les marchés obligataires internationaux comme « une opération réussie et un signal important de la confiance dans la Tunisie en cette période de transition », une façon « d'évaluer la capacité réelle du pays de mobiliser des ressources extérieures et le niveau de risque qu'il représente pour les investisseurs ». Ces propos relèvent soit de l’irresponsabilité, soit de l’incompétence, soit encore de la nonchalance. Sans jouer les Cassandre, cet emprunt qui aurait été autrefois inconcevable et inacceptable par le gouvernement tunisien, est l’aboutissement de quatre années d’indigence, de trahison et de mensonges prémédités. Il annonce la banqueroute financière et économique d’un pays qui, malgré tout ce qu’on a pu dire sur la corruption et le trafic d’influence, fut jadis et naguère prospère, émergent et souverain.
Mohamed Ayachi Ajroudi
La marge la plus élevée connue par la Tunisie depuis son accès au marché financier international
Le taux d’intérêt assorti à cet emprunt est de 5.875% pour une maturité de dix ans. En fait ce taux est composé du taux de base applicable à toute sortie de n’importe quel pays ou institution et de la marge plus connue sous le terme de spread, qui dépend du risque pays tel que perçu par le marché et qui varie d’un pays à un autre. Le communiqué de la BCT ne précise pas cette décomposition et c’est la première fois que cela arrive, transparence exige ! En fait les données dont nous disposons situent cette marge de risque à plus de 400 points de base et c’est de loin le taux le plus élevé connu par la Tunisie depuis qu’elle sort sur les marchés en 1994. A titre de comparaison, la sortie de la Tunisie en 2007 sur le marché Japonais s’est soldée par une marge de 75 points de base pour un emprunt d’une maturité double de 20 ans. Jamais la Tunisie n’a accepté une marge aussi élevée comme il apparait au tableau annexé et qui fait état des conditions assorties pour tous les emprunts contractés par la Tunisie sur le marché financier international (tableau ci-dessous).
Un booking non négligeable mais attention aux interprétations
Selon les données disponibles, le booking est de plusieurs fois la demande, ce qui est important mais il faut que les demandes non retenues soient à des marges supérieures à 400 points de base. En fait l’appréciation de l’emprunt doit tenir compte du couple marge de risque- booking. De plus la Tunisie était habituée à des booking de cette taille. Ainsi, à la sortie réalisée par la Tunisie en 2005, le pays a sollicité 300 millions d’euros et a eu une demande de 1538 millions d’euros dans un laps de temps très court ne dépassant pas 24 heures, soit plus de cinq fois ce qui était sollicité. Le taux était de 4.5% et la marge de risque de 107 points, ce qui veut dire que la Tunisie a refusé 1148 Millions d’euros à des marges de légèrement supérieures à 107 points. Aucune commune mesure avec le dernier prêt de 2015.
Un crédit à un taux très élevé pour financer des déficits
Ce que l’histoire ne pardonnera pas c’est que ce crédit servira à financer des frais de fonctionnement en l’occurrence des salaires, des dépenses de compensation et des déficits de fonctionnement et non des dépenses d’investissement à des taux très élevés. En effet le solde primaire du budget est devenu déficitaire depuis 2012 ce qui veut dire que même pour couvrir des frais de fonctionnement, l’Etat doit contracter des crédits. En 2013-2014 ce solde primaire est négatif de 2,5% du PIB ce qui signifie qu’il faut que le pays s’emprunte à hauteur de 2,5% du PIB pour couvrir les salaires et les autres frais de fonctionnement. Ainsi le gouvernement de « technocrates » au lieu de réexaminer les 60 000 recrutements faits par la troïka, mission revenant au Quartet, n’a rien trouvé d’autre à faire que de précipiter le pays dans un endettement à un cout très élevé. Une bien curieuse façon de gérer les finances de l’Etat.
Une question de procédure et même d’éthique
La dernière question que pose cette sortie a trait aux procédures et à l’éthique même de cette sortie. En effet, comme chacun sait, cet emprunt doit être autorisé par le Parlement avant même d’être réalisée. Or une question s’impose : est ce que les nouveaux élus du peuple sont prêt à autoriser après coup un prêt à des conditions aussi dures au moment où certains appellent à auditer une dette antérieure contractée à de biens meilleures conditions et le plus souvent affectée à des projets d’investissement ou à des réformes ? Est ce que le nouveau gouvernement, avec l’audience dont il peut se prévaloir auprès d’autres milieux financiers tels certains pays du golfe, n’est pas à même de mobiliser des ressources à de meilleures conditions ? Acceptera t- il que l’avenir des générations futures soit hypothéqué à de telles conditions ? Ne va t- il pas réduire les dépenses du budget surtout que la détente des prix du pétrole autorise des économies importantes, ce qui pourrait même rendre injustifié le recours à cet emprunt surtout à ces conditions ? Et par-dessus tout, est ce qu’un gouvernement qui gère les affaires courantes a le droit d’engager le pays de cette manière ? Des questions de fond qui doivent interpeler les pouvoirs publics.
Où sont partis les 5,8 milliards de dinars que Ben Ali a laissés à la BCT ?
La cours des comptes, la société civile, les associations spécialisées dans la gouvernance, les fameux 25 avocats, la presse d’investigation, n’ont rien vu passer de tout cela parce que semble t-il, l’impact de l’organisation du gala de Maria Carey ou de Michael Jackson, pour lesquels il y a des procès en cours, ont plus d’effets négatifs sur les finances du pays qu’un endettement supplémentaire de 17 milliards de dinars entre 2010 et 2014 à des taux exorbitants qui ont financé des recrutements inutiles, ou des augmentations de salaires au-delà des moyens du pays, ou que l’utilisation entre 2012 et 2014 des 5.8 milliards de dinars qui étaient disponibles dans les caisses de l’Etat en 2010, dans des dépenses improductives (2 milliards provenant de l’ouverture du capital de Tunisie Telecom plus les bénéfices de deux ans de la BCT et les bénéfices cumulés de la Compagnie de phosphate de Gafsa ou du groupe chimique…), des ressources qui étaient destinées au financement du réseau autoroutier vers le centre ouest et le sud ouest du pays ( Kairouan, Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa…) et qui ont, elles aussi, financé des dépenses de fonctionnement.
Certains ont présenté cette dernière sortie sur les marchés obligataires internationaux comme « une opération réussie et un signal important de la confiance dans la Tunisie en cette période de transition », une façon « d'évaluer la capacité réelle du pays de mobiliser des ressources extérieures et le niveau de risque qu'il représente pour les investisseurs ». Ces propos relèvent soit de l’irresponsabilité, soit de l’incompétence, soit encore de la nonchalance. Sans jouer les Cassandre, cet emprunt qui aurait été autrefois inconcevable et inacceptable par le gouvernement tunisien, est l’aboutissement de quatre années d’indigence, de trahison et de mensonges prémédités. Il annonce la banqueroute financière et économique d’un pays qui, malgré tout ce qu’on a pu dire sur la corruption et le trafic d’influence, fut jadis et naguère prospère, émergent et souverain.
Mohamed Ayachi Ajroudi